Ce weekend de mai aura été riche d’activités culturelles autour de l’Algérie, avec notamment l’ouverture de l’exposition sur Baya au musée de la Vieille Charité et la projection en présence de la réalisatrice Adila Bendimerad, du film « la dernière reine » au cinéma l’Alhambra. L’occasion pour moi de faire dans ce texte un retour synthétique sur les relations multiséculaires entre Marseille et l’Algérie.
Les relations entre Marseille et l'Algérie remontent à l’Antiquité. D’abord façonnées par des échanges commerciaux, elles devinrent au fil des siècles politiques et culturelles, créant des liens humains profonds et fertiles entre les deux rives de la méditerranée.
Dans l'Antiquité, Massalia, colonie grecque prospère située sur la côte méditerranéenne, entretenait déjà des relations commerciales actives avec les territoires de l'actuelle Algérie. Terre ou les berbères avaient constitué le riche et prospère royaume de Numidie. Les échanges portaient évidement sur des produits tels que le blé, l'huile d'olive, les métaux.
Au cours de l'époque romaine, la cité phocéenne devint un port clé du commerce méditerranéen. Les liens entre Massalia et l’Afrique du nord ; intégrée à l’empire Romain après la fin du royaume fondé par Massinissa ; permettront la diffusion de la civilisation latine dans le nord de l’Afrique
Au Moyen Âge, Marseille après avoir subi quelques raides des musulmans arabo-berbères devint rapidement une ville au cœur des échanges entre l’Europe, l’Orient et le Maghreb comme le décrit bien Fernand Braudel dans ses différents ouvrages géo-historiques autour de la méditerranée. Les liens commerciaux entre la cité Phocéenne et les ports d’Alger et de Bejaïa font la richesse de certains commerçants marseillais.
La fin des grands royaumes berbères musulmans qui règnent sur l’Algérie, comme les Hammadites, puis les Zianides, et la Reconquista espagnole qui menace désormais le Maghreb lui-même, provoque l’intervention après sollicitation des populations algériennes, des ottomans et du célébré Barberousse c’est d’ailleurs le sujet de l’excellent film « la dernière reine »
Avec le temps les ottomans finiront par ne plus exercer qu’un magistère moral sur une Régence d’Alger devenu État et qui entretient des relations diplomatiques orageuses avec les nations européennes, en raison de la piraterie intensive des algériens qui écument à cette époque les mers, qui croisent au large des rivages provençaux et qui iront même jusqu’à hisser leur voile aux larges de l’Islande !
La course, c’est ainsi que l’on nomme cette période de piraterie, servira entre autre de prétexte, en plus du coup d’éventail, pour justifier l’intervention de la France en Algérie en 1830. Or, il est désormais connu qu’au moment où les troupes françaises débarquent à sidi fredj ce funeste matin de juillet, il y a longtemps qu’il n’y a plus de corsaires dans le port d’Alger.
Durant la période coloniale, les relations entre Marseille et l'Algérie furent profondément transformées. Marseille devint le principal point de départ des colons français et des militaires se rendant en Algérie. La ville va jouer un rôle majeur dans l'administration et l'approvisionnement de ce qui est d’abord une colonie avant de devenir trois départements. En 1907 les premiers ouvriers algériens qui arrivent de Kabylie débarquent à Marseille pour faire tourner les savonneries marseillaises.
La première et surtout la seconde guerre mondiale vont davantage renforcer ces liens. Il faudra tout le courage et l’abnégation des tirailleurs algériens pour délivrer la ville de l’occupation nazi en 1944. Après s’être vaillamment battus pour la France, c’est désormais eux même que les algériens chercheront à libérer, et le FLN portera le combat de l’indépendance jusque dans l’Hexagone, avec notamment la série d’attaque spectaculaire sur les réservoirs pétroliers de Mourepiane près de l’Estaque. De l’autre côté de la ville, au sud, les Baumettes accueilleront plus de 630 combattant indépendantistes dont l’iconique Daniel Timsit. A la fin de la guerre c’est un ancien joueur de l’Olympique de Marseille, Ahmed Ben Bella qui devient le premier président de la nouvelle république algérienne.
Marseille devient peu à peu une terre d’accueil pour des dizaines de milliers d’algériens, contribuant fortement à la diversité culturelle de la ville. Cette présence importante connaitra aussi son lot de malheur avec le dramatique épisode des ratonnades de 1973.
Pointés du doigt dans le journal Le Méridional par un éditorial de Gabriel Domenech clamant : « Assez de voleurs Algériens, de casseurs Algériens, de fanfarons Algériens, de proxénètes Algériens, de syphilitiques Algériens, de violeurs Algériens, de fous Algériens », de nombreux algériens furent assassinés gratuitement. Le plus jeune Lounès Ladj tué de trois balles avait seulement 17 ans. Bien que dramatique et parfois peu connue, cette période sombre de la ville ne remit jamais en question la présence algérienne et sa forte intégration dans le creuset marseillais.
Les marseillais d’origine algérienne sont désormais tellement nombreux qu’il est difficile de les comptabiliser. Première communauté de la ville, il est rare désormais de trouver un natif de la cité phocéenne dont l’histoire personnelle n’est pas de près ou de loin liée à l’Algérie. Que les racines soient en Kabylie, dans les Aurès, ou en Oranie, quelles soient sépharades, pieds noir, ou harkis, les marseillais portent tous un peu l’Algérie en eux. Et le Marseillais le plus connu à travers le monde se nomme Zinédine Zidane.
Aujourd’hui le récit de cette épopée commence à peine à être narrée, il a fallu attendre 2022 pour qu’a l’initiative de la majorité municipale de gauche, une école qui portait le patronyme du bourreau de la conquête de l’Algérie : Bugeaud, soit rebaptisée du nom d’un héros : Ahmed Litim Tirailleur algérien. Et depuis 2023 toujours dans les écoles, chaque 12 janvier les petits marseillais et les petites marseillaises ont désormais droit à un déjeuner spécial nouvel an berbère.
La nouvelle génération de SOS Racisme porte le merveilleux projet d’un Office Franco-Algérien de la jeunesse, s’il venait à voir le jour, le siège d’un tel lieu aurait évidemment toute sa place à Marseille.
Nous l’avons vu, Marseille et l’Algérie se regardent depuis le fond des âges, une ville et une terre qui ne se font pas face, mais qui au contraire ont souvent fait front contre les tempêtes du monde. Dès lors peut être, peut-on oser imaginer, que malgré cette déjà riche et multiséculaire relation, la profonde histoire d’amour entre Marseille et les algériens ne fait que commencer.