Le cadre le 9 juin 2024, à 20h011
Afin de simplifier la lecture, nous classerons les tendances politiques comme suit :

Agrandissement : Illustration 1

A l’échelle nationale, les résultats des élections européennes de 2024 se présentent donc ainsi :

Agrandissement : Illustration 2

C’est face à ces résultats qu’E. Macron a pris (ou maintenu) la décision de dissoudre l’Assemblée Nationale.
Si ces résultats sont déjà plus qu’inquiétants, ils sont franchement dramatiques quand on les subdivise par circonscriptions.
En effet, sur 577 circonscriptions, on observe la distribution suivante :

Agrandissement : Illustration 3

Exception faite de l’Ext. Droite, aucune couleur politique ne peut sereinement regarder le tableau ci-dessus. Il est donc évident que des alliances sont nécessaires, ne serait-ce que pour atteindre l’Assemblée Nationale, sans même parler dès à présent des alliances nécessaires dans l’A.N.
Côté macroniste, on ne peut pas encore parler de franc succès.

Agrandissement : Illustration 4

Mais l’espoir subsiste… à plusieurs conditions. La première, et la plus accessible, serait un accord avec LR (cela aura lieu), la deuxième serait que la Gauche reste aussi désunie que durant les européennes et la troisième serait que le barrage républicain sauve (encore) le camp présidentiel.
Dans le cas d’une alliance LREM/LR, en se désistant dès le premier tour, le bloc centre-droit gagnerait une circonscription au 1er tour et se retrouverait en finale dans 413 autres. Parmi ces 413 finales, 383 auraient lieu face à l’extrême droite, effaçant de fait la Gauche.

Agrandissement : Illustration 5

Certes, l’Ext. Droite serait présente dans des centaines de duels (452), mais il suffirait d’appeler (encore) à un barrage républicain, qui ne couterait pas cher puisque la Gauche toute entière ne saurait dépasser les 108 sièges dans pareille configuration.
Voilà le scénario idéal pour la macronie. Achever une Gauche désunie, et se servir de ce cadavre comme strapontin face à l’Ext. Droite.
Si cela peut paraître brillant aux yeux de certains (à l’Elysée peut-être), nous ne pouvons ici faire l’impasse sur le risque encouru. Il suffirait que l’Ext. Droite gagne la moitié de ses duels pour qu’avec les 77 sièges déjà obtenus au 1er tour, elle atteigne 303 sièges à l’A.N. soit une majorité absolue et confortable.
En jouant avec la flamme (du FN), E. Macron a certes risqué de brûler la France, mais il était quelque part rationnel de penser que la Gauche resterait désunie, lui offrant ainsi un énième tête à tête contre le RN avec le rôle de sauveur de la République.
Mais cette pièce n’est pas au goût des électeurs (puis des partis) de Gauche, d’où le NFP.
La donne suite à la création du NFP
A la surprise générale, et suite à une campagne des Européennes durant laquelle les différents partis de Gauche n’ont pas manqué de s’écharper, le NFP fut créé… et cela change radicalement la donne :

Agrandissement : Illustration 6

En effet, si l’on se contente de considérer les 2 premiers à chaque fois, le camp LREM/LR ne gagne toujours qu’une circonscription au 1er tour, mais surtout ne se retrouve au 2nd que dans 120 circonscriptions… soit 3 fois moins que dans l’hypothèse d’une Gauche désunie ! Autant le dire tout de suite, ce n’était pas prévu par notre chef des armées…

Agrandissement : Illustration 7

L’Ext. Droite reste présente dans 437 seconds tours (soit seulement 15 de moins que précédemment), dont 317 contre la Gauche unie qui pourrait donc avoir la majorité absolue si le barrage républicain s’avérait trop résistant. D’ailleurs, la Gauche unie risquerait de passer de 4 sièges gagnés dès le 1er tour à 62. Ajoutant au risque d’une A.N. de Gauche.
Mais alors comment a-t-on pu arriver au résultat que l’on sait ? Comment sommes-nous retrouvés avec 3 blocs de tailles similaires ? Et surtout, est-ce qu’E. Macron s’est planté ?
Vote caché et barrage inégal2
Et s’il existait un vote caché pour le centre et la droite ?
Au soir du 9 juin 2024 (Européennes), les votes cumulés de LREM et de LR sont juste en dessous de 6 millions de voix, contre 8,5 millions pour les partis de Gauche et près de 9,4 millions pour l’Ext. Droite.
Mais au 30 juin (1er tour des législatives), ces mêmes partis de la Droite et du Centre cumuleront pas moins de 10,5 millions de voix, 440.000 voix de plus que la Gauche, et seulement 520.000 derrière les partis d’Ext. Droite.

