heimbergch (avatar)

heimbergch

Charles Heimberg. Historien et didacticien de l'histoire

Abonné·e de Mediapart

178 Billets

1 Éditions

Billet de blog 29 novembre 2009

heimbergch (avatar)

heimbergch

Charles Heimberg. Historien et didacticien de l'histoire

Abonné·e de Mediapart

Interdiction des minarets en Suisse: la honte!

Les résultats sont tombés en ce triste 29 novembre 2009 : le peuple suisse a approuvé la spécification dans la Constitution du pays d’une interdiction de construire des minarets sur tout le territoire. 57,5% des votants et l’écrasante majorité des cantons ont voté dans ce sens.

heimbergch (avatar)

heimbergch

Charles Heimberg. Historien et didacticien de l'histoire

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les résultats sont tombés en ce triste 29 novembre 2009 : le peuple suisse a approuvé la spécification dans la Constitution du pays d’une interdiction de construire des minarets sur tout le territoire. 57,5% des votants et l’écrasante majorité des cantons ont voté dans ce sens.

C’est la honte !

Il paraît que c’est une surprise. Que les sondages ne l’avaient pas prévue. Mais est-ce vraiment une surprise ?

En réalité, cela fait des années que la société suisse se laisse dériver dans une atmosphère nauséabonde et raciste. Elle est soumise à l’influence pernicieuse d’une extrême-droite populiste qui représente 25 à 30% de l’électorat, mais qui fait surtout la pluie et le beau temps dans l’actualité, qui est omniprésente dans les médias et qui est quotidiennement banalisée.

En Suisse le monde politique et médiatique a passé tout un été à ne se préoccuper que d’une succession, pour un siège au Conseil fédéral (le gouvernement), repourvu aujourd’hui, rassurez-vous, par un conservateur insipide. En attendant, une inquiétante campagne s’annonçait, en vue justement de cette interdiction des minarets. Mais ce monde politique suisse, sous l’effet de la banalisation du populisme, ne s’en est pas préoccupé.

La campagne contre les minarets a démarré avec une affiche ignoble qui assimilait des minarets à des femmes portant la burka, suggérant qui plus est des espèces de missiles. Fallait-il l’interdire ? Sans doute. Mais cela n’a été que très partiellement le cas. Et dans le fond, ce qu’il fallait d’abord interdire, en démocratie, et que les parlementaires suisses n’ont pas interdit alors qu’ils en avaient la possibilité au nom du principe supérieur de la préservation des droits de tous, c'était ce scrutin de la honte, discriminatoire et stigmatisant pour une partie de la population.

En charge de ce dossier brûlant, une conseillère fédérale, Mme Widmer-Schlumpf, issue du populisme d’extrême-droite, et dont la récente reconversion dans un conservatisme plus modéré ne fait guère illusion, a encore mis de l’huile sur le feu en parlant autant de burkas que de minarets au cours de sa campagne. La confusion du débat était ainsi à son comble.

Seule l’extrême-droite populiste et un petit parti évangélique soutenaient officiellement cette initiative. Mais la campagne des autres partis gouvernementaux pour la contrer a été pratiquement absente. Le calcul a probablement été fait qu’il ne valait pas la peine de trop s’engager dans cette affaire parce que ce texte n’avait aucune chance de passer. Il y a même eu des chrétiens, dont le fondamentalisme s’est ainsi révélé, pour soutenir l’initiative parce qu’elle ne passerait pas au nom de leur christianisme et pour affirmer le caractère soi-disant fondamentalement chrétien de la société. On connaît désormais l’issue de ces choix.

La Constitution suisse s’ouvre par une formule guère acceptable au XXIe siècle : « Au nom de Dieu tout-puissant ! » Par là, elle exclut symboliquement tout une partie de ceux dont elle est réputée garantir les droits. Plus grave encore, c’est donc désormais « au nom de Dieu tout-puissant ! » qu’elle interdit la construction de minarets. Ce principe d’exclusion et de stigmatisation constitue une atteinte grave au principe d’une laïcité comprise comme la possibilité du vivre-ensemble.

En ce même dimanche tristement automnal, une initiative populaire pour interdire les exportations d’armes depuis la Suisse a été une nouvelle fois balayée. La Suisse a défendu ses emplois, il y a longtemps que son image humanitaire suscite bien des doutes.

