Vivre avec la peur au ventre. Pouvoir être assassiné, comme ça, pour rien. Tu as déjà tué un nègre dans ta vie ? Pas encore ? Le long chemin qui va de l’horreur à l’humanité. Naître hors du monde et avoir le ghetto comme seul lieu de repos. Le ghetto : l’endogamie, la violence des ruines, l’inceste, le meurtre entre les mêmes. Être constitué par la haine de l’autre, avoir affaire à cela tout le temps. Comment ne pas répondre à la haine par la haine. L’immense courage de parier, malgré tout le dégoût, sur la pensée, sur la rencontre. Vivre est un travail de création à plein temps. La phrase terrible de Baldwin : je suis optimiste parce que je suis vivant. Affirmer la joie de la vie au milieu du désastre.
Elise Vigier traite ces questions avec une grande réserve, soucieuse qu’aucun alibi ne soit donné au spectateur. Rien d’incantatoire, même le gospel, si important pour la communauté noire américaine, est hors cadre. La scène est l’espace du roman d’une lutte qui a eu lieu. Paroles de cette lutte et de la douleur qui allait avec, très bien rendues par les acteurs Jean-Christophe Folly, Makita Samba, Ludmila Dabo, puis Nanténé Traoré, Willian Edimo et Nicolas Giret-Famin ; dispositif scénique d’Yves Bernard, comme toujours juste et au service de la représentation des pensées de la scène, dispositif dans lequel les images, belles et parfois inquiétantes, de Nicolas Mesdom s’intègrent comme des évidences. Lutte qui a été victorieuse, les images d’archive l’attestent, mais cela ne nous laisse quittes de rien. Vigier ne traite pas cette lutte comme un exemple ; c’est un fait, un fait historique. Et, aujourd’hui, tout reste encore à faire. Elise Vigier, fidèle à James Baldwin, veut qu’on n’oublie pas.
La guerre est déclarée. Aux pauvres. À l’amour. Nous sommes tous libres de vivre dans nos ghettos. La ghettoïsation de la vie. L’énergie gigantesque pour dire non à ça, à toute cette merde.
Être hors du monde. Villiers le Bel. Saint Denis. Toutes les banlieues de la planète. Les Rom. Les fous. Le peuple Palestinien. Le peuple Israélien. Le peuple Brésilien. Le peuple Grec. L’Afrique.
Les milliardaires veulent éliminer le vivant de la face de la terre. Comment représenter au théâtre l’excellence d’un ancien combat politique dans ces temps remplis de tant de misères, de médiocrité, de publicité du mensonge ? L’intransigeance éthique d’Elise Vigier.
La guerre est déclarée.
Harlem Quartet, James Baldwin/ Elise Vigier
Maison des Arts de Créteil Jusqu’au 11 Novembre
Cette mise-en-scène sera reprise :
du 16 au 18 Novembre, au Festival Mettre en Scène, Rennes
au 23 Novembre à L’Avant Seine, Colombes
du 23 au 26 Janvier 2018, au Théâtre de ma Croix-Rousse, Lyon
du 20 au 22 Février 2018 à La Comédie de Caen- Hérouville