Le décès de Giulio Andreotti, figure diabolique de la démocratie chrétienne italienne, a donné lieu à tellement d’hommages déplacés qu’on pourrait finir par se demander s’il a vraiment disparu.
Dans ce domaine, la palme revient sans doute à la radio suisse romande, qui exerce pourtant un mandat de service public, dont l’émission Forum du 6 mai dernier a été d’une incroyable médiocrité journalistique. On y a entendu l’éloge du défunt et de son cynisme par un avocat genevois qui a repris l’antienne berlusconienne d’une justice italienne crypto-communiste (http://www.rts.ch/la-1ere/programmes/forum/4859816-forum-du-06-05-2013.html). C’est pourtant oublier ce que la criminalité mafieuse a coûté et coûte encore à l’Italie. Et ce que cette justice a payé pour l’avoir combattue non sans courage.
Je remercie le journaliste André Loersch qui, particulièrement choqué par cette affaire, a fait circuler le lien suivant d’une vidéo (http://www.youtube.com/watch?v=bU2JdCMk1f4) dans laquelle le juge Giancarlo Caselli rappelle solennellement, en 2006, que Giulio Andreotti a été pleinement condamné pour des faits de connivence avec la criminalité mafieuse jusqu’en 1980, mais que la sentence n’a pas été appliquée en raison…de la prescription des faits.
Certes, les minutes de silence imposées cette semaine dans tous les stades de football italiens ont provoqué pas mal de sifflets. Mais les éloges dispensés dans tous les médias, quelques semaines à peine après ceux qui ont été réservés à l’Iron Lady, autre figure de la réaction des dernières décennies du XXe siècle, sont véritablement problématiques.
Andreotti, Il Divo (titre du film que lui a consacré Paolo Sorrentino), incarne un catholicisme de l’accommodement qui a fait énormément de mal à l’Italie. Il a survécu in extremis à ses innombrables procès, non sans profiter d’une prescription qui n’aurait jamais dû exister en matière de liens avec la criminalité mafieuse. C’est un symbole du cynisme politique que Berlusconi reproduit largement avec juste un peu moins d’osties et de bénitiers.
Dès lors, Giulio Andreotti a-t-il vraiment disparu ? Le cynisme et l’accommodement sont-ils moins au centre qu’auparavant des mœurs politiques des sociétés d’ici et d’ailleurs ? L’actualité quotidienne de notre époque peut en faire douter, même si les individus et les contextes ne se reproduisent jamais complètement.
Charles Heimberg (Genève)