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Billet de blog 13 août 2022

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Réagir avant qu’il ne soit trop tard ! 4/4

L’avenir n’est plus ce qu’il était ! La guerre en Ukraine, la menace nucléaire, la crise alimentaire, le dérèglement climatique, les feux gigantesques de l’été, les inondations meurtrières, autant d’épisodes anxiogènes de la modernité face auxquels nous devons impérativement réagir. Ces désordres du monde constituent une opportunité à saisir pour modifier notre trajectoire

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4.Cheminer autrement

Alors que la guerre en Ukraine s’installe dans la durée et que les désordres écologiques -mégafeux, sécheresse en Europe, inondations de l’été aux Etats Unis- se font plus menaçants, le virage que nous devons négocier opportunément aujourd’hui se dessine donc ici autour de trois orientations : le questionnement du nucléaire, l’avancée vers une souveraineté alimentaire et la relocalisation solidaire et internationaliste d’une grande partie des activités productives. Bien évidemment, d’autres chemins seront empruntés. Pour l’occasion, il ne serait pas absurde de revisiter les sept ‘’R’’ proposés par Serge Latouche en complément de celui, déjà abordé, de la relocalisation.[1]

Ainsi Réutiliser, Recycler ! Des initiatives déjà anciennes, qu’il conviendra de prolonger tout en déprogrammant, en amont, l’obsolescence de tous les objets et outils d’usage quotidien.

Que l’on soit ou non animé par le désir de mettre en examen la croissance économique et d’en objecter la légitimité, l’obligation de ‘’Réduire’’ s’imposera bien qu’il ne s’agira pas de décroître pour décroître, ce serait tout aussi insensé que de croître pour croître. Réduire évidemment la durée du travail, revendication portée par une gauche écologiste et radicale mais remise en cause de manière récurrente par les forces conservatrices et réactionnaires incarnées notamment aujourd’hui par la Macronie. Travailler moins pour travailler tous, travailler moins pour vivre mieux, travailler moins pour vivre vieux et redonner du sens à notre quotidien, prendre le temps de prendre son temps. Réduire évidemment la consommation d’énergie, réduire l’utilisation de l’automobile, réduire son poids et sa vitesse, réduire impérativement le trafic aérien, réduire le gaspillage d’électricité en éliminant les écrans publicitaires qui encombrent nos villes, en éteignant les vitrines après la fermeture des magasins, réduire l’utilisation des pesticides et des engrais de synthèse avant de promouvoir l’agroécologie, réduire le nombre de gadgets et des objets jetables, réduire le volume des déchets…Et toutes ces réductions seront imposées aux plus gros pollueurs qui détruisent la planète en raison d’une consommation ostentatoire, démesurée, appuyée sur des revenus hors normes !

Ce ne sont là que quelques propositions à retenir et qui soulignent l’urgence de la stratégie d’une décroissance souhaitée, anticipée. Accompagnée par ailleurs d’une croissance de la qualité de l’eau, de l’air, de l’alimentation, d’une croissance des soins procurés à autrui, d’une croissance de l’utilité sociale des biens et services produits, d’une croissance de l’isolation thermique des lieux de vie et de production, d’une croissance des emplois socialement précieux, d’une croissance des transports publics rendus accessibles à tous, particulièrement aux ménages les plus précaires et aux utilisateurs contraints de l’automobile, la gratuité des autobus urbains étant dans ce domaine une heureuse initiative.

Aussi Redistribuer ! Serge Latouche suggère une redistribution de la terre, au Nord comme au Sud, en militant contre la destruction des sols (liée à leur artificialisation ainsi qu’à la sècheresse, aux inondations, aux incendies) mais également la redistribution du travail subordonnée à la réduction de sa durée. Une réforme des retraites, conforme aux vœux des français qui ne souhaitent pas travailler au-delà de soixante ans, sera courageusement défendue face à la contre-réforme programmée du gouvernement actuel, laquelle demeure fidèle à la doctrine néo-libérale de l’allongement de la durée d’activité. Quant à l’échelle des rémunérations, il faudra bien s’y attaquer afin d’espérer avancer vers davantage d’égalité. On peut penser à l’instauration d’un revenu maximum, objet également d’une délibération démocratique qui en fixera le plafond (10, 15, 20 fois le SMIC ?...), de manière à empêcher la distribution de revenus démesurés, obscènes, injustes et injustifiés auprès de nantis, détachés de la simple réalité sociale et ignorant tout de ce qui est décent, suffisant, nécessaire.

« L’imaginaire de notre époque, c’est l’imaginaire de l’expansion illimitée, c’est l’accumulation de la camelote : une télé dans chaque chambre, un micro-ordinateur dans chaque chambre…c’est cela qu’il faut détruire. Le système s’appuie sur cet imaginaire qui est là et qui fonctionne. »[2] déclarait Cornélius Castoriadis au début des années 2000. Il nous invitait déjà à reconsidérer les valeurs dominantes de nos sociétés modernes et à changer d’imaginaire. C’est donc là encore à un travail de Reconceptualisation, de Réévaluation auquel il faudra urgemment s’atteler. « S’autolimiter individuellement et collectivement, […] c’est-à-dire savoir qu’il y a des choses qu’on ne peut pas faire ou qu’il ne faut même pas essayer de faire ou qu’il ne faut pas désirer. » [3]ajoutait le philosophe, sociologue, et psychanalyste.

