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Charles Heimberg. Historien et didacticien de l'histoire

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Billet de blog 9 avril 2013

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À propos de la mémoire ouvrière

La culture ouvrière, l’histoire ouvrière, la mémoire ouvrière : dans quelle mesure tout cela existe-t-il encore dans notre monde globalisé ? Et ne va-t-on pas un peu vite en besogne sous l’effet d’une tendance dominante qui consiste à vouloir éliminer cette dimension du monde du travail et de ses acteurs, et y compris sa mémoire, de nos horizons et de nos visions du monde ?

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La culture ouvrière, l’histoire ouvrière, la mémoire ouvrière : dans quelle mesure tout cela existe-t-il encore dans notre monde globalisé ? Et ne va-t-on pas un peu vite en besogne sous l’effet d’une tendance dominante qui consiste à vouloir éliminer cette dimension du monde du travail et de ses acteurs, et y compris sa mémoire, de nos horizons et de nos visions du monde ?

Invité récemment à participer à une table ronde sur la mémoire du travail et le regard qui lui est porté de l’extérieur (dans le cadre d’un cycle de journées d’études sur L’industrie dans les Alpes, entre mémoire et phénomènes de patrimonialisation, XIXe-XXe siècle organisé par l’Université de Lausanne et l’Université de la Suisse italienne), j’ai eu l’occasion de mesurer à quel point cette mémoire se trouvait marginalisée dans sa dimension spécifiquement ouvrière. Certes, un certain développement patrimonial permet de faire connaître une certaine histoire industrielle. Mais il arrive alors que l’histoire du travail se profile comme une histoire sans travailleurs. Certes, je sais aussi que cette mémoire n’a de loin pas disparu et qu’elle s’exprime ci et là en fonction d’engagements particuliers, comme cela a par exemple été magistralement le cas, dans l’espace alpin helvétique, avec la magnifique exposition organisée en 2010 par deux artistes, Grégoire Favre et Eric Bovisi, autour de l’ancienne usine d’Alusuisse à Chippis, en Valais (http://www.sierre.ch/multimedia/docs/2010/08/Expo_Memoire_ouvriere_DP.pdf).

Malheureusement, un si bel exemple, si significatif et si plein de sens, masque un peu une réalité un peu plus triste, celle d’un oubli tendanciel qui s’avère très marqué. Il est d’ailleurs significatif de constater, en termes de transmission scolaire du passé, que dans le nouveau Plan d’études de Suisse-romande, valable pour toute la scolarité obligatoire dans tous les cantons suisses francophones (ce qui est soit dit en passant une nouveauté remarquable pour l’histoire des écoles suisses-romandes), c’est-à-dire dans un territoire situé entre Alpes et Jura, et par conséquent entouré de montagnes fort rapprochées, l’histoire de la condition ouvrière n’est guère mentionnée en tant que telle, ni pour la plaine, ni pour la montagne, parmi les diverses propositions thématiques (qui ne sont ni prescriptives, ni exhaustives). On y trouve pourtant la mention de grandes réalisations humaines, le canal de Suez ou le tunnel du Gothard, dont on souligne qu’ils pourraient modifier les périodisations que nous utilisons traditionnellement, mais sans ajouter pour autant la moindre allusion à l’éventuel coût humain de leur édification (voir http://www.plandetudes.ch/web/guest/histoire/).

Dans ce Plan d’études romand, si la dimension ouvrière n’est pas explicitement présente, celle de mémoires blessées relatives à d’autres dimensions subalternes l’est en revanche explicitement, toujours en termes de suggestions plutôt que d’obligations. C’est ainsi que, pour l’histoire sociale, sont évoqués les trois problèmes constitués par l’esclavage, les inégalités de genre et l’immigration. Bien sûr, il n’est nullement dans notre intention ici de contester ces trois éléments de contenus de l’histoire scolaire. Bien au contraire. Mais il est tout de même révélateur que l’on tourne ainsi autour de la question ouvrière, qui peut certes concerner des formes d’esclavage, des discriminations subies par des femmes ou d’autres subies par des migrants, mais qui existe aussi en tant que telle. Il est ainsi significatif que cette dimension ouvrière ne soit jamais mentionnée de manière explicite. Et c’est là un exemple qui illustre assez bien ce risque d’effacement.

Le récent film de Gilles Perret, De mémoires d’ouvriers (présenté en 2011 par Fabrice Ferrari et La Vaka Productions, avec la Cinémathèque des pays de Savoie et de l’Ain, Montpellier, CP-Productions, 2012, pour le DVD) donne enfin la parole à ce monde ouvrier, dans le contexte alpin qui l’intéresse plus particulièrement. Il le fait avec intelligence, mais aussi dans le but de valoriser la richesse de la pensée ouvrière et la parole hautement sensée des acteurs qu’il interroge (http://www.dememoiresdouvriers.com/). Il est à voir absolument.

De son côté, dans un espace qui est proche de ce monde alpin, l’historienne Michelle Perrot a mis à jour l’itinéraire méconnu d’une ouvrière de la soie dans le Dauphiné, Lucie Baud. Elle nous raconte ainsi l’histoire d’une femme, d’une ouvrière, mais aussi à un moment donné d’une activiste et d’une syndicaliste, qui nous est surtout connue par un article assez remarquable qu’elle a publié dans un journal syndical au début du XXe siècle. Beau travail que cette sortie de l’ombre qui nous donne en même temps accès à un monde ouvrier dont l’oubli, quoi qu’on en dise, et sans nostalgie ni mélancolie, affaiblirait sans doute encore davantage nos horizons d’attente dans la société contemporaine telle qu’elle est devenue (http://www.histoire.presse.fr/lhistoire/383/melancolie-ouvriere-20-12-2012-51468).

Charles Heimberg (Genève)

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