L'histoire de la Seconde Guerre mondiale est souvent relatée à travers le prisme des grandes puissances victorieuses et des figures emblématiques qui ont joué un rôle central, tant sur le plan politique que militaire, dans ce conflit. Cependant, derrière ces récits largement connus se cachent des histoires moins mises en lumière, celles des hommes venus des colonies pour défendre une terre qui n'était pas la leur. Parmi eux, les tirailleurs algériens occupent une place singulière : avec un contingent de 134 000 hommes[1], ils représentent la plus grande force coloniale engagée dans l'effort de guerre. Pourtant malgré cette contribution immense, un étrange silence continue d'entourer leur mémoire.
Les régiments de tirailleurs algériens, en grande partie constitué de jeunes hommes issus de milieux pauvres et ruraux, ont joué un rôle capital dans les combats qui ont conduit à la libération de la France et de l'Europe. Souvent recrutés sous la contrainte ou sensible à la promesse de meilleures conditions de vie, ces hommes ont combattu sur tous les fronts, de l'Afrique du Nord aux campagnes d'Italie, des terres de Provence, à la Rhénanie Allemande.
Malgré leur courage et leur dévouement, les témoignages écrits des tirailleurs algériens restent rares et parcellaires. Cette absence de récits est due à plusieurs facteurs, d’abord évidemment au très faible taux d'alphabétisation des populations non européennes en « Algérie française », également le manque de reconnaissance officielle dû à un système colonial qui n'encourageait pas la documentation de leur expérience et encore moins leur visibilité dans le champ historiographique. De plus, le retour au pays, après la guerre, a souvent été marqué par l’horreur de la répression des événements du 8 mai 1945. En rentrant chez eux, ils retrouvaient également la pauvreté de leur milieu d'origine, qui ne leur offrait pas les moyens de faire entendre leur voix. Enfin, il est impossible de ne pas mentionner la guerre d'Algérie, durant laquelle de nombreux anciens tirailleurs rejoindront le FLN pour libérer leur pays de la domination coloniale. Leur transition de vétérans de la seconde guerre mondiale à adversaires de la France coloniale les a inévitablement effacés des récits de l'Histoire officielle de l’Hexagone.
Le silence entourant l'expérience des tirailleurs algériens est d'autant plus lourd qu'il est contrasté par l'importance de leur contribution. En première ligne lors des batailles les plus féroces, que ce soit à Monte Cassino ou à Marseille, ces soldats connus pour leur vaillance subiront des pertes humaines considérables. Dès lors il est d’autant plus triste de constater que leur rôle dans la libération de la France a longtemps été minimisé, voire négligé, par les récits officiels. Les rares témoignages qui existent ont souvent été collectés bien plus tard, à une époque où beaucoup de ces anciens combattants avaient déjà disparus.
Ce manque de reconnaissance et de documentation a contribué à une invisibilisation de leur histoire. Les récits de ces hommes, qui auraient pu offrir un point de vue unique sur la guerre, sont restés enfouis, créant ainsi un vide dans la mémoire collective et notamment dans celle de certains de leurs descendants directs, qu’ils soient binationaux ou français d’origine algérienne.
Aujourd'hui, il est plus que jamais nécessaire de combler ce vide et de redonner aux tirailleurs algériens la place qu'ils méritent dans l'histoire de la Libération. Cela commence par l'inscription de leurs noms dans l'espace public, à l'image de l'initiative de la ville de Marseille, menée par son maire Benoît Payan, qui a baptisé une école en l'honneur d'Ahmed Lithim[2], l'un des héros de la bataille de Notre-Dame de la Garde. Enfin, il est crucial de créer des lieux de mémoire où le parcours héroïque de ces combattants pourra être narré et relayée, permettant ainsi de raconter leur histoire dans toute sa complexité.
L'histoire des tirailleurs algériens est une histoire de bravoure, de sacrifice, mais aussi de souffrance et de silence imposé. C'est une histoire qui reste à raconter, pour que les générations futures puissent comprendre la véritable portée de leur contribution à la libération de notre pays et pour que ces hommes obtiennent enfin la reconnaissance qu'ils méritent.
En fin de compte, rendre hommage aux tirailleurs algériens, c'est non seulement reconnaître leur rôle dans le passé, mais aussi affirmer la nécessité de ne jamais laisser le silence s'imposer sur les récits de ceux qui ont combattu pour la liberté. Il est temps de redonner une voix à ces hommes et de faire vivre leur témoignage, afin de leur rendre la place légitime qui leur revient dans l'histoire.
[1] https://www.liberation.fr/evenement/2006/09/25/le-quart-des-pertes-de-l-armee-francaise-entre-1939-et-1945_52398
[2] https://information.tv5monde.com/afrique/il-y-80-ans-les-tirailleurs-algeriens-liberaient-marseille-2737270