Le pédalo qui louvoie, une stratégie gagnante ?
Hommage à Bigeard, compromis sur le mariage pour tous, maintien de la persécution administrative des Roms et des sans-papiers, soit tout le Vallsisme sécuritaire, toilettage homéopathique des institutions, prohibion maintenue pour le cannabis : on aurait tort de considérer les reculades du pouvoir comme des « couacs », ou de les vitupérer dans un registre moral comme des « fautes », des « trahisons », des « reniements » ou même des erreurs a priori. En ce domaine, la morale est une posture autogratifiante et un signe de faiblesse qui caractérise de plus en plus la gauche de la gauche et trahit son manque de perspective stratégique, que l’invocation des vieux gris-gris (Ve république, nationalisations) ne comble pas.
http://www.rue89.com/2012/10/04/philippe-corcuff-la-gauche-est-en-etat-de-mort-cerebrale-235834
Le PS, lui, a une stratégie maintenant bien apparente.
Il n’est pas indifférent que ces reculades symboliques se multiplient alors que l’UMP se déchire et s’extrême-droitise publiquement : il s’agit de gagner au centre et à droite à la faveur de la décomposition de celle-ci. Le PS fait ce qu’il sait faire, ce pour quoi il est programmé, de la stratégie électorale à l’échéance du mandat. Les prémisses de cette stratégie étaient déjà lisibles dans l’orientation proposée par Terra Nova («Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ? »), qui en formulait une version sociologique. Le gouvernement et le parti socialiste, conformément à l’habitus d’une classe politique professionnelle, dont l’objectif n’est pas d’abord de porter un projet politique de transformation, ou même de gestion de la société - agir sur les structures - mais de prendre le pouvoir ou de le garder – tel qu’il est, on ne change pas son écosystème nourricier, ni les institutions ni l’Europe politique ne feront un pas de plus - met maintenant cette stratégie en œuvre dans la géométrie électorale qu’on apprend à Science Po. en lisant René Rémond et Jacques Julliard. Ces animaux politiques raisonnent à cinq ans dans le meilleur des cas.
Ces manœuvres s’expriment sur des questions symboliques, car pour ce qui est de la politique sérieuse, les choses sont claires et peu avouables : la politique économique et sociale est déléguée aux experts économiques , à leurs relais et aux lobbies, et on ne dévie pas du libéralisme : payons la dette, sauvons les banques, au prix du pouvoir d’achat et des droit sociaux, et le pouvoir habille, ce n’est pas notre sujet ici, puisqu’il n’y a que des différences mineures sur ce point entre la « gauche » et la droite de gouvernement.
Comme Sarkosy qui tentait de se rééquilibrer électoralement à l’extrême-droite, Hollande tente de progresser à droite et au centre-droit en exploitant la logique des institutions et des forces politiques de la Ve république. Il entend plumer la volaille Modem, centriste et UDF à la faveur du brouillage des différences entre l’UMP et le FN, gageant que ces derniers, en concurrence, également empêchés de se distinguer ou de s’accorder clairement et globalement (ce qui n’empêchera pas les combinaisons locales), se neutraliseront, et y perdront suffisamment de plumes.
En empruntant cette voie, il passe la gauche de la gauche aux profits et pertes. Le calcul peut-être payant pour les raisons suivantes :
- plus l’adversaire de droite sera à droite, ou à la droite extrême, plus il bénéficiera in fine d’un réflexe légitimiste, culturel, de vote « à gauche », dans une mouvance bien plus large que celle du seul PS. Un vote sans adhésion, avec une forte abstention pour corollaire, que les forces organisées de ce qu’on peut appeler l’opposition de gauche ne parviennent pas à endiguer. C’était déjà un trait marquant de la présidentielle et des législatives...La continuation de la veine antisarkosy sans Sarkosy et du « vote utile ».
