HEDY BELHASSINE

Abonné·e de Mediapart

278 Billets

0 Édition

Billet de blog 27 septembre 2025

HEDY BELHASSINE

Abonné·e de Mediapart

Le volcan arabe (3) l'espérance de la jeunesse

Un arabe sur trois a moins de 14 ans, un sur deux moins de 20 ans. C'est une force totalement connectée, massivement inemployée et politiquement marginalisée. Face à cette marée de jeunesse, le pouvoir est confisqué par une classe politique sclérosée dont l'unique projet est de défendre ses prébendes.

HEDY BELHASSINE

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Peuples jeunes gouvernés par des gérontes

L'âge moyen des dirigeants est de 69,6 ans. Le président palestinien et le roi d'Arabie Saoudite ont 89 ans  ! 

Mais plus que l'âge, c'est la longévité au pouvoir qui illustre sa fossilisation : 26 ans pour les monarques du Maroc, de Jordanie et de Bahreïn, ainsi que pour le président de Djibouti; 20 ans pour le président palestinien. 

Ces dominations interminables contrastent avec la durée médiane du pouvoir en Europe, qui est de 2 ans mais correspond à «  l’âgisme  » de Poutine, 72 ans dont 25 au pouvoir, de Loukachenko 70 ans dont 31 et d’Orban 62 ans dont 19. 

La dictature est gage de longévité.

À cette singularité de l’âge, s’ajoute celle de la personnalité des dirigeants.

La religion, socle de la légitimité du pouvoir

Le roi du Maroc cumule le titre de «   Commandeur des croyants   » et celui anachronique de président du comité Al-Qods. 

Le roi d’Arabie dont le drapeau national est gravé de la profession de foi se prévaut de la qualité «  Gardien des deux Saintes Mosquées   ». 

Celui de Jordanie est un Hachémite issu de la tribu du prophète. 

Les Houthis du Yemen se targuent d’une filiation avec les sada (Hachémites). 

Les Abu Saïd d’Oman descendent des Azd tribu de la conquête musulmane des années 630. 

Tous les autres souverains revendiquent une légitimité et une spiritualité de lignée plus ou moins marquée 

D'un autre côté, alors que les décolonisations du siècle dernier avaient porté au pouvoir des  dirigeants républicains laïcs en Égypte, Syrie, Tunisie, Irak, Yemen, Algérie...leurs successeurs pour combler l’absence de légitimité démocratique s’approprient la religion. Ils multiplient l'usage de la langue liturgique,  abondent en citations du Coran et des Hadiths,  engagent la construction de gigantesques mosquées.

La mise en scène de leurs apparitions et leurs discours populistes concourent à les présenter comme les messagers en charge de soulager les fardeaux de la vie (qui n'est qu’un bref passage vers un au-delà radieux). Ils abusent sans vergogne du fatalisme religieux et indiciblement se présentent comme  les inspirés du très haut, qui discernant le pur de l’impur, les charge de dénoncer les mécréants, les  déviants. Autant d’habillage et de prétexte à persécuter et à éliminer tous les  opposants, y compris et surtout -ce qui est une performance - les islamistes. 

On notera que les  révolutions arabes de 2011 en Tunisie, Libye, Irak, Égypte, Syrie, Algérie, Soudan, Yémen étaient des mouvements séculiers, qui ont été récupérés à la faveur des élections libres par les islamistes, puis balayés par les forces réactionnaires restauratrices de la dictature qui se sont entre temps appropriées leur « catéchisme ».

Des dirigeants formatés à l’étranger

Écoles et universités arabes sont abondantes et de qualité. 89 d'entre elles figurent au classement des 500 meilleures au monde. Pour autant, elles sont dédaignées par les dirigeants.

Le roi de Jordanie, l’émir du Qatar, le prince héritier d’Oman sont diplômés de l’Académie militaire Britannique de Sandhurst. 

Le cheikh président des Émirats arabes unis a fait ses classes dans une école militaire du Colorado. 

Le Maréchal d’Égypte et roi de Bahrein ont été doublement formés au métier des armes en Grande Bretagne et aux États-Unis. 

L’émir du Kuwait est diplômé de l’académie de police du Royaume Uni. 

Le roi du Maroc est un juriste diplômé de Nice. 

Le Sultan d’Oman est un historien sorti d’Oxford. 

Le Premier ministre libanais est docteur en histoire, docteur en sciences politiques et diplômé en droit de Harvard. 

Seulement trois dirigeants arabes n'ont pas été formés à l'étranger  : le président algérien Tebboune sorti de l'ENA d’Alger, le président tunisien Said diplômé de  droit à Tunis et le Prince saoudien Mohamed ben Salmane  juriste de l’université de son papa. 

Aucun ingénieur, aucun économiste dans cette énumération où prévalent les formations  dans des académies militaires anglo-saxonnes. Cette «  vassalité  culturelle  » explique sans doute la déconnexion des dirigeants avec les réalités nationales.

