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Billet de blog 12 septembre 2025

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C'est la crise, gardez la monnaie !

Balade dans le Paris bobo chic en feuilletant Le Point

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Au cœur de Paris, dans ce quartier jadis petit bourgeois aujourd'hui grand bobo, je flâne  sur des traces de mon adolescence. Le bistro est maintenant une banque, la boucherie s'est transformée en agence immobilière, l'épicier a muté en marchand de sacs à la mode devant lequel une cinquantaine d'impatientes attendent leur tour pour entrer et s'offrir la marque de leur fantasme. Je ne reconnais plus ma rue. 

Tiens l’horloger dans la petite impasse est toujours là. Je pousse la porte prenant prétexte de resserrer le bracelet de ma montre. L'homme de mon âge est sympathique, je lui dis que j'habitais jadis à côté et que je trouve le quartier bien changé. «  Mon bon monsieur, la rue ruisselle de pognon  » me dit-il  «  pour certain l'argent n'a pas de valeur...hier j'ai vendu en moins de dix minutes un chronomètre Suisse à 50 000 euros  » Et de m'expliquer que l'objet que l'on porte au poignet est un marqueur social. Tout autant et même plus que la bagnole car vous pouvez l'exhiber partout. Et puis ajoute-t-il «  quand vous roulez dans une bagnole à 400 000 euros, vous ne pouvez pas regarder l'heure sur une montre de moindre prix  !...il vaut mieux paraître dans le monde en basket, jean, t-shirt et une Rolex Daytona au poignet qu'en costume de chez Dior avec le ruban rouge à la boutonnière  !  » 

Un peu assommé, je prends congé et m’en vais m'affaler plus loin sur la banquette d'un estaminet où je commande négligemment au garçon condescendant un double expresso bio avec une demie Chateldon, histoire de lui en montrer. Il me propose la lecture des journaux sur un plateau. 

Je feuillette Le Point. 

Le nouveau Premier ministre est en couverture «  Opération Lecornu. Peut-il y arriver  ?  » Mais oui, voyons  ! D'ailleurs, l'article raconte tous les talents de l'homme providentiel. Depuis le berceau, le monde entier sourit à Sébastien. Il faut dire qu'il est appliqué et sérieux. On ne lui connait que des amis. Le voici avec Stephane Bern, et ici avec Brigitte. Avec le couple Macron il est comme cul et chemise nous dit-on. Sur toutes les photos, il incline la tête, le regard est modeste. Il est tout en douceur, tout en retenue, même entouré de ses copains ministres ou avec Darmanin ou à coté du Président qui lui sert à boire un verre d'eau. Un encadré raille sa garde robe. D'évidence son costume n'est pas du sur mesure de grand faiseur et ses chaussures ne viennent pas de chez Hermes . Bref c'est un Premier ministre ordinaire qui ne la ramène pas. Tiga, sa fidèle compagne, une superbe braque hongroise prend la pose assise sur une fauteuil, un peu arrogante, le museau en  l'air. 

Je lis aussi en diagonale les articles des journalistes prépondérants aux patronymes arabes qui tapent sur les islamo-gauchistes pour flatter les certitudes des lecteurs du Point. Une intéressante statistique  m’apprend que 800 millionnaires ont fuit la France. Sapristi, où sont-ils partis  ? À Dubaï pardi aux côtés de 9 000 autres «  réfugiés fortunés  » de tous les pays qui y ont trouvé asile cette année ! À la même page, j'apprends que les obligations souveraines obéissent à la loi de l'offre et de la demande «  tout comme le foie gras et les courgettes  » Étonnant non  ? 

Le plus fascinant à découvrir dans Le point, c'est la pub. Celle des croisières pour rêver de voguer sur les fiords ou aux Caraïbes «  une semaine à partir de 5 290 € par personne  »… pour oublier que la taxe foncière a doublé dans la plupart des ville de France à l'exception de Paris qui s'est contenté de la majorer de 20% parait-il. 

Je passe rapidement sur un article  qui rappelle la complicité de Jean-Marie Le Pen avec Mitterrand  (à gauche ou à droite ?) Je parcoure quinze lignes lassantes sur l'interview du patron de Blakwater la multinationale des mercenaires. J’expédie un papier sur la dette. Je lis en soupirant les pages sur la rentrée littéraire. La promo des bouquins ressemble à celle de la foire au vin. On a l'impression que les rédacteurs n'ont pas pris la peine de goûter aux millésimes et qu’ils ont reproduit texto les communiqués dithyrambiques des attachés de presse. 

Je m’attarde sur les 14 pages «  spécial mode  » qui présentent une top model déesse noire que l'on croirait sortie d'un roman de Paul Morand. Hélas, le journal ne mentionne ni son nom ni son 06. Elle est habillée par différents hauts couturiers qui c'est selon, la mettent en valeur où affichent leurs chiffons. L'harmonie est sublimée chez Valentino, Givenchy et Louis Vuitton. 

Plus loin, voici quelques montres de dame, idées cadeaux pour généreux en mal d'imagination : la petite ronde de chez Dior à 7 100 €, la carrée de Chanel à 15 500 €, la double bracelet de Bulgari à 75 000 €. 

Et voici le bolide de 541 chevaux pour faire bondir monsieur: une très moche Porsche orange à 247 200 € «  hors options  »… pour aller au Cap d'Antibes, où Le Point nous recommande «  le rab d'été  » d'un chef étoilé avec menus de 150 à 195 €. 

Des annonces immobilières sélectionnées proposent une villa à Biarritz pour 7 600 000 € et un pied à terre à Paris seulement 3 400 000 € qui pourraient me convenir si je n’étais pas si dépouillé. Avant d’aller me rhabiller je feuillette négligemment le catalogue de fripes et de colifichets vulgaires : futal à 160 €,  liquette à 120 €, une veste à 3 400 €, des baskets à 360 €.... C’est la crise !

Je rends le journal au serveur avec un billet de 20 € «  gardez la monnaie  !  »  

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.