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Prélude
Ici, les prairies humides de la Lande et de la Bretesche à Saint Grégoire. Ailleurs, dans d'autres territoires, des récits similaires peuvent exister. Cependant, étant propre à un contexte, chaque récit a sa raison d'être. La possibilité de multiplier les récits, les compiler, les comparer permettrait d'orienter les boussoles d'humain·e·s quelque peu perdu·e·s. Les débuts d'une relation entre humain·e·s, inexpérimenté·e·s et ignorant·e·s, et des prairies humides peuvent être décousus. Ainsi, faire le récit a posteriori d'un parcours initiatique en zone humide a quelque chose de laborieux. Nombre de directions ont été prises. Il est d'abord un chemin qui peut s'avérer absolument glacial et qui plus est écrasant : le plan d'urbanisme intercommunal du secteur, son zonage et ses règles d'aménagement. Puis il en est un autre à l'autorité intimidante : les sciences du vivant, de la pédologie à l'hydrologie. Quelques temps d'observation plus tard et une fois acté le rôle essentiel de toutes les zones humides, leur fragilité et leur disparition1, la rencontre avec des naturalistes2 a entrouvert les portes d'un monde jusque-là invisible et inaudible. Il faut aussi parler du compagnonnage avec des amis paysans, soucieux de la préservation des terres agricoles, ainsi qu'avec des associations de défense de l'environnement (Eau et Rivières de Bretagne, Bretagne vivante...), sans oublier certains responsables politiques qui ont su ne pas perdre de vue la protection de ces milieux. Tous ces chemins se sont entrelacés dans un jeu de ficelles improvisé (l'image est empruntée à Donna Haraway3), qui a permis non seulement de faire connaissance avec la zone humide mais aussi de freiner le projet d'extension du golf voisin4.
Sur le fil d'une approche sensible
Dans l'urgence de protéger ce territoire, le jeu de ficelles s'est enrichi de gestes et formes relevant de l'art ou non, participant de concert d'un apprentissage sensible pour aller vers, aller à la rencontre de, se rapprocher, respirer, sentir, voir et entendre l'horizon des prairies. L'intuition des liens entre humain·e·s et zone humide s'est doublée de la nécessité de retrouver, imaginer et expérimenter des attaches ainsi que des modalités de mise en relation. Des alliances ont alors été inventées pour cheminer collectivement. Ceci n'est pas un programme ni un projet duplicable, c'est un trajet en cours à destination inconnue.

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Documenter les prairies de la Lande et de la Bretesche
L'observation et la marche sont évidemment une porte vers la zone humide. Garder une trace photographique des prairies est d'abord un réflexe permettant de témoigner de la qualité paysagère du site. Puis, au fur et à mesure, sans véritable intention prédéfinie, un corpus se compose, disséminé parmi les photographes, comptant aussi bien amoureux·ses des lieux, visiteur·se·s de passage, artistes ou naturalistes. Certains motifs s'imposent : les tapis de graminées, les arbres bocagers, les fossés, la variété des habitats (roselières, bas marais, mares...), les chemins de promenade menant au halage et la rivière canalisée, l'Ille. L'attention peut aussi se porter sur la biodiversité : soit avec un regard novice, identifiant tout juste quelques plantes hygrophiles et s'extasiant devant un insecte inconnu ; soit avec des yeux plus avertis dénichant une espèce protégée.
Apprendre à lire un paysage s'instaure dans le temps long, notamment au fil des saisons. Revenir, répéter le même parcours, avoir l'impression d'avoir déjà frayé entre les branches d'un arbre, s'intéresser aux mêmes motifs été comme hiver, l'eau en plus. Sentir le sol spongieux, comprendre la topographie du terrain et le chemin de l'eau. Témoigner du rôle d'expansion des crues joué par les prairies. Surveiller sans cesse la rivière. Archiver les crues, leur récurrence et leur intensité. Acquérir une culture des crues.

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Par la photographie, il est malheureusement également possible de conserver les traces des atteintes faites aux prairies pourtant protégées et dédiées au fourrage : tontes rases intensives, installation d'un tracé de golf, pièges à taupes.