Genève, l’un des rares cantons qui a rejeté l’interdiction des minarets, a produit le plus gros pourcentage de refus, près de 60%. Ce n’est toutefois pas par humanisme. Il n’y a qu’à se rappeler la campagne déplorable que ses populistes ont menée il y a quelques semaines contre ses frontaliers. Mais à Genève, il n’aurait pas fallu trop se froisser avec une clientèle touristique qui rapporte beaucoup. Ce qui montre bien qu’en Suisse, une proposition raciste et isolationniste soumise au vote n’est rejetée que si les milieux économiques font sérieusement campagne dans ce sens.

La Suisse apparaît comme un pays isolé. Elle l'est désormais davantage encore. Deux de ses ressortissants sont retenus comme otages en Lybie dans le cadre d’une crise diplomatique qui révèle bien cet isolement. Le résultat de cette votation inique ne va sûrement pas améliorer la situation.

Le débat politique porte à la fois sur des dimensions matérielles, culturelles et symboliques. Quand il est émotionnel, il n’est pas toujours rationnel. Mais on ne peut pas y dire et y faire n’importe quoi sans la moindre conséquence. En Suisse, les populistes sont des incendiaires que les pompiers regardent passivement jouer avec leurs chalumeaux.

Que les populistes identitaires le veuillent ou non, nos sociétés, qui sont le produit de phénomènes migratoires de longue durée, sont pluriculturelles et diversifiées. Il importe donc d’y garantir les droits de tous, sans discrimination. Il est aussi essentiel d’y faire preuve d’ouverture si l’on ne veut pas que des replis aveugles nous ramènent à des tragédies que l’histoire humaine a déjà largement produites.

À l’heure où l'on nous explique que le peuple a toujours raison, il est à espérer qu’en démocratie, les droits humains de tous aient le dernier mot. Il est indispensable, il est urgent que la Suissesoit condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour cette faute grave qui ne lui fait pas honneur !

Post scriptum du 5 décembre :

Après ce vote de la honte, les incendiaires ont continué leur travail. Et ceux qui les laisent sévir leur ont prêté main forte. Ils nous ont expliqué non seulement que le peuple avait forcément raison, et qu'ils le respectaient, mais aussi qu'il nous fallait être à l'écoute de ses peurs (celles-là mêmes qu'ils ne cessent d'attiser). Assistant d'incendiaires en chef, le président du Parti démocrate-chrétien, Christophe Darbellay, a cru bon de s'en prendre en plus aux burkas et aux carrés confessionnels dans les cimetières. Il a fini par s'excuser, mais il ferait bien mieux de démissionner. Un pasteur et professeur de théologie, Shafique Keshavje, a lu de son côté avec délectation sur la radio romande (émission Le Grand Huit, 2 décembre) des déclarations fort peu laïques de Nicolas Sarkozy comme quoi "le fait religieux et la question spirituelle ont été très largement sous-estimés", alors que la religion serait "le support d'une espérance". Et il en a tiré deux conclusions : il faudrait parler davantage de religion à l'école [mais pourquoi seulement de religion, n'est-ce pas toute l'histoire des migrations humaines et des échanges entre cultures qu'il faudrait mieux faire connaître?], et il serait parfois nécessaire d'accepter des discriminations en démocratie (sic). Le refus des minarets, vote raciste et altérophobe, a donc bien une composante chrétienne, même s'il a surtout été provoqué par le populisme d'extrême-droite. Du coup, André Langaney, qui n'est en rien populiste, et qui déclarait le lendemain dans la même émission radiophonique avoir voté contre les minarets comme il aurait voté contre les clochers, s'est franchement trompé de scénario. Ce vote que les fondamentalismes chrétiens essayent de récupérer n'a rien été d'autre qu'un vote raciste, altérophobe et discriminatoire.

Dans un texte publié le 4 décembre dans Libération, le réalisateur Lionel Baier a évoqué une "Suisse toujours propre sur elle". Il a comparé la démocratie directe à du papier Sopalin empêchant soi-disant tout vote d'être "dégueulasse". Mais il a conclu en précisant qu'il s'était soudain "trouvé dégueulasse d'être Suisse". Pour ma part, je ne me reconnais ni dans ce vote, ni dans cette culture politique dominante qui tente de le justifier. Mais heureusement, la population de la Suisse ne peut pas être assimilée tout entière à ce vote inique et à ceux qui l'ont rendu possible.

Charles Heimberg (Genève)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.