HARPAGES

Abonné·e de Mediapart

28 Billets

0 Édition

Billet de blog 7 avril 2023

HARPAGES

Abonné·e de Mediapart

Rebondir et redonner de l'espérance!

La crise sociale, politique et démocratique que nous vivons depuis bientôt trois mois montre clairement les limites de la démocratie représentative française. Les secousses actuelles devraient pouvoir trouver un débouché afin de revivifier la démocratie

HARPAGES

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

                Le bruit de la colère venu de la rue ces dernières semaines, à la suite du passage en force de la loi sur la réforme des retraites, dont on ne cesse de clamer son inutilité et son iniquité, n’introduit pas le moindre doute dans l’esprit d’un Emmanuel Macron déterminé à vouloir continuer à marche forcée[1].

 La brutalité des forces de police, inscrites dans une chaîne de commandement remontant jusqu’à l’Elysée, via le Palais de la place Beauvau, n’a pas fait reculer les manifestants dont les revendications dépassent désormais le cadre de cette réforme. Les 30 000 personnes réunies à Sainte Soline le 25 mars afin de protester contre un autre projet inutile ainsi que la participation plus massive de la jeunesse lycéenne et étudiante aux cortèges protestataires témoignent de la volonté d’ajouter à la revendication centrale -l’abandon de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans- de nouveaux mots d’ordre. Ceux-ci relèvent à la fois de la critique radicale du système agro-industriel délétère et de l’appel à une revitalisation de la vie démocratique.

Les secousses vigoureuses qui ébranlent aujourd’hui la société française seront-elles suivies de nouvelles répliques susceptibles de faire trembler le pouvoir présidentiel qui, sous une apparente sérénité, attend le verdict du Conseil constitutionnel le 16 avril prochain ? Rien n’interdit d’y penser car l’annonce de la validation de la loi constituerait, à n’en pas douter pour celles et ceux qui protestent depuis la mi-janvier, une nouvelle provocation.

Le système représentatif dysfonctionne

                Président mal réélu depuis à peine une année, Emmanuel Macron dispose d’une légitimité institutionnelle que lui contestent aujourd’hui bon nombre de Françaises et de Français.  Pourtant, inflexible, provocateur, cynique, montrant à qui veut l’entendre son mépris par l’idée de sa propre supériorité, il retourne l’argument et diffuse le 21 mars le message suivant : « La foule n’a pas de légitimité face au peuple souverain qui s’exprime à travers ses élus. » La veille, son dévoué Ministre de l’économie et des finances Bruno Lemaire tenait à peu près ce langage : « J’ai été élu trois fois député dans des circonscriptions populaires. Si je fais de la politique, c’est d’abord pour les Français, c’est pour la France ! »[2]

Les intentions sont à peine voilées : les élections imposent une délégation de pouvoir au profit de l’élu.e qui est la pièce maîtresse du dispositif républicain. C’est l’élu.e qui , à l’appui du mandat confié, dispose de l’initiative et l’électeur ou l’électrice est convié.e à s’effacer, de sorte que sa prise de parole publique et inopinée, dans la rue, à l’aide de slogans protestataires et revendicatifs devient, selon les mandaté.e.s, illégitime et menaçante. La co-décision n’est plus de mise dans ce système électif, les parlementaires sont désignés par le vote, les électeurs doivent se taire et ce silence confère, par enchantement, aux représentant.es la vertu et la légitimité indispensables à la prise de décision sans qu’ils ou elles ne soient redevables de cette délégation de pouvoir auprès des représenté.e.s. Les comptes ne sont que très rarement rendus. Le plus souvent les citoyennes et citoyens sont condamné.e.s à subir un spectacle prétendument démocratique dont la mise en scène leur échappe. En conséquence, Il n’est pas certain que le peuple, délesté ainsi de sa souveraineté, soit en capacité de s’exprimer à travers ses élu.e.s.

