Au cours de l’histoire, les discours de repli sur soi ont déjà connu des précédents et un certain succès au sein de l’espace helvétique. Par exemple, durant la Seconde Guerre mondiale, face à ses voisins directs, les régimes fasciste et nazi, la Suisse appliquait la « politique du hérisson » et invoquait le mythe du « Réduit national » dans lequel, au cœur des Alpes, toutes les élites du pays se seraient rendues imprenables en se cachant. Au cours de la guerre froide, la culture dominante s’en prenait systématiquement au « péril communiste », avant que d’autres altérités ressenties comme non moins terrifiantes s’imposent à leur tour au tournant des XXe et XXIe siècles. Le retour en force actuel de ces visions frileuses est sans doute un effet pervers paradoxal d’une mondialisation économique et communicationnelle qui met fort à mal ces protections sociales qui avaient trouvé leur origine dans le cadre des États-nation. En Suisse, il prend parfois des airs extravagants et inquiétants.
Le 13 février 2011, les citoyens suisses, c’est-à-dire une partie seulement de ceux qui habitent le pays, étaient par exemple appelés à se prononcer sur une initiative populaire dont l’objectif était de faire déposer dans les casernes les fusils de tous les citoyens astreints au service militaire. Il s’agissait d’en finir avec ce mythe du citoyen armé gardant son arme à la maison pour tenir compte d’une série de graves faits divers et d’un taux de suicides dans la population qui devrait attirer l’attention et susciter pour le moins une politique de prévention digne de ce nom.
L’initiative a finalement été refusée aussi bien par la majorité du peuple consulté que par celle des cantons, quelques cantons urbains et/ou suisses-romands l’ayant quand même acceptée. Les fusils resteront donc à la maison.
Ce résultat s’explique en grande partie par une campagne passionnée aux accents conservateurs particulièrement marqués dont nous proposons ci-joint quelques traces visuelles (voir le fichier pdf à télécharger ci-dessous).
Une première affiche, émanant du populiste Mouvement citoyen genevois, invoquait la tradition des générations antérieures pour défendre la conservation du fusil militaire dans les greniers, ou peut-être, allez savoir, les chambres à coucher, des citoyens-soldats.
Une deuxième affiche, due à l’initiative des milieux du tir dit sportif, en appelait étrangement à des « valeurs suisses », symbolisées par un lampion aux couleurs suisses, mais tout flétri, rappelant ceux qui sont traditionnellement utilisés lors de la fête nationale du 1er Août. Il s’agissait ici de combattre l’initiative en l’accusant carrément de constituer une véritable « menace » pour le sport suisse.
Une troisième affiche, sans doute plus sans parler des liens étroits que ce parti majoritaire a publiquement établis avec l’insupportable et sulfureux Éric Zemmour, condamné pour provocation à la haine raciale. Un mouvement analogue n'est pas loin de se dérouler aussi en Suisse. Ainsi, l’extrême-droite helvétique maîtrise l’agenda politique et dicte le contenu des débats publics au fil de ses initiatives. Ses succès à venir semblent probables et sont en tout cas annoncés. Dès lors, ceux qui craignent de lui céder des voix croient bon d’adopter ses thématiques et sa vision démagogique de la société dans le vain espoir de tirer leurs marrons du feu.
Pourtant, il est bien connu que, dans ces cas-là, l’original a les meilleures chances d’être préféré à la copie…
Mais surtout, s’il n’est pas mis fin à cette dérive préoccupante qui tourne le dos aux droits humains alors même que ces droits sont légitimement revendiqués de part et d'autre de la Méditerranée, qui pourra encore, parmi leurs défenseurs, aimer cette Suisse-là ? cette France-là ? cette Europe-là ?
Charles Heimberg, Genève