Que les centrales nucléaires explosent de temps à autre dans les pays qui consomment l’électricité ainsi produite, après tout, cela peut être un risque assumé par les habitants et leurs élus politiques qui bénéficient de cette énergie.
De là à prétendre que le nucléaire est une énergie « propre » ou « verte » comme le laisse entendre la propagande diffusée sur les ondes radiophoniques françaises après l’entente européenne sur la prolongation du nucléaire et du gaz comme énergies dites de « transition », il y a une imposture monumentale, une falsification grossière de réalités basiques concernant l’avant et l’après usage du combustible nucléaire.
Un héritage toxique pour des centaines de milliers d’années
Dans ces effets d’annonce, rien ne filtre sur l’impossibilité de véritablement traiter les déchets nucléaires en désamorçant leur toxicité active à très long terme. A l’échelle humaine, il s’agit d’une pollution éternelle. La décroissance radioactive de ces déchets peut prendre en effet de plusieurs décennies à des centaines de milliers d’années, selon les informations publiées sur le site « Vie Publique » du gouvernement[1]. Les déchets radioactifs - gravats, débris, poussière, outils, vêtements de protection, combustibles usés, pièces usagées, etc - émettent des rayonnements dont les risques pour la santé et l’environnement ont été longtemps dissimulés à l’opinion publique malgré plusieurs rapports publiés sur leurs conséquences sanitaires[2].
Les seules solutions proposées jusqu’à présent consistent à « isoler » ces déchets. Bel euphémisme renvoyant à deux types d’opérations. Avant 1993 (Convention de Londres sur la prévention de la pollution des mers), les déchets coulés dans du béton ou confinés dans des fûts étaient immergés au fond des océans. Ensuite, ils ont été gérés sur terre dans des centres de stockage en béton armé. Ces derniers sont aujourd’hui en voie de saturation. La question du programme à venir des lieux de stockage des futurs déchets radioactifs dont le volume va croître n’est pour l’instant pas sérieusement abordée.
L’uranium du Sahara et la fausse indépendance énergétique de la France
Autre volet de la mise en oeuvre de l’énergie nucléaire : l’extraction du minerai. Une grande partie de l’uranium utile aux centrales françaises provient du Sahara central, dans la partie du territoire touareg devenue « nigérienne ». Le Niger, Etat héritier de la colonisation française, est en Afrique le premier des pays producteurs d’uranium[3]. 97% de cette production sont destinés à l’exportation. Après une baisse de la demande suite à la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011 au Japon[4], la nouvelle orientation énergétique récemment promue par le gouvernement Macron relance la filière[5]. Dans l’Aïr, au nord du Niger, la prédation et la pollution des terres des pasteurs et des agriculteurs touaregs, de leurs ressources hydriques, végétales et animales indispensables à la vie des habitants, vont donc se poursuivre et s’amplifier. Dans cette région, l’une des plus peuplées du Sahara central, de nombreux permis de prospection et d’exploitation dont le nombre exact n’est pas connu ont été accordés par les autorités sans que la population n’en soit avertie. Des milliers d’hectares autour d’Arlit ont été ravagés ou continuent de l’être (pour ne donner que deux exemples, à Madawela (ancien site du Commissariat à l'Energie Atomique) où une superficie de plus de 243 km² est annexée par le groupe canadien GoviEx ; ou encore à Azeleg, mine laissée à l’abandon, sans enfouissement des éléments contaminés, par la Compagnie nucléaire nationale chinoise qui avait interdit manu militari aux habitants l’accès à leur propre puits et qui a détruit le site archéologique d’une ville commerciale médiévale importante dans l’histoire du commerce transsaharien). La relance du nucléaire permettra à l’entreprise minière française Orano Mining – issue de la filiation industrielle française Areva, Cogema, CEA (Commissariat à l’Energie Atomique) – de reprendre son projet grandiose de la plus grande mine d’uranium à ciel ouvert d’Afrique occidentale sur le site touareg d’Imouraghen (à 80 km au sud d’Arlit). Pour l’extraction et le lavage de l’uranium, les acides polluent la nappe et les ressources naturelles si intensément qu’il serait envisagé, selon des informations locales, de déporter les habitants nomades hors de chez eux, à plusieurs centaines de km à la ronde de la mine.
Une industrie de mort
Détruire les ressources locales des habitants (qui eux ne produisent aucun gaz à effet de serre et n’ont jamais bénéficié de l’électricité ni d’aucune sorte de compensation pour le saccage de leur vie et de leur économie), les expulser de chez eux, attenter à leur santé et à celle de leurs troupeaux, polluer les nappes d’eau souterraines, anéantir la vie locale au profit des multinationales, voici la face cachée et inacceptable de la « décarbonation » dans le scénario nucléaire français. Comme le dit Almoustapha Alhasen, fondateur de l’ONG Aghir n iman (« bouclier de l’âme » en touareg) : « nous avons hérité de la pollution durable »[6]. Depuis 2002, son ONG se bat pour faire reconnaître l’impact des activités d’extraction de l’uranium dans l’Aïr, au nord de l’actuel Niger, sur l’eau, l’air, la flore et la faune de la région[7]. D’autant que les entreprises minières françaises et leurs filiales n’ont pas respecté la règlementation internationale sur les précautions destinées à préserver la santé et l’environnement, laissant par exemple à l’air libre des collines de résidus dispersés par les vents sahariens. La main d’œuvre embauchée localement dans les chantiers miniers travaillait sans protection vestimentaire ni consignes sanitaires, empoisonnée et malade, comme le documente le film sur Arlit (nord du Niger) d’Amina Weira, La colère est dans le vent (2016).
