heimbergch (avatar)

heimbergch

Charles Heimberg. Historien et didacticien de l'histoire

Abonné·e de Mediapart

178 Billets

1 Éditions

Billet de blog 1 septembre 2010

heimbergch (avatar)

heimbergch

Charles Heimberg. Historien et didacticien de l'histoire

Abonné·e de Mediapart

Minarets, peine de mort : jusqu’où le populisme va-t-il aller en Suisse ?

Il s’appelle Marcel Graf, c’est un citoyen helvétique. Au sein de sa famille, une jeune femme a été la victime d’un assassinat odieux. Il mène donc un combat contre la Justice qu’il trouve beaucoup trop laxiste.Aussi a-t-il lancé, avec quelques autres, une initiative populaire pour faire inscrire dans la Constitution fédérale le principe de la peine de mort

heimbergch (avatar)

heimbergch

Charles Heimberg. Historien et didacticien de l'histoire

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il s’appelle Marcel Graf, c’est un citoyen helvétique. Au sein de sa famille, une jeune femme a été la victime d’un assassinat odieux. Il mène donc un combat contre la Justice qu’il trouve beaucoup trop laxiste.

Aussi a-t-il lancé, avec quelques autres, une initiative populaire pour faire inscrire dans la Constitution fédérale le principe de la peine de mort pour certains crimes : « Quiconque commet un meurtre ou un assassinat en concours avec un acte d'ordre sexuel sur un enfant, une contrainte sexuelle ou un viol perd le droit à vie et est puni de mort ». Le texte qu’il s’agirait d’inscrire dans le marbre de la Constitution helvétique précise même que le criminel serait dès lors « exécuté indépendamment de toute expertise ou des connaissances scientifiques ». Ce projet, abominable, a été accepté sur le plan formel par la Chancellerie fédérale et il est présenté sur son site officiel (www.admin.ch/ch/f/pore/vi/vis392t.html). L’initiant était donc en situation de commencer la récolte des signatures. Mais le lendemain de ce regrettable feu vert, coup de théâtre : le texte a été retiré parce qu’il paraît que la pression était trop forte et qu’il ne s’agissait que d’ouvrir un débat. Pourtant, quelques jours plus tard, se disant revigoré par de nombreux soutiens, Marcel Graf menace de lancer quand même cette initiative.

Acquis en Suisse depuis 1942, le refus de la peine de mort est au cœur des droits humains qui fondent les principes communs de la construction européenne et qui sont inscrits en particulier dans la Convention européenne des droits de l’homme. La Suisse s’est d’ailleurs clairement engagée dans ce sens depuis de nombreuses années. Comme l’affirme à juste titre l’historien Michel Porret (Le Temps, 31 août 2010), la peine de mort constitue un « anachronisme persistant », et sa « discussion publique » mène à une véritable « impasse sociale ».

Nul ne sait si cette initiative perfide va être relancée ces prochaines semaines. Mais il y a déjà de quoi réfléchir à la manière dont différents acteurs politiques suisses ont réagi à son annonce. Fort heureusement, aucun parti politique, voire aucune personnalité politique d’envergure, ne s’est prononcé pour la soutenir. Mais un autre débat contradictoire s’est immédiatement entamé : celui de savoir s’il fallait laisser récolter ces signatures et s’il fallait accepter le principe d’une telle initiative.

À sa manière, la Chancellerie fédérale a déjà répondu qu’il fallait laisser faire. Cela ne laisse certes rien présager des positions que prendraient en temps voulu d’autres acteurs, et notamment les parlementaires fédéraux qui auraient la possibilité de déclarer le texte de l’initiative contraire aux principes fondamentaux de la démocratie. Mais il n’en est pas moins évident qu’il leur serait bien plus difficile d’invalider une initiative populaire sous la pression de dizaines ou de centaines de milliers de signatures déjà récoltées.

Immédiatement, et bien qu’affirmant ne pas soutenir l’idée d’une restauration de la peine de mort, les ténors de l’Union démocratique du centre, un parti d’extrême-droite représenté dans le gouvernement suisse, ont défendu coûte que coûte le droit du peuple helvétique de se prononcer sur cette question de société comme sur toutes les autres. Ils avaient eu exactement la même attitude avec l’interdiction des minarets : l’initiative, officiellement, n’était pas le fruit de leur volonté, même si elle émanait de milieux qui leur étaient très proches, voire de leur propre base, mais ils s’étaient finalement prononcés en sa faveur.

Il règne une inquiétante atmosphère en Suisse. Deux initiatives récentes aux relents populistes, mais très différentes, ont été approuvées par la double majorité des votants et des cantons (ce qui est pourtant rare), contre l’avis très majoritaire de la classe politique : l’une rend imprescriptibles les actes de pornographie enfantine, l’autre interdit la construction de minarets. Cet automne, un autre de ces textes problématiques et démagogiques sera encore soumis au vote pour le renvoi des criminels étrangers. Des principes juridiques fondamentaux et des droits humains sont ainsi bafoués au terme de consultations populaires, sur des thèmes très sensibles suscitant une émotion tout à fait légitime, ou sur d’autres projets qui relèvent clairement de la haine et de la xénophobie. Ces initiatives donnent parfois lieu à des campagnes politiques nauséabondes. Elles inspirent surtout une très grande complaisance aux milieux politiques démocratiques qui n’osent rien dire, ni rien faire, contre ce qu’il va quand même bien falloir qualifier d’abus de la démocratie semi-directe helvétique.

Au cœur de la citoyenneté démocratique, il n’y a pas un dogme qui voudrait que l’on puisse discuter et décider de tout, à n’importe quelle condition, sans tabou ni limites. C’est à l’école déjà que l’on apprend que tout ne se discute pas toujours et partout, qu’il y a par exemple des lois fondamentales qui garantissent la stabilité des groupes humains et les droits des plus faibles, que même les pires criminels ne sauraient être privés de droits fondamentaux dans un contexte démocratique et que nos sociétés ont dû se doter d’instruments légaux de protection, par exemple contre le racisme, l’antisémitisme, le négationnisme… qui mènent en quelque sorte à limiter les libertés des uns pour garantir les droits des autres, des minorités et des plus faibles.

Au cœur de la citoyenneté démocratique, il y a par contre, il y a sans doute, une exigence de reconnaissance de la complexité des faits et des problèmes. Les solutions simplistes des démagogues aux questions très complexes qu’affrontent nos sociétés doivent donc être dénoncées comme telles. Rien ne les justifie.

La perspective d’un débat public soi-disant démocratique pour ou contre la peine de mort est effrayante. Elle nous montre combien nous vivons une période troublée qui remet en cause des valeurs fondamentales que l’on aurait tort de croire définitivement acquises.

Reste à savoir si la société helvétique sera enfin capable de mettre fin à ces dérives en soumettant, par des garde-fous, sa démocratie semi-directe à la garantie des droits humains fondamentaux de tous.

Populisme judiciaire, populisme identitaire et xénophobe : jusqu’où va-t-on aller en Suisse ?

Charles Heimberg, Genève

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.