De même, pourquoi ne pas tenter de redéfinir la richesse qui pourrait provenir, selon le souhait de William Morris, compagnon de route, en 1884, d’un marxisme en gestation, de « la beauté que l’homme crée quand il est véritablement homme, volontaire et réfléchi »[4] ? Pourquoi ne pas prendre en compte, avant tout, les urgences sociales et écologiques plutôt que de se soumettre inlassablement aux injonctions de l’économisme, du productivisme, de l’extractivisme et du travaillisme ? Le travail, précisément, doit être repensé. L’homme créateur, inventif ne se reconstruira que s’il peut déployer sans précipitation, à l’abri du chronomètre, son intelligence, que s’il sait à nouveau faire bon usage de la lenteur, que s’il parvient à solliciter conjointement ses facultés manuelles et intellectuelles, à privilégier la polyvalence sur la spécialisation chère à Adam Smith, à sacrifier la quantité au profit de la qualité, à convoquer le plaisir et l’émotion, à restaurer l’autonomie de la volonté et celle de la pensée.[5]

Enfin la Restructuration des rapports de production pourra s’inspirer du logiciel marxiste puisque la sortie du capitalisme deviendra, tôt ou tard, une évidence. Ce système est au bord du gouffre ! Mais la sortie du capitalisme ne suffira pas car l’entrée dans un univers débarrassé des chaînes de l’aliénation et de l’exploitation, proche d’un socialisme libertaire à rebours des sombres expériences passées, exigera de nous libérer également d’un productivisme asservissant et dévastateur.

« Je pense que nous devrions être les jardiniers de cette planète » disait Castoriadis[6]. Sans nul doute, nous faudra-t-il faire usage de l’espace naturel comme nous faisons usage de la langue. ‘’Faire usage de’’, ce n’est pas ‘’utiliser’’, propose la philosophe Joëlle Zask [7]. L’utilisation génère une exploitation, une soumission, une destruction de la chose dont on veut s’emparer. L’usage de la langue la maintient à la disposition de chacun qui, en retour, se dote de savoirs et de relations sociales inestimables. De même, le bon usage par l’homme de la nature la préserve, la soigne et la restitue à celles et ceux qui lui succéderont. Par exemple, l’expérimentation de pratiques culturales responsables, réfléchies, autogouvernées, nourries des traditions du paysan qui se cultive en cultivant, offrira aux futures générations de nouvelles expérimentations tout aussi prometteuses. L’hypothèse d’un autogouvernement de l’homme dans sa relation à la nature qui favoriserait un autogouvernement politique ouvrant la voie d’une démocratie revivifiée, n’est pas à exclure. Il n’y a pas de contradiction entre l’écologie et la démocratie déclare encore judicieusement Joëlle Zask. Osons affirmer que l’autogouvernement qui préside pour chacun à l’élaboration de savoirs inscrits dans tous les domaines de la vie ainsi qu’à la mise en œuvre, réciproquement, du processus si précieux d’individuation sera, selon toute vraisemblance, le préambule d’un autogouvernement de la société dans son ensemble.

En décidant collectivement, à travers un processus démocratique le plus direct possible, de ce que nous produisons et de comment nous le produisons, nous nous donnons une chance de contrôler l’économie afin de la mettre au service de nos intérêts humains. La radicalité revendiquée ici doit se traduire par une auto transformation explicite de la société et bouleverser maints aspects de la vie collective. Une nouvelle réalité sociale ne peut se concevoir et se construire que par l’action telle que l’entendait Hannah Arendt : l’action politique autorisant les hommes à se défaire de la seule obéissance et de la simple exécution des lois. Agir et réagir sans que le désir de gouverner verticalement devienne une fin en soi, agir et réagir pour éliminer d’abord la souffrance et l’injustice, agir et réagir pour échapper au fatalisme du désordre écologique, au conservatisme social et politique, à la résignation. Agir et réagir grâce à la paradoxale pluralité d’êtres uniques car « l’action, en tant que distincte de la fabrication, n’est jamais possible dans l’isolement ; être isolé, c’est être privé de la faculté d’agir. »[8]Tous les hommes-acteurs sont potentiellement auteurs de nouvelles règles sociales à la condition de vouloir les faire surgir.

[1] Le pari de la décroissance, Pluriel 2022.

[2] Post-scriptum sur l’insignifiance, L’Aube, poche essai, 2004, p 37

[3] Ibid, p 36

[4] ‘’Travail utile et vaine besogne’’ in La civilisation et le travail, Le Passager clandestin, 2013, p 37

[5] Lire Mourir au travail ? Plutôt crever ! Ce qu’est le travail, ce qu’il pourrait être, Didier Harpagès, Le Passager clandestin, 2017

[6] Ibid p 37

[7] Ecologie et démocratie, Premier parallèle, 2022, p 79

[8] Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, Pocket, coll ‘’Agora’’, 2012, p 246

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