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Billet de blog 19 février 2025

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Propos irresponsables de la présidente 2025 de la Confédération helvétique

L'inflexible présidente 2025 et argentière de la Suisse Karin Keller Suter trouve que les propos outranciers du vice-président J.D. Vance à la Conférence de Munich, ses fake news et la prétendue menace d'une immigration de masse sont "un discours très libéral, [...] dans un certain sens très suisse lorsqu’il dit qu’il faut écouter la population". C'est choquant et c'est surtout irresponsable.

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L'inflexible présidente 2025 et argentière de la Confédération Suisse Karin Keller Suter gère le budget de la Confédération d'une manière idéologique et thatchérienne, sans état d'âme envers les besoins de la population, la santé, l'éducation, la recherche, l'humanitaire, seules les dépenses militaires échappant à sa rigueur de fer. Elle n'a pas réagi négativement aux propos outranciers du vice-président J.D. Vance à la Conférence de Munich, avec leurs fake news et la prétendue menace d'une immigration de masse ["Et de tous les défis urgents auxquels sont confrontés les pays représentés ici, je crois qu'il n'y a rien de plus urgent que l'immigration de masse", s'est-il exclamé]. Elle a simplement trouvé que ces propos choquants étaient, je cite, "un discours très libéral, [...] dans un certain sens très suisse lorsqu’il dit qu’il faut écouter la population".

Illustration 1

Un éditorial radiophonique du journaliste Patrick Cohen du 18 février a pourtant souligné ce qui suit à propos de ce discours inique qui a surpris son auditoire:

"J.D. Vance a donné une série d’exemples de recul des libertés en Europe. Il a surtout raconté n’importe quoi, c’en est comique. Non, les commissaires européens [...] ne menacent pas de fermer des réseaux sociaux, en cas de simples discours de haine, sinon tout serait arrêté depuis longtemps. Non, la police allemande n’a pas arrêté des internautes pour des commentaires misogynes en mars dernier, mais pour avoir posté des menaces de viol et des vidéos de torture sur des femmes. [...]

"Tout est faux ou exagéré chez Vance. Comme un symbole de la post-vérité trumpiste: ce qui a été présenté comme une grande ode à la liberté d’expression est en réalité un tissu de mensonges. Un fort vent trumpiste souffle tout de même sur l’Europe. Avec une convergence, un axe Washington-Moscou, où se retrouvent ceux qui se disaient souverainistes. Mais qui apparaissent aujourd’hui comme des patriotes en carton."

En Suisse romande, deux éditoriaux de journaux quotidiens de ce même 18 février ont proposé quant à eux deux analyses bien différentes l'une de l'autre.

Le premier éditorial, du Courrier, a évoqué dans son titre "Un libéralisme sans liberté".

"Et tant pis si cet appel au peuple formulé par M. Vance relève d’une rhétorique d’extrême droite bien loin de la souveraineté populaire [...]. Y voir un plaidoyer pour la démocratie directe, comme l’a fait la ministre, traduit un désarroi certain. Ce renoncement aux fondamentaux du libéralisme interroge, en ces temps d’effondrement démocratique."

Le second éditorial, du Temps, a exprimé des considérations tout autres, d'une complaisance déconcertante, avec l'idée d'examiner ce que les propos de la présidente diraient en réalité de la Suisse. Ce serait à la fois du pragmatisme et l'effet d'une admiration de longue date du monde anglo-saxon: une posture qui traduirait "au niveau international deux méthodes qui ont réussi à la Suisse":

"La première, celle de la critique retenue. Contrairement à certains homologues, la présidente suisse a refusé de porter un jugement, rappelant que “personne ne connaît concrètement les intentions et les projets des États-Unis“. On devine pourtant qu’elle cherche à ménager Washington. La deuxième méthode: celle de l’intégration plutôt que la diabolisation de la frange la plus à droite de la discussion politique. Refuser de mettre au ban la droite dure, pour la responsabiliser et la garder dans le jeu, est une posture qui a fait ses preuves en politique suisse ces dernières décennies. Alors pourquoi ne pas la tenir à l’international [...]?"

Il est pourtant bien difficile de voir de la retenue dans le fait de louer à ce point des propos trumpistes outranciers qui s'en prennent aux principes de l'état de droit, de l'engagement humanitaire ou de l'égalité des droits. Il y aurait eu retenue s'il y avait eu silence et discrétion en évitant toute réprobation. Mais là, ces propos déconcertants et inquiétants relèvent bien davantage de l'approbation et de l'allégeance.

Il est surtout déconcertant de voir à quel point les digues ont sauté, plus aucun cordon sanitaire et démocratique ne semblant subsister entre la droite et l'extrême droite dans un pays, la Suisse, dont le plus grand parti, d'extrême droite, empoisonne la vie politique depuis des années sans être ni modéré ni responsabilisé par son intégration dans le système et l'accueil bienveillant qui lui est réservé par les élites libérales. N'a-t-il pas tout récemment encore profité des excès trumpistes en matière de déni climatique pour réclamer la sortie de la Suisse des Accords de Paris sur le climat?

Qui plus est, cet éditorial du Temps, au même titre que d'autres chroniques, comme celle non moins complaisante à l'égard du tronçonneur Javier Milei ["Faire de l’Argentine la Suisse de l’Amérique du Sud: ...plus de liberté, moins d’État"], lequel s'est d'ailleurs vu décerner un prix à Zurich par l'Institut libéral "pour son rôle pionner dans la lutte contre la démesure étatique", s'inscrit pleinement dans cet effacement du barrage démocratique entre libéralisme et extrême droite, dans cet avènement d'un illibéralisme "libériste" [dans le sens du "libérisme" économique, terme qui se distingue en italien du libéralisme culturel et politique].

L'histoire ne se répète jamais telle quelle même si le passé n'est jamais non plus complètement déconnecté du présent. Mais un récent ouvrage de l'historien Johan Chapoutot peut nous inspirer bien des réflexions. Son titre: Les irresponsables. Son thème: le fait que ce sont les élites politiques et économiques libérales de l'époque qui, pour assurer leur propre assise sur la société dans une période de crise de leur domination politique, ont permis et provoqué l'accession au pouvoir de Mussolini et de Hitler, sans qu'ils aient jamais conquis une majorité par les urnes.

Le péril qui s'annonce est sans doute bien différent et bien incertain. Mais des mécanismes de la désertion des principes de l'état de droit, et de la préservation des droits, au profit de la sauvegardes des excès, et des illusions, du capitalisme libériste se repèrent bien ci et là.

Comment ne pas penser dès lors que c'est bien à nouveau une forme d'irresponsabilité qui s'exprime dans ces propos de Mme Karin Keller Suter et de celles et ceux qui les justifient? Et comment ne pas s'en inquiéter?

Charles Heimberg (Genève)

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