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Billet de blog 3 juillet 2023

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Pourquoi j’ai brûlé la Médiathèque …

« On dit que c’est un acte autodestructeur d’avoir brûlé la Médiathèque, que je suis con. On dit que je suis pour le capitalisme parce que j’ai cassé les vitrines de NIKE et j’ai pris une douzaine de paires ..."

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« On dit que c’est un acte autodestructeur d’avoir brûlé la Médiathèque, que je suis con. On dit que je suis pour le capitalisme parce que j’ai cassé les vitrines de NIKE et j’ai pris une douzaine de paires.

Je suis con parce que je brûle la Médiathèque, mais si le Ministre de l’Intérieur qui est allé certainement à des médiathèques et à des bibliothèques, en réponse à l’indignation de la jeunesse nationale, celle des pauvres, des arabes, des noirs et des généreux, indignation contre la police qui a encore tué un gamin, ne trouve à dire d’autre qu’il va mettre 45000 policiers dans la rue, plus les blindés, plus de l’armement lourd, et des tireurs d’élite, lui qui est allé à des la médiathèques et à des bibliothèques, alors à quoi ça sert d’aller à la médiathèque ?  

Si le Ministre de la Justice qui est allé certainement, lui aussi, à des médiathèques et à des bibliothèques, devant la manifestation de ce désespoir général, n’a comme seule idée de mettre les parents de jeunes en taule, à quoi ça sert d’aller à la médiathèque ?

Si le président de la République qui est allé, à des médiathèques, à des bibliothèques, à des bons collèges, lycées et universités, qui a certainement plusieurs paires de NIKE sans casser la vitrine, qui a choisi ces deux ministres et les garde, si ce président qui face à la colère des pauvres pour l’augmentation du prix de l’essence n’a trouvé comme réponse que de blesser, mutiler et tuer les pauvres désarmés avec des armes lourdes, si le même, avec sa tête de Tintin, devant la douleur et la colère d’une partie des jeunes et des citoyens à cause du meurtre d’un enfant, dit que la rébellion est la conséquence des jeux-vidéos et de la compréhension de cette révolte par un footballeur sorti des cités, alors, à quoi ça sert d’aller à la médiathèque et tout et tout si c’est pour dire et faire des conneries pareilles ?

Oui, la médiathèque, comme les collèges et les lycées, ce sont des lieux où l’on peut apprendre des choses, acquérir un savoir, aimer la connaissance. Mais le gouvernement déteste la pensée. Ils ont fait arrêter à Londres le correspondant d’un éditeur sous prétexte qu’il avait été dans une manifestation contre la nouvelle loi sur l’âge de la retraite. Il a dit que le mouvement écologique se radicalise à cause de la lecture d’un livre, et non parce que la vie sur cette planète est en train d’être détruite. Alors, pourquoi apprendre ?

L’école républicaine comme un ascenseur social ? Cela n’est plus vrai depuis longtemps. Je pense à mon père. Il était dans un collège de merde dans banlieue de merde où l’on vit toujours. Cette histoire s’est passée il y a une quarantaine d’année. Le ministre de la culture de l’époque proposait aux artistes d’aller dans les écoles des quartiers-ghettos de pauvres, arabes et noirs. Il y a une écrivaine qui est venue. Malheureusement c’était une idiote. Elle est rentrée dans la classe, s’est assise et a dit : j’écris pour rencontrer la mort. Alors Mamadou, c’était un ami de mon papa, il était un sacré numéro, a sorti un cran d’arrêt et lui a dit : si vous voulez on peut régler ça tout de suite. La femme a crié au secours, criait criait, Mamadou a été expulsé et la dame n’est plus jamais revenue. Mamadou venait toujours à la maison. Il adorait entendre mon père raconter des histoires. Il n’a plus jamais repris les études. Il a été dans le trafic. On a compris ça le jour où il est arrivé avec une Mercedes. Papa l’aimait beaucoup, nous, les enfants, aussi. Il nous apportait, à chaque visite, beaucoup de cadeaux. Il a été tué. Soit par des caïds du trafic, soit par les poulets. On n’a jamais su au juste. Mon père disait toujours que s’il n’avait pas été expulsé du collège sa vie aurait peut-être changé.

