La Mairie de Paris a organisé à l’Hôtel-de-Ville une magnifique exposition de documents et d’images -affiches, gravures et photographies-, sur la Commune de Paris. Quand on sait la dimension marginale qui est désormais assignée à la transmission de son histoire dans les écoles, il était en fin de compte assez plaisant de devoir patienter dans une file résignée pour pouvoir accéder à cette présentation. L’insurrection parisienne est en effet riche de significations. Elle évoque à la fois les haines de classe, les sorties de guerre, l’ivresse de la rupture politique et la violence féroce de la réaction des possédants. Autant dire que ce sont là des enjeux qui n’ont rien de seulement parisien et qui concernent tous les mouvements sociaux d’hier et d’aujourd’hui.
Les images présentées nous rappelaient la fonction de l’affiche pour la communication et l’information dans les sociétés du XIXe siècle, et par là son rôle essentiel dans l’organisation de l’insurrection parisienne. Les gravures faisaient figure de chroniques sur les événements et suggéraient une forme de narration. Les photographies avaient une dimension moins générique. Outre les portraits des principaux acteurs de la Commune, plusieurs d’entre elles nous donnaient à voir des poses collectives dans les rues parisiennes, de vraies poses bien fières, bien construites, parfois face à des barricades. De manière significative, les clichés présentant les ruines et les traces des destructions étaient particulièrement nombreux. Non seulement parce que leurs auteurs ont eu tout loisir de les produire une fois achevée la tuerie de la Semaine sanglante. Mais aussi parce que c’était là un atout majeur pour la propagande contre-insurrectionnelle.
« À vous la France du prêtre, à Nous celle du progrès ; / à vous la France du fanatisme, à Nous celle de l’intelligence ; / à Nous l’idée, à Vous l’ignorance ; / à Vous le crime, à Nous l’humanité. » Ces belles formules, citées par l’historien Jacques Rougerie (Paris insurgé. La Commune de 1871, Paris, Gallimard-Découvertes, 1995, p. 37), nous expriment bien ce qui opposait les protagonistes du printemps 1871. Et que l’on pouvait tout à fait percevoir en examinant les documents de cette toute récente exposition.
Accueillie à l’Hôtel-de-Ville, ce qui n’était évidemment pas anodin, elle était introduite par un texte du maire Bertrand Delanoë. Dans une plaquette éditée par la Ville de Paris, il affirmait notamment que « l’idéal social et universaliste dont [la Commune] était porteuse devint une des principales références des révolutionnaires du XXe siècle, pour le meilleur et parfois pour le pire ». On ne peut évidemment que se réjouir que les autorités municipales parisiennes soient ainsi attentives à une mémoire subalterne aussi négligée, sans oublier pour autant qu’elle n’aurait sans doute pas existé sans les initiatives d’associations comme les Amis de la Commune de Paris. Mais cet accueil et ce soutien officiels peuvent aussi nous interroger sur tout ce que l’insurrection parisienne nous dit de notre monde contemporain quand on sait combien l’étude de l’histoire trouve son sens à partir de nos questions du présent. Celles qui sont soulevées par les acteurs de la Commune restent en effet largement présentes aujourd’hui, même si c’est dans un tout autre contexte et sous de tout autres formes.
« La Commune fera de la formule Liberté, Égalité, Fraternité une réalité sublime. Elle prendra l’homme à son berceau ; ne le quittera qu’à la tombe. Elle élèvera tous les enfants, distribuera le travail entre tous les hommes, à chacun selon ses aptitudes, elle abritera les femmes et les vieillards » (Une vieille citoyenne, Club de l’église de la Trinité, citée par Jacques Rougerie, op. cit., p. 138). Beau programme, mais vaste programme. Sans doute bien plus représentatif des revendications des Indignados de la Puerta del Sol que des errements des idéologues ultra-libéraux de l’Union européenne et du FMI, et que de ceux qui appliquent leurs diktats avec résignation en préférant le pouvoir à l’indignation.
Charles Heimberg, Genève