Aux yeux d’un certain nombre d’historien.ne.s et de politistes[3], la méthode élective de désignation des représentants participe , au lendemain de la Révolution Française, à la naissance d’une nouvelle forme d’aristocratie faite de celles et ceux qui disposent d’un certain mérite, d’une prétendue sagesse voire d’une distinction qui les éloignent du peuple, souvent dépeint comme ignorant, incapable de jugement, crédule et apathique. Nul doute que Bruno Lemaire, chargé d’une mission au service de la France et accomplie, faudrait-il en douter, avec abnégation, se sente appartenir à cette aristocratie qui le distingue fort heureusement des Françaises et des Français ! L’honneur et l’avantage de gouverner imposeraient donc l’excellence. Il s’agirait d’être gouvernés par les meilleur.e.s car l’élu.e appartient à l’élite sociale et culturelle de la Nation et il en est ainsi depuis l’instauration des premières élections en Amérique et en France au XVIIIème siècle. On se gardera de dire que depuis 1958, dans l’hexagone, les représenté.e.s ont pu ériger, grâce aux institutions, un contre-pouvoir face au pouvoir officiel désigné par le vote.

La volonté affichée en 1789 par quelques révolutionnaires français de mettre fin aux privilèges aristocratiques masquait, en réalité, leur peur du peuple de la rue. Relisons ce qu’écrivait l’Abbé Sieyès, l’un des principaux théoriciens de la Révolution Française, le 7 septembre 1789 :« Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. »[4] Le message, malicieusement diffusé voici quelques jours, par Emmanuel Macron ne fait-il pas étrangement écho aux propos de l’auteur du pamphlet subversif ‘’Qu’est-ce que le Tiers état ?’’ ? « Puisque ma présidence est légitime, en raison de l’élection gagnée en mai 2022, remettre en cause cette légitimité, c’est s’attaquer à l’ordre républicain et semer le désordre », oserait-il préciser. Certes, mais la légitimité que lui confèrent les institutions doit être clairement distinguée de sa crédibilité. Son obstination, son aveuglement, son insensibilité, son isolement, son autisme, son détachement ne le rendent plus crédible aux yeux de la foule française qui est loin d’être une médiocre populace.

Les décisions politiques prises, en France, par les représentants illustrent davantage la persistance d’un système aristocratique que l’affirmation d’une authentique culture démocratique. Le républicanisme superbement affiché par nos dirigeants, à quelque niveau de responsabilité que ce soit, leur permet d’enfermer l’individu dans le rôle exclusif de l’électeur discipliné et d’ignorer, de fait, toutes les autres dimensions du citoyen. Son analyse critique, sa capacité à délibérer, sa force de proposition, son intelligence sont soigneusement mises en sommeil au nom d’une république ‘’anoblie’’ et instrumentalisée. La verticalité du pouvoir, sa centralité et par suite, celle de la décision politique au travers d’un cheminement législatif soigneusement préparé, sont plus que jamais confortées. N’oublions pas qu’une république sortie des urnes, comme la troisième du nom, dirigée entre 1871 et 1873 par Adolphe Thiers qui écrasa la Commune, peut être conservatrice et anti-démocratique !

Lutter contre la déliquescence annoncée de la démocratie

Le déficit démocratique, que nous subissons depuis plusieurs décennies et qui s’est creusé avec l’arrivée d’un président jupitérien en 2017, pourrait-il être résorbé grâce aux interventions du Conseil constitutionnel lequel serait le dernier rempart contre la déliquescence annoncée de la démocratie puisqu’il est autorisé à contrôler les lois jugées non conformes à l’intérêt général ? Saisi récemment à la fois par le gouvernement et les parlementaires d’opposition, offrirait-il une nouvelle espérance à une majorité de Françaises et de Français indigné.e.s à l’idée de devoir prolonger leur vie active de deux années supplémentaires ? Gardiens de la Constitution, les sages de la rue de Montpensier -puisque c’est ainsi qu’ils sont désigné.e.s-  n’échappent pas hélas, étant donné leur trajectoires personnelles,  aux influences extérieures et rédigent, en vérité, des conclusions disposant d’un contenu politique idéologiquement orienté et dépourvues du strict respect du droit. Le Conseil constitutionnel impose ‘’une version tronquée et discutable de la Constitution qu’il est chargé de faire respecter’’ déclare Lauréline Fontaine, professeur de droit public et constitutionnel.[5]

Le détournement de procédure adopté par le gouvernement qui a introduit cette réforme des retraites dans le cadre inadapté de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale -se détournant ainsi de la loi ordinaire- risquerait de ne pas être sanctionné par le Conseil ‘’des sages’’ qui hésiterait, pour des raisons plus politiques que juridiques, à déclarer inconstitutionnelle l’intégralité de la loi contestée. Se refusant d’écouter le bruit de la rue, il prendrait alors la lourde responsabilité d’attiser la colère sociale. La réforme du Conseil constitutionnel semble donc indispensable. Pour le moins, il serait souhaitable que la porosité existante entre les trois Présidents (de la République, de l’Assemblée Nationale, du Sénat) et le Conseil constitutionnel soit éliminée et que les sages désignés disposent avant tout d’une solide formation juridique.

