Les électeurs suisses se sont prononcés le 8 février 2009 sur la prolongation des accords de libre circulation des personnes avec les pays de l’Union européenne, y compris leur extension à la Roumanie et à la Bulgarie. La mal-nommée Union Démocratique du Centre, qui est en réalité un partit national-populiste d’extrême-droite, mais qui est aussi une composante du Conseil fédéral (le gouvernement), a appelé à voter non. Selon elle, en effet, « l'extension de la libre circulation des personnes à la Roumanie et la Bulgarie est une concession excessive compte tenu du retard économique, de la corruption, de la criminalité et du chômage élevé que connaissent ces deux pays ».
Ces arguments en disent long sur les préjugés identitaires et xénophobes que distille ce parti politique. Première force politique du pays, il avait obtenu 29% des voix en 2007. Son chef charismatique Christoph Blocher n’avait ensuite pas été réélu au Conseil fédéral par les parlementaires. Les ténors de l’UDC avaient alors écarté de leurs rangs les ministres « trop modérés » qui avaient été élus en leur nom. Cette scission a légèrement diminué le poids de l’UDC. Ses dirigeants ont toutefois exercé une telle pression qu’ils ont obtenu la démission de l’un de ces ministres un an plus tard. Ce qui sonna le glas de l’éphémère sursaut démocratique de 2007, une majorité des parlementaires élisant finalement au gouvernement, en décembre 2008, un ancien président de l’UDC très proche de Christoph Blocher, Ueli Maurer.
C’est notamment sous la responsabilité d’Ueli Maurer que l’UDC avait lancé ses premières campagnes médiatiques provocatrices, en particulier contre une soi-disant invasion musulmane et pour l’interdiction des mosquées sur tout le territoire suisse. En 2007, des affiches haineuses, représentant trois moutons chassant à coups de pied un mouton noir, avaient également été exposées dans toute la Suisse pour soutenir la campagne de l’UDC lors des dernières élections fédérales. Cette campagne honteuse avait fait des émules dans l’extrême-droite européenne. Elle avait aussi soulevé beaucoup d’indignation.
Aujourd’hui, l’UDC remet ça pour lutter contre la libre circulation des personnes. Sa nouvelle affiche est sinistre. Elle représente trois corbeaux qui croquent et menacent la Suisse avec le slogan « Ouvrir la porte aux abus ? Non ! » Le message xénophobe est clair, il joue avec l’image et avec les couleurs. Il se contente de provoquer le réveil des fantasmes les plus sombres. Ainsi n’est-il plus nécessaire d’argumenter. Et peu importe à ces xénophobes, sans même leur parler de droits des gens et de démocratie élémentaire, que sans ses immigrés, la Suisse n’aurait jamais pu assurer sa prospérité. Pas plus qu’elle ne le pourrait à l’avenir.
Le plus gênant, dans cette triste affaire, ce n’est pas cette affiche en soi, que n’importe quel groupuscule de la droite la plus extrême et la plus raciste d’ici ou d’ailleurs pourrait sans problème reprendre à son compte. Mais c’est plutôt le fait qu’elle émane d’un parti gouvernemental, dont l’un des représentants les plus éminents a été élu par une majorité de parlementaires. Ainsi, le peu de réactions que cette affiche suscite, hormis l’émoi légitimement exprimé par des ressortissants roumains, s’il révèle sans doute une certaine lassitude face à ces provocations insupportables, indique peut-être aussi, malheureusement, que la population de la Suisse est en train de s’y habituer. Ce qui est particulièrement préoccupant !
Charles Heimberg
P.S. Le résultat du vote a été finalement favorable au prolongement et à l'extension de ces accords de libre circulation. Mais les préoccupations démocratiques demeurent...