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Billet de blog 16 mars 2025

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Ministères depuis 2017 : sac de nœuds et valse des pantins

Depuis le premier mandat d’E. Macron, pas moins de 159 personnes se sont succédées sur 74 postes. De ce chaos magmatique où les postes s’échangent, les trajectoires se croisent, les intrigants conspirent, peut-on sortir des tendances, des logiques… voire même du sens ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Avant toute chose, il convient de définir le cadre de cette note. Nous allons ici traiter de tous les ministres et secrétaires d’état (159) sur tous les postes (74) depuis le premier gouvernement d’E. Philippe jusqu’à l’actuel gouvernement de F. Bayrou, soit plus de 2800 jours.
Autant le dire tout de suite…

Illustration 1


 Mais nous allons essayer de structurer ce capharnaüm.

Qui sont-ils ?

Les membres des différents cabinets ont chacun leur trajectoire. Venant de la droite, de la gauche (plus rarement) ou sans étiquette (SE), ils ont peu à peu rejoint ou quitté tel ou tel camp :

Illustration 2
Lire : 45 personnes membres de LR/UMP en 2012 ont été nommées ministre depuis qu’E. Macron a été élu en 2017. Parmi eux, seuls 15 sont encore chez LR. Parmi les 26 membres du PS en 2012 appelés à être ministre sous Macron, 21 avaient déjà quitté le PS en 2017. © H. Sabbah


De ce touffu graphique, on peut tirer plusieurs enseignements.
Gauche
o    Aucun membre de LFI, du PCF ou de tout autre organisation franchement de gauche n’a été débauché en 8 ans.
o    Seuls 2 membres des verts ont été ministres (De Rugy et Pompili). Ils ont rejoint Macron dès 2017 et sont les seuls à avoir quitté les verts pour un portefeuille
o    Parmi les 35 PS+DVG à avoir servi sous Macron, 27 avaient déjà changé de bord en 2017. 7 PS avaient déjà fait le saut en 2016 ! Seuls 2 personnes rejoindront LREM pour un maroquin dans les 8 années qui suivront. Les autres se contenteront de se dire de gauche (DVG) sans appartenance au PS
o    A date, aucun ministre (passé ou présent) ayant servi sous Macron ne fait encore parti d’une grande organisation de gauche (vert/PS…)
Droite
o    Avec 45 ministres, LR apporte un contingent bien plus important que celui de gauche. 
o    Seuls 2 LR avaient fait le saut vers LREM en 2016 et ils ne seront que 9 à suivre en 2017 (Lemaire, Darmanin…)
o    Cependant, il ne semble pas impossible de se dire LR et de servir sous Macron (Barnier, Dati…)
o    Après 8 ans de macronisme, 34 personnes sur 48 (71%) sont encore classables à droite, contre seulement 7 à gauche 37 (19%)
Sans étiquette (SE)
o    Près de 60 personnes étaient sans étiquette en 2012, par choix (N. Hulot, A. Buzyn…) ou car ils n’étaient pas politisés avant
o    32 rejoindront LREM entre 2016 (20) et 2017 (12)
o    Par la suite, les mouvements seront beaucoup plus rares
Si ces mouvements nous en disent déjà beaucoup sur l’origine des ministres, il ne faut cependant pas s’arrêter ici. Il convient en effet de se demander quels postes furent occupés par qui, qui a été récompensé (les macronistes de la première heure ? les retourneurs de veste ?), ou encore quels postes ont structurellement pesé plus que les autres.

Les représentations partisanes dans le temps

Sans surprise, les ministres macronistes viennent souvent des partis LR/PS. Cependant, il faut un certain temps d’incubation avant d’obtenir un portefeuille ministériel. 
Ainsi, en regardant où étaient les ministres 1 an avant leur nomination, nous observons :

Illustration 3
© H. Sabbah
Illustration 4
© H. Sabbah
Illustration 5
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Illustration 6
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Illustration 7
© H. Sabbah
Illustration 8
© H. Sabbah


qu’il y a de moins en moins de rose, c’est-à-dire de ministres nommés qui se disaient de gauche dans les 12 mois précédents leur nomination. Dis autrement, depuis 2022, donc depuis que la gauche a gagné en poids dans les élections et à l’Assemblée Nationale, seuls 5 personnes de gauche ont été nommées au gouvernement… contre 41 de droite ! Plus le macronisme perd, plus il est ni de gauche ni de gauche !

En rentrant dans le détail, on remarque qu’il n’y a jamais eu de représentants des Verts (de Rugy et Pompili avaient rejoint LREM bien avant d’être nommés ministres… éphémères). Plus un seul ex-socialiste ne fut nommé depuis 2017. Et les DVG se comptent littéralement sur les doigts d’une main depuis 2022 !
Outre la disparition de la jambe gauche (qui à l’instar du Bigfoot, fait plus parler de lui qu’il n’est visible), nous pouvons aussi remarquer que la société civile (les SE) a également laissé la place à des LREM. En effet, pour rester en poste, ou pour se balader entre les ministères, la carte LREM est devenue plus qu’indispensable dès 2018.
Pour résumer, voici le nombre de ministres débauchés à gauche et à droite par gouvernement :