Enfin dans l’énumération de ces excellences, il convient de souligner l’absence de représentation féminine. Des femmes siègent dans la plupart des gouvernements mais pour la figuration.

Ordre public et régimes policiers

L’index de la gouvernance et de la justice publié en 2024 par l’ONU place les Émirats arabes-unis au 39 ème rang mondial. Le citoyen y serait bien plus en sécurité qu’en France. 

Cette statistique flatteuse confond justice et régimes policiers. 

Il y a dans les pays arabes en moyenne 5,3 agents de sécurité pour 1 000 habitants soit plus du double qu’en Europe ou aux États-Unis. Chiffres records pour les Émirats 10/1000, la Tunisie 6,7/1000 et la Syrie 6/1000. 

À ces  fonctionnaires de police il faut ajouter les mouchards, les informateurs, les rapporteurs, les propagateurs de rumeurs, les dénonciateurs...toute une armée d’auxiliaires de la répression de la pensée, celle des «  moukhabarat  » dont il est prudent de compter un ou deux affidés dans son entourage.

Alors qu’en 2011, les réseaux sociaux avaient été l’outil du réveil démocratique, il est aujourd’hui celui d'un flicage généralisé qui entrave toute liberté d’expression. L’opinion exprimée sur un smartphone aussitôt interceptée par un logiciel espion peut valoir une interpellation musclée et un emprisonnement durable sur les fondements de lois liberticides. En Égypte, en Tunisie, en Algérie, en Arabie, en Syrie…des dizaines de milliers de maltraités, torturés, incarcérés servent d’exemple pour museler une population dont les conversations se cantonnent désormais à des salamaleks, des incantations religieuses et des échanges de propos sur le foot ou les courses de dromadaires.

Gouvernance de l’État profond 

La plupart des États arabes sont dirigés par des militaires ou des policiers. Soit directement comme en Égypte par un maréchal, en Mauritanie par un officier de renseignement, soit indirectement comme en Algérie,  Tunisie, Libye, Irak, Arabie, Yemen…

L’état profond  «   al-dawla al amiqa  » est celui des renseignements militaires alliés aux forces de sécurité intérieures. Il est opaque, secret, anonyme, très souvent inféodé à des services étrangers. 

Dans certains pays, aucune nomination de fonctionnaire d’autorité ou subalterne n'est possible sans son approbation. Les dirigeants politiques changent, le pouvoir profond demeure. Certes parfois au prix de règlements de comptes internes discrets comme en Algérie où le patron des renseignements reste rarement plus d’un an à son poste et où 70 généraux et 85 colonels  sont en prison. 

Partout, des systèmes perfectionnés traquent la moindre déviance verbale. La reconnaissance faciale et vocale, la surveillance des échanges téléphoniques et des réseaux sociaux, la traçabilité des rencontres et des déplacements…tout un formidable arsenal de moyens d’intelligence artificielle est mis en oeuvre pour espionner la population. 

Aucun de ces outils numériques n’est de conception arabe. Tous sont américains, européens, coréens, chinois et surtout israéliens. Ces données algorithmiques sont bien entendu partagées par les fournisseurs.

Bref, Israël sait tout de chaque arabe qui ne sait rien des Israéliens.

Corruption

Pour contredire une réputation répandue, le classement 2024 de Transparency Internationale relève que le Qatar et l’Arabie Saoudite seraient moins corrompus que l’Espagne ou le Portugal ! C’est du n’importe quoi!

Cette étude reflète uniquement l’efficacité administrative pour traquer la petite corruption mais ignore la "grande corruption », celle des régimes absolutistes qui se caractérisent par l'absence totale de séparation entre les finances de l'État et la cassette des  rois ou des dictateurs. 

Elle méconnait les méga-contrats avec les entreprises étrangères qui participent au partage de la prévarication par le jeu  des rétro commissions: la corruption du fournisseur par son client. Cette corruption à double sens est largement répandue dans le domaine de l’armement où les transactions incluant des « frais commerciaux extérieurs » dépassant parfois les 20%, sont de part et d'autre couvertes par le secret-défense.

Des nations sur-armées (données OpenAI)

Le monde arabe consacre 5,2% de son PIB à ses armées. Soit en proportion trois fois plus que l’Union européenne. 

Les monarchies du Golfe figurent au top 10 mondial des acheteurs d’armements.

Les systèmes d'armement sont  essentiellement d'origine US et dans une moindre mesure, britannique, allemande, française mais aussi israélienne (pour  les EAU, Bahrein et le Maroc). Les armées algériennes, libyennes, irakiennes, syriennes et yéménites sont quant à elles équipées par la Russie, la Chine et l’Iran. 