Cette réserve de rage libérée[6] par l’insolence d’Emmanuel Macron et de son gouvernement pourrait-elle se dissoudre à terme, dans la résignation, en raison d’un découragement des manifestant.e.s après plusieurs semaines de contestation et de remise en cause de la verticalité du pouvoir présidentiel? On peut le craindre ! Pourtant, il est indispensable que ce mouvement social, qui secoue en profondeur la société française, trouve un débouché afin que le pronostic vital de la démocratie ne soit pas engagé.

La nécessaire cohabitation entre démocratie directe et démocratie représentative

 Afin de surmonter la crise institutionnelle que nous vivons, il serait sans doute judicieux de revisiter les grands principes de la démocratie athénienne qui effaça la distinction entre politiciens et citoyens puisque ces derniers disposaient de la liberté en partage. « Le principe de base de la constitution démocratique c’est la liberté. […] Et l’une des formes de la liberté c’est d’être tour à tour gouverné et gouvernant. » écrivait Aristote[7], exprimant, de surcroît, sa préférence pour le tirage au sort, le jugeant plus démocratique que l’élection. La professionnalisation de la vie politique, sa spécialisation fragilisent, il est vrai, la démocratie car la représentation nationale s’autorise à gouverner non plus dans l’intérêt des représenté.e.s mais , le plus souvent, dans celui de sa réélection. En vérité, nous sommes très loin d’un gouvernement de chacun par tous et de tous par chacun à tour de rôle[8]qui serait pourtant en prise directe avec les citoyennes et les citoyens.

Plus modestement que ne l’envisageait Aristote, il serait possible de réinjecter régulièrement une bonne dose de démocratie dans la société civile par l’intermédiaire des conventions citoyennes, en retenant le principe du tirage au sort athénien. A la suite d’une pétition réunissant plusieurs milliers de signatures et exigeant l’analyse d’un sujet d’intérêt général, des citoyens ordinaires désignés par le hasard pourront accéder à la compréhension de la complexité de ce sujet en se forgeant une vraie compétence. Des spécialistes aux propositions contradictoires les informeront, avant de leur laisser le temps de débattre et de délibérer, de s’extraire de leurs visions et de leurs préoccupations personnelles, pour parvenir à offrir sans pression, en toute indépendance, des propositions les plus justes possibles. On se souvient du travail remarquable réalisé par la Convention Citoyenne pour le Climat à qui Emmanuel Macron avait adressé un ‘’Allons-y Agissons !’’ revigorant avant d’ajouter quelques mois plus tard avec mépris et sans le moindre scrupule : ‘’Et bien là, j’ai cent cinquante citoyens, je les respecte comme des parlementaires mais ce n’est pas parce que les citoyens ont écrit un truc que c’est la Bible’’[9]. La désinvolture du chef de l’État n’enlève rien à la qualité de l’engagement démocratique de cette convention, salué par de nombreuses associations écologiques. Souhaitons que les conclusions de la récente Conférence Citoyenne sur la fin de vie, dont la dimension sociétale ne doit pas être sous-estimée, subissent un sort plus conforme au respect de la démocratie directe qui devra, à l’avenir, retrouver toute sa place.

Le professeur de droit constitutionnel Dominique Rousseau affirme que la représentation est indispensable à la démocratie mais à condition d’éliminer la représentation-fusion- pour laquelle les deux corps, représentés et représentants, fusionnent, les premiers disparaissant de la scène politique au profit des seconds- et de promouvoir la représentation-écart qui voit renaître le pouvoir des représentés sur les représentants. « La représentation est précisément cette scène qui offre aux hommes la possibilité de ‘’sortir’’ de leurs déterminations sociales, de ne plus se voir dans leurs différences sociales, mais de se représenter comme des êtres de droit égaux entre eux. »[10] Se représenter, c’est-à-dire se reconnaître, se percevoir, se définir comme des êtres disposant de droits citoyens et expérimentant la délibération pour le bien commun.