Parce qu’après l’hystérique qui voulait mourir, il y a une autre écrivaine qui est venue. Elle était courageuse de venir suite à ce que s’était passé. Le jour où elle est arrivée souriante, elle a dit bonjour, et a proposé de raconter une histoire. Elle a parlé pendant une heure et, c’est mon père qui dit cela, on pouvait entendre voler une mouche. A la fin de son histoire elle a dit qu’elle avait été écrite par un homme qui s’appelait Franz Kafka, et a promis de dire pourquoi elle l’avait choisi, mais qu’avant elle aimerait que les élèves lui disent, si cela était possible, ce qu’ils pensaient. Mon père, quand il évoquait ce moment, il n’a jamais cessé d’en parler, je crois que cela lui a changé la vie, disait toujours : elle souriait en faisant cette proposition, elle souriait souvent, ce n’était pas de la politesse, c’était du respect, un profond respect pour nous tous, on avait l’impression d’être traités comme des Princes. Et tout le monde a parlé, c’était la fête de la parole. Et elle a dit qu’elle était très émue et qu’elle était sûre qu’on ferait de belles choses ensemble. Et à la fin de l’année elle a réuni dans un petit livre les textes qu’on avait écrit. Et elle nous a présenté Faulkner, Malraux, Camus. Elle disait que tout le monde peut écrire, que tout le monde n’est pas écrivain, mais que tout le monde peut écrire. Et elle nous a prouvé cela.

Mon père a lu tout Kafka, Faulkner et tout et tout. J’ai entendu ce qu’ils ont écrit toute mon enfance. Ce sont ces histoires qu’il racontait à Mamadou.

Un jour, en rentrant du travail, il a été contrôlé par des flics qui ont été très insultants. Mon père a refusé une fouille au corps en disant qu’il connaissait ses droits et a demandé qu’on l’amène au commissariat. Les flics, ont ricané, il connait ses droits, le nègre, et ils l’ont tabassé, tabassé. Il n’a jamais pu marcher à nouveau mon père. Mais, pour mon père, il n’y a pas eu des manifestations. C’était et c’est de la routine. Routine de la peur et de la souffrance. Peur d’être la cible de la haine. Souffrance de l’impuissance, de l’humiliation. Pour l’’assassinat du petit Nahel, sans la vidéo, devant les faux rapports des policiers, porter plainte aurait été pisser dans un violon.

J’ai suivi mes potes qui ont cassé les portes et les vitres d’un hôpital. Le ministre de la santé a dit que c’était scandaleux. Le ministre a dû aller à des médiathèques, université et tout et tout, peut-être même qu’il a lu Kafka, mais fermer les lits des hôpitaux, avoir des équipes hospitalières épuisés parce que toujours en sous-effectifs, des services d’urgences et de psychiatrie désertés à cause du manque de personnel et des moyens et de salaires de misères, comment appeler cela ? Sans oublier, au début de la Covid, la porte-parole du gouvernement, elle était très bête, au lieu de traiter le peuple en adulte, comme l’a fait Merkel en Allemagne, et dire que le stock des masques n’avait pas été renouvelé, elle affirmait que le port du masque n’était pas nécessaire, et que d’ailleurs mettre un masque était très compliqué. Et comme elle avait des diplômes, la porte-parole, elle devrait être persuadée que tout le monde pouvait gober les mensonges criminels d’une abrutie. Mes potes n’ont pas eu un père qui a lu Kafka et le reste, ils ne lisent pas le journal, ils ne savent pas que c’est la stupidité de cette bande des délinquants qui tient le pays qui a décidé de détruire le Service Public. Quand ils arrivent à l’hôpital parce qu’ils ont fait une chute de vélo, ou plus grave encore, et qu’ils attendent cinq six heures avant de voir un médecin, pour eux, qui ont entre 13 et 17ans, cet accueil de merde est la faute de l’hôpital et non du gouvernement.  

Tu veux que je continue à parler ? Mais ton journal ne peut contenir tout ce que je pourrai te dire, il faudra un volume de la Pléiade en papier bible … Si tu veux on peut revenir à la Médiathèque … »

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