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Une cérémonie de vœux aux prairies
Par manque d'imaginaires, l'horizon des prairies peut se retrouver occulté. Ouvrir cet horizon peut consister à mettre en place des formes de sociabilité qui dépassent le cercle humain. Inspirée du baci laotien et du khi tes hmong, la cérémonie de vœux aux prairies est destinée à attirer des influences bénéfiques sur un territoire sensible. Le baci et le khi tes sont une cérémonie de rappel des âmes (un syncrétisme bouddhiste et animiste), qui accompagne tous les moments importants de la vie, de la naissance au mariage. Adaptée librement à l'occasion d'un solstice ou à chaque fois que l'envie s'en fait ressentir, la cérémonie rassemble dans un moment d'attention envers les prairies et souligne les solidarités nécessaires, humaines et extra-humaines, pour en soutenir l'horizon.

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Ces nuages qui courent là-bas...
La performance "Ces nuages qui courent là-bas... » de Gwenn Mérel1 peut traverser espaces urbains et espaces ruraux. La première marche a eu lieu en juillet 2021 à l'occasion des Tombées de la nuit à Rennes. Lors du solstice d'été 2024 et du workshop « Co-habiter la Lande » (septembre 2024), l'artiste a proposé deux marches. En partant des prairies de la Lande et de la Bretesche, les porteur·se·s de pulls nuages ont participé à l'arpentage du territoire tout en rendant l'arpentage visuellement observable en une lignée de nuages fendant le paysage et faisant corps avec les prairies.
Co-habiter la Lande
Le workshop de recherche-création « Co-habiter la Lande » avec des étudiant·e·s de l'ESAM Caen, mis en place par Laurent Buffet et Nikolas Fouré (septembre 2024), a d'abord consisté à connaître la zone humide, y passer du temps, l'observer, la parcourir sans véritable but. Et puis de manière libre, certains gestes ont été tentés : marcher autour d'un saule avec l'objectif d'en faire cent fois le tour et s'arrêter finalement au cinquantième à cause de la boue ; enfoncer des bouts de bois dans le sol pour éprouver cette terre d'eau... Des gestes initiatiques qui témoignent d'un dialogue avec la zone humide.

Sur les pas d'une écosophie sonore
Mené par Raphaële Jeune, Hilary Galbreaith et Erik Avert, un workshop a proposé à des étudiant·e·s (EUR CAPS, Rennes 2, EESAB) de se mettre en situation d'écoute des prairies humides (octobre 2024). Lors d'une balade d'écoute, s'arrêter, ne plus laisser la prédominance à la vue et faire une grande place à l'ouïe. Utiliser aussi des micros piezo imperméabilisés permettant de se glisser sous l'eau. Écouter, faire écouter et analyser les sons de la zone humide. Apprendre à dépasser les sons qui monopolisent l'attention humaine et s'ouvrir à d'autres sons, à cet horizon des prairies fait d'autres vivants. Ouvrir les imaginaires.
Écrire les prairies
Le travail de mise en récit de la zone humide ne fait que débuter. D'autres ficelles viendront s'y entrelacer et rendre possible l'horizon des prairies. Des ficelles qui pourraient raviver l'histoire agricole du territoire ou encore remonter vers la source de l'Ille...

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1 Selon l'OFB, "les zones humides sont sources de multiples bienfaits : rétention des eaux en période d'inondation ; préservation de la ressource en eau en période de sécheresse ; épuration de l’eau en particulier l’azote et le phosphore ; limitation de l’érosion des sols ; stockage du carbone ; régulation climatique ; fourniture de ressources naturelles (foin, bois, produits laitiers, poisson, viande, plantes médicinales…) ; réservoir de biodiversité pour de nombreuses espèces. Au-delà de ces services, les zones humides jouent également un rôle social, culturel, patrimonial et esthétique." (https://www.ofb.gouv.fr/les-zones-humides, 18/05/2025)
2 Naturalistes des terres : https://naturalistesdesterres.gogocarto.fr/map#/carte/@47.36,2.65,6z?cat=all (18/05/2025)
3 Donna Haraway, Vivre avec le trouble, Les éditions des mondes à faire, 2020.
4 Dans le cadre de la procédure de modification du PLUI de Rennes Métropole, une autorisation de construction (STECAL) avait été demandée par le golf de Saint Grégoire. A l'hiver 2024-2025, une mobilisation citoyenne a permis d'alerter sur ce projet et freiner l'ambition d'extension du golf dans la zone humide. L'émission "Curiocité" sur Canal b a dédié une émission à la défense des prairies humides de la Lande et de la Bretesche : https://canalb.fr/curiocite/7247 (18/05/2025)
5 Gwenn Mérel : https://linktr.ee/gwennmerel (19/05/2025)