Ce 27 janvier 2011 marquait comme chaque année la commémoration de la Journée de la mémoire de l'Holocauste et de la prévention des crimes contre l'humanité. Cette date correspond à l'arrivée de l'Armée rouge dans les camps de concentration et d'extermination d'Auschwitz et Birkenau en 1945. Or, cette commémoration n'a pas lieu avec la même intensité dans tous les pays qui l'ont adoptée, ni dans toutes leurs écoles. Et il vaut la peine d'y réfléchir.
En effet, cette Journée de la mémoire est aussi indispensable qu'elle est problématique.
Elle est indispensable parce que notre présent préoccupant ne nous donne aucun signe rassurant quant au fait que de telles horreurs imposées à des êtres humains par d'autres êtres humains puissent ne plus jamais survenir. Elle l'est encore parce que l'oubli de ces crimes porterait non seulement atteinte à la dignité de leurs victimes, mais rendrait encore plus difficile notre compréhension du monde tel qu'il est. Elle l'est également parce que d'années en années, la transmission de ces faits traumatiques est appelée à se renouveler auprès de nouvelles générations, de nouvelles volées, d'une jeunesse qu'il s'agit d'informer pour qu'elle puisse s'ouvrir à son tour à un travail de mémoire et d'histoire de son propre point de vue.
« Si elle diffuse un peu plus de sensibilité à cet univers concentrationnaire que l'écrivain Wolfgang Sofsky a appelé « l'ordre de la terreur », alors la Journée de la mémoire est une bonne chose, à conserver et à développer », écrit l'historien Angelo d'Orsi (Il Manifesto, 27 janvier 2011). Non sans s'inquiéter en même temps des effets pervers rendus possibles par la ritualisation commémorative.
Parce que cette Journée de la mémoire, en effet, est aussi problématique. Elle l'est parce qu'elle nous fait toujours courir le risque de céder à la sacralisation en vue de prévenir la banalisation des faits qu'elle recouvre. Elle l'est parce qu'elle doit à la fois affirmer la dimension universelle des valeurs qu'elle met en jeu et s'ouvrir non seulement au comparatisme, mais aussi à une posture de vigilance, et si nécessaire d'indignation, à l'égard de tous les crimes et de toutes les injustices. Sans les mettre pour autant, et forcément, tous sur le même plan. Mais en reconnaissant, lorsque c'est nécessaire, les souffrances de tous et de chacun. Elle l'est enfin parce qu'elle doit trouver le moyen d'examiner tout à la fois les points de vue des victimes, des sauveurs et des témoins passifs, mais aussi les actes des bourreaux et des criminels.
Une Journée de la mémoire n'est pas là pour soulager nos consciences tout le reste de l'année. Elle n'a de sens que reliée à un travail d'histoire et de mémoire constamment proposé et développé dans le champ scolaire comme dans l'espace public. Et c'est bien là que le bât blesse...
Car la liste est longue, dans les écoles, dans les parlements, parmi les décideurs, des occultations, des négations, des refus de l'histoire, des obstacles à la mémoire...
Que vaudrait alors la commémoration d'un jour face à l'indifférence rencontrée tous les autres jours ? Comment passer des mémoires à l'histoire si l'attention qui leur est portée est si désespérément éphémère ?
On lit et on entend déjà, ici ou là, qu'il y aurait un prétendu trop-plein de mémoires, un trop-plein de revendications mémorielles. Mais qu'en est-il en réalité de notre connaissance du passé, des présents du passé tels que les ont vécus leurs acteurs ? Est-elle si étendue que l'on puisse faire l'économie de son développement ?
Au fil du temps qui passe, nos perceptions des passés criminels et traumatiques se renouvellent constamment dans la mémoire collective. Les contenus et les manifestations de ces mémoires sont ainsi devenus de véritables objets d'études critiques pour les historiens. Quant aux passeurs d'histoire, les enseignants en particulier, ils doivent sans cesse se remettre à l'ouvrage.
Indispensable et problématique à la fois, la Journée de la mémoire nous mène tout droit à un besoin d'histoire, à un besoin d'intelligibilité du passé et du présent. Elle nous renvoie à cette nécessité de transmettre constamment, et non pas ponctuellement.
Charles Heimberg, Genève
Voir ci-joint le programme de la Quinzaine sur les Mémoires blessées organisée pour la troisième fois, du 28 janvier au 14 février 2011, par le Théâtre Saint-Gervais de Genève.