Illustration 9
© H. Sabbah


Exception faite des gouvernements Philippe, où les ministres venant de la droite étaient exactement aussi nombreux que ceux venant de la gauche, tous les premiers ministres qui lui ont succédé ont systématiquement amené plus de ministres de droite.
Notons également qu’après 2022 (et ce vote qui obligeait quelqu’un…) et avant l’incomprise dissolution, aucun ministre de gauche n’a été nommé. Et même après la dissolution, et la performance du NFP, le rapport droite/gauche restait largement en défaveur de cette dernière. 
Félicitons enfin les LR qui avec seulement 47 députés (soit 8% de l’Assemblée Nationale), placent pas moins de 14 ministres sous Barnier (soit 34% du gouvernement).
C’est à se demander qui n’a pas compris les résultats de la dissolution…

Les principaux ministères dans le temps

Parmi tous ces postes, certains ont constamment bénéficié d’un représentant au conseil des ministres. Ils sont au nombre de 17. Regardons comment la valse musicale s’est dansée pour ces postes clefs :

Illustration 10
*lire : 3 ministres se sont succédés à l’économie. Le plus long mandat dura 2670 jours. 5 ministres se sont succédés à la culture, le plus long mandat dura 682 jours. © H. Sabbah


Les plus observateurs remarqueront que la recherche de stabilité et la volonté d’inscrire une action dans la durée n’ont pas été également distribuées (!). 
Une lecture un peu rapide de ce graphique pourrait ne pas faire apparaitre la cause nationale des deux quinquennats d’E. Macron, l’égalité femmes/hommes. Avec 6 titulaires, une durée moyenne en poste de 15 mois et des accomplissements qui ont à n’en point douter marquer les esprits (non, la constitutionalisation de l’IVG ne vient pas de ces ministres), il est certains qu’E. Macron rentrera dans l’histoire comme le Président des droits des Femmes… ou pas.
La palme du remplissage/déballage de cartons de déménagements revient aux Outre-mer, avec pas moins de 10 ministres… difficile de dire si les livres d’histoire retiendront d’avantage les 381 jours de Carenco que les 173 de Vigier (moins de 6 mois !) ou les 217 de Guévenoux (tout juste 7 mois).
B. Le Maire, du haut de ses 2670 jours en poste, écrase le classement, étant resté au même poste près de 3 ans de plus que n’importe qui d’autre à n’importe quel poste… voilà où il faut chercher la stabilité. Le reste n’est que Valls de courtisans.

Les ministères de circonstance

Biodiversité, enfance et famille, insertion, éducation prioritaire, énergie… ce ne sont pas moins de 18 ministères éphémères (<1000 jours) qui ont été créés et si vite oubliés. Si nous en parlons ici, c’est pour signifier le peu de cas qui est fait des sujets qu’ils sont supposés traiter.
Ils se divisent en 2 catégories :
-    Les circonstanciels
-    Les thématiques sous-traitées
Parmi les circonstanciels, nous pouvons citer le secrétariat d’état à la réforme des retraites (avec le succès que l’on sait), la Coordination gouvernementale (pour coordonner le plus court gouvernement de la Vème République), la sécurité du quotidien (parce qu’il n’y avait pas assez de droite sous Barnier)… en bref, il s’agit d’effets d’annonce le plus souvent creux et qui rétrospectivement ne brillent pas par leurs résultats.
Dans les thématiques sous-traitées, deux apparaissent comme  récurrentes : l’écologie et l’aide aux personnes.


Pour l’écologie, 4 sous postes ont été créés pour aider :
-    Biodiversité (3 personnes en 929 jours…)
-    Un sous secrétariat à l’écologie (1 ministre durant 381 jours)
-    Transition énergétique (1 ministre en 603 jours)
-    Energie (2 personnes pour un total de…173 jours)
Au-delà du fait que même les ministres concernés seraient bien en peine de présenter un quelconque bilan, il est évident que ces postes ne sont là que pour récompenser des fidèles. En effet, le temps nécessaire pour avoir un impact sur n’importe lequel de ces postes est tellement important qu’il ne faut rien attendre même des plus compétentes personnes qui soient en si peu de temps. 2 personnes en moins de 6 mois sur l’Energie… 

Pour les personnes aussi, 4 sous postes ont été créés :
-    Enfance et famille (2 personnes, 781 jours)
-    Solidarités, de l'Autonomie et des Personnes handicapées (5 personnes, 776 jours)
-    Insertion (1 personne, 682 jours)
-    Autonomie (1 personnes, 682 jours)
Sur pareils sujets, il est difficile d’imaginer que tant de personnes se succèdent pour ne rien faire, et pourtant… Afin de ne pas alourdir le propos, notons simplement qu’il n’y a pas à ce jour de poste à l’Enfance sous Bayrou, ce qui en dit déjà trop. 

Illustration 11

Conclusion


En près de 8 ans, E. Macron a fait danser des dizaines de ministres. Si cette avalanche de noms, de postes et de nombres peut sembler confuse, il n’en reste pas moins qu’elle répond à seulement 3 logiques :
-    La constance de la politique économique
-    La droitisation constante et ininterrompue 
-    Feindre un intérêt pour la polémique du moment
En finissant cette note, il me semble impossible de ne pas faire le lien évident avec Les irresponsables, de Johann Chapoutot, qui explique comment une panoplie d’incompétents de droite (et du centre) ont amené l’extrême droite au pouvoir. Les parallèles sont aussi saisissants qu’inquiétants.

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