Agrandissement : Illustration 8

Pour les 3 tendances principales, le nombre de votants a augmenté. Il ne s’agit a priori donc pas ici de dire que des électeurs seraient partis de la Gauche ou de l’Ext. Droite pour voter LREM/LR. On observe plutôt que le Centre et la Droite ont réussi à mobiliser plus d’électeurs restés chez lors des Européennes que les autres.
Ainsi, au lieu de 317 duels entre l’Ext. Droite et la Gauche unie, tel qu’une projection des Européennes sur les législatives l’aurait laisser penser, nous n’avons que 68 de ces confrontations au soir du 1er tour des législatives (en ne retenant que les 2 premiers) :

Agrandissement : Illustration 9

Comme nous pouvons le voir, l’apport de nouveaux électeurs, surtout du Centre et de la Droite, a radicalement changé la donne. En faisant fi des alliances, des triangulaires ou au contraire des désistements qui interviendront durant l’entre-deux tours, nous ne pouvons ignorer que l’Ext. Droite aurait pu être limitée à seulement 48 sièges si tous les votants du 1er tour des législatives s’étaient reportés exclusivement sur l’axe front républicain/RN. L’Ext. Droite ne sera pas loin de tripler ce nombre au soir du 2nd tour.
Dans cette hypothèse d’un solide front républicain, la Gauche aurait eu 225 sièges assurés contre 241 pour le Centre et la Droite (51 seconds tours auraient confronté ces 2 blocs). Pour atteindre la majorité absolue, le bloc Centre/Droite aurait du non seulement gagner TOUS ses duels face à l’Ext. Droite mais aussi 80% de ceux qui l’opposeraient à la Gauche unie. Autant le dire tout de suite, c’était inenvisageable.
Pire, en passant à 225 sièges (ou plus) la Gauche gagnerait au moins 74 sièges ! Il ne serait pas exagéré de dire que cela représenterait une catastrophe pour les macronistes. Ceci explique très largement la campagne d’entre-deux tours du Centre et des LR. Impossible pour eux d’énoncer clairement tout sauf le RN, au risque de se tirer une balle dans le pied.
Et ce barrage au rabais érigé par le Centre et la Droite a porté (pour eux) ses fruits :

Agrandissement : Illustration 10

Sur les 68 circonscriptions qui auraient du aboutir à un duel Gauche Vs Ext. Droite, 37 ont été remportées par cette dernière (30 RN, 7 Ciotti), soit plus de la moitié (54%) ! A l’inverse, sur les 214 affrontements entre le bloc centre droit et l’Ext. Droite, seuls 63 ont été gagné par le camp nationaliste, soit 29%. Le barrage érigé par la Gauche en faveur du Centre-Droit a donc été deux fois plus résistant que son homologue.
Conclusion
Sans surprise, E. Macron n’avait pas anticipé la création du NFP. Au contraire, il avait soit prévu de donner le pouvoir au RN qui sortait d’Européennes triomphales, soit prévu de se servir (encore) de la désunion de la Gauche pour appliquer sa politique.
La formation du NFP a rebattu les cartes et permis au camp macroniste d’étaler sa duplicité. Sans le lui, et avec un taux de réussite de 70% contre le RN (comme observé durant les élections) , la coalition LREM/LR aurait obtenu une majorité justifiant sa politique.
Loin d’ériger le barrage républicain dont il a si souvent profité, le camp macroniste a au contraire distiller des éléments de langage contradictoires pour tenter de garder la face tout en limitant la casse.
Ainsi, ni E. Philippe3 , ni LREM4 , ni Bayrou5 n’appelleront à faire barrage contre le RN en cas de duel avec le NFP. Pour LR, ce sera pire, puisque leurs électeurs seront plus nombreux à se tourner vers le RN que vers le NFP6 .
Au final, si la dissolution n’a atteint aucun des buts escomptés (détruire la Gauche et donner les pleins pouvoirs à l’Ext. Droite ou à l’alliance Centre/Droite) , le Centre et la Droite ont réussi à se maintenir au pouvoir, au prix d’une lecture… innovante de la Constitution. S
D’autant plus innovante qu’elle ne correspond en rien à l’évolution de l’A.N. :

Agrandissement : Illustration 11

Où la Gauche Unie passe de 151 à 192 sièges alors que le bloc Centre-Droit perd près de 100 sièges (de 313 à 215).
2 https://www.data.gouv.fr/fr/pages/donnees-des-elections/
3 « Aucune ne voix ne doit se porter sur les candidats du RN ni sur ceux de LFI » https://www.paris-normandie.fr/videos/a-la-une-le-havre/legislatives-2024-Edouard-philippe-donne-ses-consignes-de-vote?param01=x5vlqrf¶m02=01490263¶m03=27