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Billet de blog 30 novembre 2015

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Emploi et écologie : l'impossible pari néolibéral

La machine médiatique autour de la COP21 battant son plein, il n'est peut-être pas inutile de rappeler que la question écologique et la question sociale participent de cette géopolitique du chaos (I. Ramonet). Cette interdépendance n'est pas sans ouvrir une réflexion alternative sur la politique de l'emploi, à rebours des rodomontades érigeant la croissance en horizon indépassable...

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Alors que la machine médiatique autour de la COP21 bat son plein, avec son lot de bonnes intentions, de grandes résolutions et de discours aux accents volontaristes, il est fort probable que les véritables sujets soient discrètement éconduits des débats publics. Certes, hormis chez quelques irréductibles climatosceptiques, il est aujourd'hui majoritairement admis, sur toutes les chaînes de télévision, que le réchauffement de la planète représente un grave danger, voire une menace pour la survie de l'humanité. Et que cette rencontre au sommet – dont est toutefois exclue la société civile... – constitue une chance inespérée (la dernière, dit-on parfois, pour en accentuer sans doute la dimension dramatique).

Mais, au-delà du champ des discussions fortement balisé par les « experts » de tout acabit, il n'est peut-être pas inutile de rappeler que la crise écologique participe bel et bien de cette géopolitique du chaos (selon l'expression d’Ignacio Ramonet), laquelle établit un lien direct entre la question écologique (la détérioration des écosystèmes) et la question sociale (le creusement alarmant des inégalités, tant au niveau national qu'au niveau international). En d'autres termes, les enjeux écologiques – leur urgence – ne sont point indépendants du modèle économique dominant, fondé sur l'appropriation privative et le culte d'une croissance fortement responsable de la situation désastreuse actuelle. Bien que certains, parmi les voix officielles, reconnaissent une telle corrélation, les mesures radicales (c'est-à-dire celles allant à la racine des choses) qu'elle implique sont rarement jugées réalistes par les « décideurs », plus enclins à défendre un improbable capitalisme vert (Daniel Tanuro1), au nom d'une compétitivité péremptoire (globalisation oblige...), qu'un système socioéconomique alternatif – où la réduction des inégalités s'articule précisément à un mode d'organisation sociale et économique cherchant à minimiser notre empreinte écologique. Quoique la jactance néolibérale promeuve un consensus qui replie le réel sur lui-même (c'est bien connu : there is no alternative), cette vision n'a cependant rien d'irréaliste. Du moins, en paraphrasant Oscar Wilde, nous pourrions à l'inverse soutenir que le réalisme néolibéral, tant vanté par l'éditocratie officielle, traduit visiblement un manque manifeste d'imagination...

En ce sens, les vœux pieux de l'exécutif révèlent sans ambages les contradictions embarrassantes d'une vision misant tout sur une croissance (pourtant introuvable) : comment, en effet, proclamer la nécessité d'une réduction drastique des émissions de CO2, alors que le modèle proposé (à marche forcée) s'appuie sur une demande accrue en énergie (a fortiori en énergie fossile) ? Que l'on songe à la dilatation des horaires d'ouverture des magasins (la nuit et le dimanche), à la promotion de zones commerciales situées à l'extérieur des villes, à la libéralisation du transport par autocars, à l'accroissement des échanges commerciaux entre deux continents séparés par un océan de plusieurs milliers de kilomètres...

Dans la mesure où la politique économique à court terme gravite autour de l'« inversion de la courbe du chômage » (et pourtant, il augmente...), ces contradictions deviennent clairement insolubles. Alors que les différentes mesures, adossées à une politique de l'offre aporétique – qui comprime inévitablement la demande solvable –, renforcent la précarité (et donc l'augmentation des inégalités) au nom d'une nécessaire réduction du « coût du travail » (des salaires) et d'une flexibilisation « salvatrice » d'une main d’œuvre soi-disant engoncée dans ses « acquis sociaux » (sic !), une telle orientation ne peut apparaître que comme une pernicieuse fuite en avant consumériste... Non seulement freine-t-elle cette croissance tant espérée (et si éloignée...), mais elle contribue également à la rendre encore moins soutenable écologiquement... et moins souhaitable socialement...

