11 septembre 2013. Un communiqué de presse de l’Université de Genève annonce la création d’un institut pour étudier le monde du XXIe siècle. Elle lance en effet un Global Studies Institute (GSI), c’est-à-dire un Institut d’études globales.
Nous sommes certes à quelques jours de la rentrée et cela explique sans doute que cette annonce intervienne à ce moment-là. Mais son contenu est plus explicite sur le choix de la date précise du 11 septembre :
« Il y a douze ans, l’État considéré comme le plus puissant de la planète était victime d’attaques meurtrières sur son propre sol, pour la première fois depuis plus de deux siècles. Ces attaques, imputées à une organisation étrangère d’un type nouveau, ont ouvert l’ère de la globalisation dans le domaine de la guerre et de la paix, qui pourtant semblait demeurer l’apanage des relations internationales classiques, entre États ou futurs États (mouvements de libération nationale). Le 11 septembre 2001 a révélé l’obsolescence des approches classiques des relations internationales dans tous les domaines (économique, politique, social etc.). Le nouveau monde global, avec ses risques mais aussi ses opportunités et ses nouveaux défis (climat, démographie, gouvernance, etc.), impose ainsi des changements dans la production et la transmission des savoirs dans le cadre académique. »
L’idée d’un renforcement d’études dites globales, c’est-à-dire qui prennent en compte les évolutions récentes du monde, des rapports de force planétaires, des menaces et des dominations qui le caractérisent, est bien sûr à saluer. Mais la problématique de mémoires contrastées et peut-être concurrentielles a produit un drôle d’effet ce 11 septembre 2013, quarante ans jour pour jour après l’écrasement de la démocratie chilienne et de l’expérience politique progressiste menée par Salvador Allende au Chili. Parce qu’en effet, il n’y a pas qu’un seul 11 septembre, et il n’est pas sûr que le premier ait été moins global que le second, ou qu’en tout cas, il l’ait été aussi peu qu’il l’est ainsi laissé entendre. Au temps de la guerre froide et de la domination états-unienne exercée sur l'Amérique Latine, ce crime politique de masse a été mené par une forme d’impérialisme international aussi bien que transnational. Il y a dès lors lieu de se demander dans quelle mesure un monde global est vraiment né avec la fin de la guerre froide, et surtout avec le 11 septembre 2001.
Le discours prononcé à l’ONU le 4 décembre 1972 par le président Salvador Allende décrivait ainsi d’une manière tout à fait explicite le rôle d’organismes transnationaux dans les pressions exercées sur l’économie de son pays :
« Le drame de ma patrie est celui d’un Vietnam silencieux. Il n’y a pas de troupes d’occupation ni d’avions dans le ciel du Chili. Mais nous affrontons un blocus économique et nous sommes privés de crédits par les organismes de financement internationaux. »
« Nous sommes face à un véritable conflit entre les multinationales et les États. Ceux-ci ne sont plus maîtres de leurs décisions fondamentales, politiques, économiques et militaires à cause de multinationales qui ne dépendent d’aucun État.
Elles opèrent sans assumer leurs responsabilités et ne sont contrôlées par aucun parlement ni par aucune instance représentative de l’intérêt général. En un mot, c’est la structure politique du monde qui est ébranlée. Les grandes entreprises multinationales nuisent aux intérêts des pays en voie de développement. Leurs activités asservissantes et incontrôlées nuisent aussi aux pays industrialisés où elles s’installent. Notre confiance en nous-mêmes renforce notre foi dans les grandes valeurs de l’humanité et nous assure que ces valeurs doivent prévaloir. Elles ne pourront être détruites ! » [extrait et traduction publiés sur le site de la Ligue des droits de l’homme de Toulon : http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article483]
Ce monde bipolaire de la guerre froide présentait donc déjà, d’une certaine manière, une véritable dimension globale.
Bien sûr, le monde de 2001 et du XXIe siècle n’est plus le même que celui du temps de la guerre froide. Mais cette différence ne s’inscrit pas tant autour de la notion de globalité, mais plutôt autour de sa nature, de son intensité, de ses formes d’organisation. En outre, dans un air du temps qui pousse largement aux replis identitaires, nous payons au prix fort les retards de l’historiographie européenne francophone quant à prendre en compte une histoire connectée et une histoire de tous. C’est d’autant plus préoccupant que cette dimension connectée, reliant sérieusement le local, le global et divers espaces intermédiaires sans se contenter de les juxtaposer, avec une grille d’analyse qui ne concerne pas seulement les États et leur histoire politique propre, mais aussi les pouvoirs financiers transnationaux et toutes les formes de subalternités, devrait se développer aujourd'hui dans le cadre scolaire pour faire comprendre le monde tel qu'il est; or, les enseignants, pour la plupart d’entre eux, n’y ont guère été préparés au cours de leur propre formation en histoire.
Charles Heimberg (Genève)