Quelques-unes de ses propositions mériteraient d’être étudiées et elles pourraient inspirer les partisans d’une VIème république[11]. Il conviendrait, selon lui, d’affaiblir le présidentialisme et de redonner du poids au parlement qui désignerait le Premier Ministre, lequel réunirait le Conseil des Ministres à Matignon et non à l’Elysée. L’introduction du vote à la proportionnelle conduirait le parti vainqueur à constituer des coalitions comme c’est souvent le cas en Allemagne. Si la coalition implosait, le gouvernement tomberait et entraînerait dans sa chute l’Assemblée Nationale. Il faudrait, de surcroît, inscrire dans la Constitution des assemblées primaires de citoyennes et de citoyens réunies dans les circonscriptions électorales. Toutes les électrices et tous les électeurs en seraient membres de droit et devant ces assemblées populaires précise-t-il : « les député.e.s auraient l’obligation de soumettre tous les projets et les propositions de lois avant qu’ils ne soient débattus à l’Assemblée Nationale. » Les citoyens en délibèreraient et disposeraient d’un droit de regard sur le vote exprimé au Palais Bourbon afin de juger de la conformité du texte voté au regard de leurs propositions. Le système représentatif et la démocratie directe pourraient ainsi cohabiter avantageusement.

Il suffirait de presque rien

Cette cohabitation ne passerait sous silence aucune problématique et surtout pas celle qui est devenue centrale en raison des dégâts causés à la biosphère qui mettent en péril la vie des humains et non-humains. Suivant cette perspective, la démocratie impliquera une relocalisation de l’action politique instituante tout aussi nécessaire que la relocalisation de la production. Au travers d’un processus démocratique le plus direct possible, qui n’exclut pas les représentants placés néanmoins sous contrôle des représentés, nous devrons décider collectivement de ce que nous produisons, de comment nous le produisons en redéfinissant la richesse, laquelle sera faite principalement de ce que les hommes parviennent à réaliser afin de satisfaire le décent, le suffisant, le nécessaire de manière à proscrire toute forme de gaspillage. Alors, nous nous donnerons la chance de contrôler l’économie et la vie politique pour les mettre au service de nos intérêts humains.

Le mouvement social mis en œuvre depuis janvier dernier et qui a déjà fait la démonstration de sa force et de sa détermination, appuyées sur une unité syndicale inédite, pourrait offrir l’opportunité de revivifier durablement la démocratie qu’elle soit sociale, directe ou réelle ! C’est avec cette tonalité que s’exprimait récemment Michèle Riot-Sarcey, historienne : « Puisque nous avons affaire à une foultitude de militants, de grévistes, de responsables parfaitement conscients de la situation, pourquoi ne pas profiter de cette unité syndicale extraordinaire ? Il ne faudrait pas grand-chose si les organisations syndicales, réunies aujourd’hui, décidaient d’organiser un grand débat à l’échelle nationale mais aussi à l’échelle locale. […] Chacun, à tous les niveaux, pourrait argumenter. La liberté, c’est le pouvoir d’agir ! »[12] Un peuple savant, capable de jugement, incrédule et ardent pourra retrouver toute sa liberté en agissant.

[1] Interview exclusive le 22 mars sur TF1 et France 2

[2] Interview BFM/RMC le 20 mars

[3] Lire par exemple Contre les élections, David Van Reybrouck, Babel essai 2014 mais aussi : Radicaliser la démocratie, propositions pour une refondation, Dominique Rousseau, Seuil, 2015,

[4] Cité par Dominique Rousseau, Op.cit. p 24

[5] Lire :  Du bon usage de la Constitution, Le Monde Diplomatique, avril 2023

[6] Lire sur Médiapart le beau texte de Nicolas Mathieu : Savez-vous quelle réserve de rage vous venez de libérer ?

[7] Les politiques, Livre VI, chapitre II

[8]  Aristote, op.cit

[9] https://www.youtube.com/watch?v=lvkewyupR_8

[10] Op.cit. p 36

[11] On peut retrouver ces propositions ici : https://www.alternatives-economiques.fr/citoyens-doivent-participer-a-fabrication-lois/00106061

[12] Voir sur Médiapart : https://www.mediapart.fr/journal/politique/100323/mettons-la-reforme-la-retraite-notre-emission-speciale. (L’intervention de Michèle Riot-Sarcey se situe à 2h39)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.