Que deviendront les populations interdites de vivre chez elles par cette politique énergétique prédatrice des Etats riches ? Quel avenir pour les Touaregs qui, lorsqu’ils réclament leurs droits légitimes, sont diabolisés et parfois même traités de « terroristes », un terme qui a le pouvoir d’offrir un véritable permis de tuer aux puissances internationales ?
Pour conclure, loin d’être une « énergie d’avenir » comme l’a proclamé le président français Macron le 10 février 2022 à Belfort, le nucléaire – dont la promotion repose sur un mythe, celui d’assurer l’indépendance énergétique de la France[8] – dépend d’abord d’un combustible importé. Par ailleurs, il représente une véritable industrie de la mort pour les populations minorisées dont le territoire est riche en minerai. C’est le cas de l’Aïr en pays touareg, au nord de l’Etat du Niger où des activités extractives polluantes sont menées sans précaution depuis 50 ans par l’entreprise française baptisée aujourd’hui Orano Mines (dont l’Etat français détient la majorité des parts) et par ses filiales. Le résultat de cette activité est la dépossession territoriale, la paupérisation et la condamnation à mort des habitants de ce territoire saharien (comme l’évoque ci-après le poète Hawad dans son ouvrage Irradiés). Le nouvel objectif légitimant de la « neutralité carbone » se fait au bénéfice de la « France conquérante » (selon les termes mêmes du président Macron) et d’autres pays riches qui polluent impunément la planète, s’inscrivant dans un scénario néocolonial bien connu. C’est-à-dire au détriment total de la vie, de la santé, des moyens de survie et de l’avenir saccagé des Touaregs. Jusqu’à quand ?
Pour que tournent les réacteurs / de France et de Navarre / nuit et jour, hiver et été, / et que brille Paris / il a fallu me faire culbuter /dans les ténèbres abyssales / Planche carapace tortue / Arlit mon échine / à plat ventre j’avance sous le fardeau / de cinquante millions de tonnes / de bouse et sciure toxiques
Nous les momies du Sahara / nous avons soif / nous sommes calcinées / Et pourtant à coups de grenades dynamites / les gorges ventouses d’Areva / chaque jour pompent de nos veines / deux cent millions de mètre cubes / d’eau, notre sève sang / eau sang feu
Hawad, Irradiés, traduit la tamajaght (touareg), Portique Nomade, Agadez, 2015 9
[1] https://www.vie-publique.fr/eclairage/18465-nucleaire-comment-traiter-les-dechets-radioactifs
[2] Voir les rapports de la CRIIRAD (https://www.criirad.org/association/association.html ) ; voir aussi par exemple pour le Canada le rapport détaillé de Dewar D, Harvey L, Vakil C., L’extraction de l’uranium et la santé, Can Fam Physician, 2013, 59 : 469–71. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3653668/
[3] La production d’uranium était estimée à 2991 t en 2020, selon la BCEAO.
[4] Pour l’analyse des conséquences, voir https://www.greenpeace.fr/catastrophe-nucleaire-de-fukushima-quelles-consequences/
[5] Les mines d'Arlit au Niger, exploitées par Areva, ont apporté depuis les années 1970 la majeure partie de l'uranium français.
[6] Radio-France, 2017. https://www.francetvinfo.fr/sante/environnement-et-sante/exploitation-de-luranium-au-niger-nous-avons-herite-de-la-pollution-durable_2378413.html
[8] Voir en particulier l’ouvrage de Raphaël Granvaud, Areva en Afrique: Une face cachée du nucléaire français, Agone, 2012.
[9] Voir du même auteur Sahara. Visions atomiques (2003, Paris-Méditerranée, Paris) au sujet des 17 essais nucléaires menés par la France au Sahara entre 1960 et 1966. En matière de déchets nucléaires français, l’expérience des Sahariens est violente. Les zones immenses contaminées par les essais atomiques français effectués avant et après la colonisation avec l’accord des autorités algériennes à Reggane, puis dans l’Ahaggar à In-Ekker entre 1960 et 1966, n’ont fait l’objet jusqu’à aujourd’hui d’aucune remise en état de l’environnement des zones affectées, d’aucun enfouissement profond du matériel abandonné, d’aucune assistance sanitaire aux victimes civiles de ces essais d’armes nucléaires, ni bien sûr d’aucune sorte de compensation.