- Au premier tour, les soutiens directs de Hollande, son socle, pourrait-on dire, ne représentent qu’un gros quart du corps électoral. Les 11,1% de Mélanchon se sont avérés volatils dès les législatives et globalement recyclables. C’est un appoint non négligeable, mais insuffisant, mieux vaut gagner à droite, d'autant que la politique économique n'est pas négociable.
- On peut penser que la gauche de la gauche dispose d’un potentiel maximal de 15 à 18%. un niveau historiquement élevé dans la période récente, mais cela s’explique par la fusion, électorale dans un premier temps, puis, de plus en plus, organisationnelle (voir les ralliements récents, collectifs ou individuels), de forces auparavant dispersées, en premier lieu, la fin du NPA et de l’effet Besancenot. Il n’est pas irrationnel de penser que c’est l’étiage. Ce potentiel serait-il de 20% que cela ne changerait pas grand-chose. Ces gens là ne seront jamais en mesure de remporter la présidentielle, la seule élection qui compte et commande les autres. Enfin, plus le Front de gauche devient la maison commune de l’extrême gauche, plus il est susceptible d’accroître son influence au-delà des noyaux durs militants, mais plus, aussi, il devient volatil dans son électorat et plus augmentent les contradictions internes, tactiques et stratégiques dans ses appareils. Voir :
http://blogs.mediapart.fr/blog/claude-debons/211112/front-de-gauche-et-maintenant#comment-2804194.
Les moindres de ces contradictions ne sont pas :
- le souci de survie du capital d’élus du PC, tous plus ou moins tributaires des accords électoraux et de leurs alliances de gestion avec le PS dans les collectivités locales, pour former des majorités dans les exécutifs ou en raison des liens de dépendance (fortement amplifiés par le cumul des mandats) qui existent entre les collectivités de rangs différents : communes, intercommunalités, départements, régions.
- l’inconfort de la situation simultanée d’appartenance aux majorités locales et de positionnement national dans l’opposition (à éclipse ?)/ ou dans le soutien à géométrie variable, qui ne contribue pas à la crédibilité comme force alternative. S’agit-il de peser ou de construire une relève ?
Quel que soit la place où on les positionne géométriquement entre la droite et la gauche, et bien qu’ayant fait en 2012 des choix différents , EELV n’est pas dans une situation très différente, et le PS ne traite pas très différemment ses « idiots utiles ». Quelques avantages pour les appareils dans la mesure et tant qu’ils peuvent servir de caution, un confinement serré pour le reste, et pas question de transition énergétique, c'est l'autre grand point non négociable. L’acharnement sur le projet de Notre Dame des Landes signifie à peu près la même chose que « L’environnement, ça commence à bien faire » de Sarkosy aux agriculteurs. Et la gauche de la gauche, comme les militants écologistes, est « folklorisée », déconsidérée par le discours de riposte du gouvernement et du PS.
Que cela plaise ou non, cette voie peut mener durablement au pouvoir.
Pour la contrecarrer, nous ne voyons guère:
- qu’une rénovation et un retour en crédibilité de la droite peu probable en l’état actuel des choses
- ou la construction d’une alternative à gauche qui ne serait pas focalisée sur un programme national , sur le pouvoir d’Etat et les vieux mantras habituels. Ceci n’est peut-être pas si improbable que la rénovation de la droite, mais prendrait du temps, passerait forcément par une expérimentation politique qui modifierait profondément les pratiques et les contenus du pouvoir au niveau local, et par un renouvellement du personnel politique ici aussi.
-Pour sortir de cette équation figée, il faudrait aussi, en dehors des appareils, que la culture politique collective ne se limite plus aux problématiques franco-française, que ce qui se passe ailleurs soit considéré, que le notion de gauche elle-même, ce continuum historique ordonné, tombe en désuétude… La provincialisation nationale sera bien avancée avant que cela n’arrive !
A tout prendre, nous pensons plus probable la reconduction du PS au pouvoir d’Etat, le seul évènement (de conséquence ?) étant que les abstentionnistes finissent par devenir majoritaires sur fond de crise sociale larvée.…