Ueli Maurer, membre du parti d’extrême-droite UDC, mais aussi membre du gouvernement fédéral de la Suisse, le Conseil fédéral, qui est élu par les parlementaires des deux Chambres législatives nationales, a exprimé le souhait que la Suisse dénonce la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).
Même s’il s’agit d’une fuite, cette prise de position n'en suscite pas moins une immense stupéfaction (voir http://www.letemps.ch/Page/Uuid/845e18f2-70f2-11e4-a6c2-0081b93c5d12/Stup%C3%A9faction_Ueli_Maurer_veut_d%C3%A9noncer_la_Convention_des_droits_de_lhomme). Cette situation ne doit pourtant pas nous étonner, puisqu’elle nous ramène à une triste réalité : le gouvernement fédéral de la Suisse (le Conseil fédéral) comprend en effet un parti d’extrême-droite problématique, détourné de sa nature conservatrice traditionnelle vers des extrémités périlleuses sous l’influence d’un sinistre idéologue particulièrement fortuné, M. Christoph Blocher. Ce parti ainsi radicalisé, avec lequel aucune alliance politique ne devrait être établie dans un cadre démocratique est ainsi à l’origine d’une série de votes populaires nauséabonds qui mettent la Suisse dans une position particulièrement délicate sur le plan démocratique. Ils ont porté par exemple sur l’interdiction de construire des minarets, sur le renvoi hors de Suisse des « criminels » étrangers, sur l’introduction contraire à des engagements internationaux de la Suisse de quotas d’étrangers pour faire face à une prétendue « immigration de masse », etc.
Depuis des années en Suisse, ce parti d’extrême-droite dicte l’agenda politique par des initiatives démagogiques, populistes, et souvent xénophobes. En toute connaissance de cause ou sans le savoir, il pratique une version droitière d’une politique gramscienne de l’hégémonie intellectuelle et politique en influençant les médias et les sphères de la pensée. Et cette politique de destruction insidieuse de la pensée démocratique lui permet aujourd’hui, au nom d’un prétendu peuple, d’aller jusqu’à remettre en cause l’un des fondements de la reconstruction sociale d’après-guerre, les droits humains européens.
Ce parti d’extrême-droite, I'UDC, a ainsi désormais inscrit dans son programme et dans ses actions politiques une initiative fédérale qui entend placer la Constitution helvétique, qui peut être régulièrement modifiée par des initiatives populaires issues de la démocratie semi-directe helvétique, au-dessus de tous les engagements internationaux de la Suisse. Ainsi, si l’on en croit son site Internet (http://www.udc.ch/campagnes/apercu/le-droit-suisse-prime-le-droit-etranger/articles/), le point de vue de cette droite extrême consiste à balayer tous les principes du droit international et à faire valoir le seul droit national comme l'ont toujours fait les dictatures et les régimes n'ayant rien à voir avec la démocratie.
De cette posture non démocratique, il résulterait que le droit suisse devrait primer ; et qu’il y aurait lieu, en particulier, de renoncer aux prérogatives de cette Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui a condamné récemment la Suisse à admettre, malgré une décision d’expulsion abusive, une famille afghane renvoyée vers l’Italie (http://www.swissinfo.ch/fre/-un-tournant-dans-la-politique-d-asile-suisse-et-europ%C3%A9enne-/41099248), de même qu’un jeune homme iranien qui avait demandé le droit d’asile en Suisse arguant de sa lourde condamnation dans son pays (http://www.tdg.newsnetz.ch/suisse/oppose-renvoi-suisse-obtient-gain-cause/story/30667559).
Cette posture voulant faire renoncer la Suisse à tous ses engagements dans les principes de la Convention européenne des droits de l’homme est d’une extrême gravité. C’est une manifestation d’amnésie et de sourde indifférence aux droits humains quand on sait que cette Convention est directement issue des constats terrifiants de l’après-guerre européen marqué par les effets de la barbarie national-socialiste dans une Europe détruite de toutes parts. D’ailleurs, il y a encore quelques années, jamais cette extrême-droite n’aurait osé s’en prendre d’une telle manière à cette Convention européenne des droits de l’homme. Et le fait que ce soit aujourd’hui possible devrait nous faire réfléchir à l’air du temps inquiétant qui est le nôtre.
Bien sûr, l’expression et l’émergence de cette extrême droite s’observent dans plusieurs pays dans l’Europe et dans le monde. Cependant, le fait qu’en Suisse, elle soit l’expression d’un parti au double visage de Janus, avec sa face agraire conservatrice et sa face blochérienne antidémocratique devrait alerter celles et ceux qui sont attachés aux droits démocratiques. L’initiative de l’UDC pour la prééminence du droit suisse est en effet inacceptable sur le plan des droits humains (www.humanrights.ch/fr/droits-humains-suisse/interieure/democratie-directe/droit-international/initiative-udc-droit-suisse-droit-etranger). Les affirmations de l’UDC comme quoi « le peuple suisse » pourrait se passer de ces prérogatives en matières de droits humains et sa rhétorique plaçant ce « le peuple suisse » au-dessus de tout les principes fondamentaux relèvent d'une dérive préoccupante.
Dans ces conditions, puisqu’il s’en prend à l’engagement de la Suisse dans la Convention européenne des droits de l’homme, une ligne rouge est franchie en matière de respect des principes fondamentaux des droits humains. La présence de représentants de ce parti d'extrême-droite au Conseil fédéral, dans le gouvernement de la Suisse, ou dans des exécutifs cantonaux ou municipaux, pose ainsi un vrai problème à la société helvétique.
Charles Heimberg (Genève)
P.S. La Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été conclue en 1950. La Suisse y est associée depuis 1974.