Si elles étaient conjuguées, les forces armées arabes rassembleraient 2,3 millions fantassins et autant de réservistes, 11 000 chars, 1 200 chasseurs, 2 000 hélicoptères,  400 drones armés, des missiles de toutes les portées par dizaines de milliers, une quarantaine de navires lourds de surface, une quinzaine de sous-marins…

Sur le papier cette force est d’une supériorité écrasante sur Israël. Dans la réalité, comme elle ne présente aucune menace car elle est placée sous la tutelle permanente des États-Unis.

Plus de 40 000 soldats américains stationnent sur une vingtaine de bases dans une douzaine de pays: Koweit, Qatar, Bahrein, Émirats arabes unis, Jordanie, Égypte, Irak, Syrie, Djibouti, Somalie, Oman, Arabie Saoudite. 

Au surplus, il existe des installations secrètes provisoires ou permanentes de soutien et de liaison  partout ailleurs sauf au Yemen. Ces forces sont appuyées selon la conjoncture, par deux ou trois  escadres de 12 000 marins qui croisent en Méditerranée et dans l'océan indien plus quelques 150 drones de haute altitude d'observations et de combats.

La Ligue arabe, Belle au bois dormant

La ligue des états arabes est une organisation fondée en 1945 pour oeuvrer à la décolonisation et l'indépendance des pays arabes et pour résister à l'occupation sioniste. Depuis sa création, la Belle au bois dormant est gavée de somnifères.

En 1947, sans demander l’avis aux principaux intéressés, le plan de partage de la Palestine avait accordé 55% des terres aux juifs. 

En 1979, à Camp David,  l'Égyptien Saddate et l’Israélien Begin se serrent la main. Saddate est aussitôt assassiné par les siens. 

En 1993 à Oslo, le Palestinien Arafat et l’Israélien Rabin signent la paix. Ceux qui voulaient la guerre ne tardent pas à les assassiner.

Depuis, l’extrême droite n’a cessé de grignoter les terres palestiniennes par l'implantation de quelque 150 colonies de peuplement où se sont installés un million de juifs. La souveraineté palestinienne est  aujourd'hui réduite à moins de 15% du plan de partage initial. 

Durant toutes ces années, la Ligue Arabe a grondé d’indignation à chacune de ses réunions dont il n'est jamais sorti que des incantations et des résolutions sans suite. Nul riposte diplomatique, nulle menace de représailles ou de boycott alors qu'il suffisait de tourner quelques robinets, de mobiliser quelques forces armées, pour faire plier les sionistes. Rien ! En 80 ans d’existence la Ligue ne s’est jamais liguée.

La bascule vers l’Asie

 Le carnage de Gaza, les bombardements  du Liban, du Yémen, du Qatar…les éliminations ciblées à Beyrouth, à Bagdad ont fait naître un sentiment d’insécurité dans les monarchies du Golfe qui désormais savent qu’elles ne peuvent plus compter sur « l’ami américain ». Le protectorat « Pacte du Quincy » qui liait les États-Unis aux Saoud depuis 1945 a du plomb dans l’aile. En soutenant inconditionnellement Israel, Washington a poussé l’Arabie à se rapprocher de Téhéran par l’entremise empressée de Pékin. D’autres nations  ont suivi l’exemple. Ainsi, la  Tunisie, pays arabe le plus éloigné de l’Iran a récemment décidé de supprimer les visas d’entrée et inauguré une liaison aérienne directe Tunis et Téhéran. La grande réconciliation entre Arabes et Perses, entre Sunnites et Chiites est en marche. Merci Donald ! 

La solidarité des grandes nations musulmanes d’Asie avec celles du Moyen-Orient s’est pareillement traduite ces derniers mois par une multitude de rencontres diplomatiques. Un nouvel accord de défense entre le Pakistan et l’Arabie vient d’être signé dont on ne sait s’il comporte un volet de transfert d’engins nucléaires mais il stipule  « que toute agression contre l’un ou l’autre pays sera considérée comme une agression contre les deux ». C’est tout à fait de nature à dissuader Israel d’aller bombarder l’Arabie. 

À petits pas, discrètement, sous l’égide du Prince Salman, la bascule des alliances est en train d’opérer. Pour l’instant, la Maison Blanche, arrogante de sa puissance semble s’en accommoder. À Washington et à Riyadh, le calendrier de la longévité diffère. Dans un temps court, Trump ne sera plus, Netanyahu non plus. Dans un temps long, MBS d’Arabie qui n’a que 40 ans a devant lui le reste de sa vie pour libérer la Palestine et devenir le zaïm des Arabes. 

Oracle

Chaque bombardement israélien, chaque massacre toléré, honteusement justifié ou ignoré par les capitales occidentales, révèle l’impuissance  des régimes arabes à peser sur la scène internationale. Ils se taisent car leur silence est la condition de leur survie. 

La jeunesse majoritaire, connectée, politisée, humiliée, porte la braise d’un réveil imminent. Miroir de la résistance, Gaza est aussi celui d’une formidable révolte collective qui sourde, celle de l’imprévisible volcan arabe qui emportera tout.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.