D'abord, comme nous l'avons vu dans un précédent billet2, s'il n'existe point, dans la littérature académique, de corrélation forte entre flexibilité du marché du travail et création d'emplois, il y a, en revanche, de bonnes raisons de croire que cette fluidification exacerbée renforce de facto l'insécurité sociale (ce qu'ont d'ailleurs relevé les économistes de l'OCDE). Quant aux effets de la baisse du fameux « coût du travail » sur le taux de chômage, il semble tout à fait vraisemblable que les études qui y sont consacrées s'évertuent grandement à les surévaluer. C'est du moins ce que les recherches de l'économiste Michel Husson paraissent confirmer. Sans entrer dans les détails, il faut souligner que les chiffres avancés par les théoriciens orthodoxes sur la question reposent sur une conception fort élastique de la notion d'élasticité (par ce terme, il faut entendre l'impact d'une baisse du « coût du travail » sur la création d'emploi). Selon un consensus généralement admis dans la « communauté scientifique » (consensus déjà fort contestable, tant il correspond à une donnée théorique faiblement étayée empiriquement), cette élasticité serait comprise entre 0,6 et 0,7 (autrement dit, pour une baisse de 1 % du « coût du travail », il y aurait une hausse effective de l'emploi comprise entre 0,6 et 0,7 %). Or, les statistiques mobilisées par les économistes mainstream tendent à imposer l'idée que la baisse des « charges » aurait permis le maintien et/ou la création d'environ 800 000 emplois (si l'on se fie, par exemple, aux publications d'un auteur comme Pierre Cahuc), soit une élasticité, calculée à partir d'une exonération d'environ 22 milliards d'euros (pour l'année 2009), de 1,4 !3 In fine, nous pourrions ajouter que la formule « maintien et/ou création » demeure fort problématique d'un point de vue épistémologique : en effet, si la création d'emplois peut être facilement quantifiable, leur maintien l'est beaucoup moins – cette position suggérant d'emblée un parti pris méthodologique... et idéologique.

D'où la nécessité de se détourner du « culte de la croissance » (Jean Gadrey4), essentiel au dogme néolibéral. Car son emprise nous empêche justement d'envisager des solutions pérennes et des politiques davantage en harmonie avec une vision écologique conséquente (à long terme), où la dimension qualitative (le bien-être) ne serait plus une abstraction « idéaliste », où le sens du travail se matérialiserait concrètement – et librement – dans un rapport attentif au monde.

Loin d'être le reflet d'un lyrisme relevant d'une quelconque utopie, ce refus d'un tel dogme renvoie à au moins quatre « réalités » :

  1. La croissance économique est de plus en plus énergivore et étend davantage son empreinte écologique (qui ne se limite pas aux seules émissions de gaz à effet de serre)5.

  2. Les capacités productives excédant structurellement les possibilités d'absorption des marchandises produites, le gaspillage des ressources (la désuétude planifiée) devient in concreto le mode privilégié de consommation.

  3. Si l'on suit les prédictions de Thomas Piketty (et celles d'autres chercheurs), l'essoufflement observé des gains de productivité laisse présager de longues décennies de croissance très faible – et donc de chômage endémique –, rendant toute politique axée sur cette dernière à la fois irréaliste (sinon hasardeuse) et socialement injuste (les gains de productivité étant aujourd'hui essentiellement captés par les classes dominantes).

  4. Enfin, participant à cette course à l'échalote, appelée savamment « concurrence libre et non faussée », l'idéologie de la croissance entrave toute véritable coopération internationale, pourtant essentielle au vu des menaces globales que fait peser sur l'humanité le capitalisme néolibéral.

Ces dernières remarques devraient nous conduire à explorer d'autres chemins, convergeant vers une politique de l'emploi socialement et écologiquement cohérente, que le paradigme néoclassique dominant, dont les « considérations scientifiques » rejoignent curieusement les intérêts de l'oligarchie, délaisse délibérément... Parmi ces pistes, notons : la réduction du temps de travail (contraint)6, l'essor d'emplois privilégiant le low-tech au high-tech7 (dont le déploiement et la généralisation correspondent bel et bien, dans un tel contexte de stagnation, à une hausse du taux d'exploitation, ce qu'exprime parfaitement cette tendance à l'ubérisation de l'économie), la création d'emplois publics répondant davantage à la demande sociale qu'à la maximisation des profits, la relocalisation de certaines activités (services de proximité) visant à assurer le bien-être des populations concernées...

Autant de solutions, non exhaustives, qui tournent résolument le dos à une conception productiviste de l'économie... Et si le pari néolibéral est forcément voué à l'échec, il importe, plus que jamais, de relancer les dés à nouveau, afin que notre monde ne devienne point tout simplement inhabitable8...

1TANURO, D., L'impossible capitalisme vert, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond/La Découverte, 2010. Voir aussi : COUTROT, T., « Peut-on repeindre le capitalisme en vert ? », dans Jalons pour un autre monde possible, Paris, Le Bord de l'eau, 2010, pp. 49 à 82.

2COVA, H, « Le Chêne (social) et le roseau (néolibéral) : la fable de la flexibilité », Médiapart, 8 septembre 2015.

3Voir : HUSSON, M., Créer des emplois en baissant les salaires ?, Editions du Croquant, 2015.

4Voir : GADREY, J., « Croissance, un culte en voie de disparition », Le Monde diplomatique, Novembre 2015, pp. 18-19.

5Voir : BONNEUIL, C., « Tous responsables ? », Le Monde diplomatique, Novembre 2015, pp. 16-17. Comme le rappelle l'auteur, « alors qu'il avait suffi de + 1,7 % par an de consommation d'énergie fossile pour une croissance mondiale de 2,1 % par an dans la première moitié du XXe siècle, il en faut + 4,5 % entre 1945 et 1973 pour une croissance annuelle de 4,18 % ». Et la tendance est aujourd'hui loin de s'inverser...

6Voir : HUSSON, M., op. cit.

7Voir : GADREY, J. art. cit.

8BENSAÏD, D., Le Pari mélancolique, Paris, Fayard, 1997.

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