Alors comment ça se passe ? Mais ce n’est pas très compliqué. On s’ennuie dans la vie, la routine de tous les jours, rien de très intéressant, et hop ! on s’invente une petite horreur de poche, on baise le fils de son mari, tension tension, l’existence remplie d’intensité glauque, l’angoisse mêlée au plaisir, la jouissance de l’interdit, uauu, uauu, que de couleurs dans un quotidien pâle.
Mais comment peut-on encore s’intéresser à l’univers de la bourgeoise après Le charme discret de la bourgeoise ? Puis la question qui tue : pour un Buñuel il faudra se coltiner combien de Breillats ?
Parce que l’inceste a des beaux jours devant lui. On pense légiférer son interdit. J’ai grandi avec l’idée que l’interdit de l’inceste, du meurtre et les rituels pour les morts sont la triade sur laquelle se fonde une civilisation. Maintenant on va faire une loi qui prescrira qu’il est interdit de ne pas être civilisé. Ça va être top. On va interdire un acte sans l’interdiction duquel on n’aurait pas pu penser l’interdit. D’ailleurs, il y a déjà des gens qui se font tatouer au bras leur propre visage. – Dans les années 60, un grand psychiatre et psychanalyste belge, Jacques Schotte, disait que la société devenait psychotique.
Vous savez que notre honorable garde de sceaux, Mr. Dupont-Moretti a plaidé, quand il était avocat, l’existence de l’inceste heureux. Son client, qui avait été dénoncé par une de ses filles soucieuse pour sa sœur laquelle venait d’avoir un enfant de son père, fut acquitté. Le procureur, ou le juge, je ne me rappelle plus lequel, à la fin des audiences est même venu complimenter le prévenu. Touchant … Peu de temps après, l’heureux relaxé a tué son heureuse fille-maitresse, qui s’était enfuie de l’heureux foyer incestueux avec son enfant. Puis il s’est donné la mort. Il n’a pas pu trouver son fils-petit-fils qu’il voulait aussi assassiner. Triste démenti à la brillante démonstration de son conseil.
Mais, le désir n’est-il pas toujours liée à la transgression ? Certes, oui. Mais la transgression n’est pas le meurtre, meurtre psychique j’entends, la preuve c’est qu’il y a les deux mots dans la langue.
Et la passion ? Qu’est-ce que je fais de la passion ? Mais pourquoi la passion doit-elle être ténébreuse et mortifère ? C’est une conception bien bourgeoise, moraliste. C’est vrai, il y a même des psychanalystes qui la considèrent ainsi. Fidèle à son idée, chez Breillat il n’y a pas d’humour, tout est très sérieux. Quelle barbe.
La joie dans la passion ? Cassavettes, Hawks, Rossellini, Truffaut … et tant d’autres. Heureusement la semaine prochaine il y a le dernier Kaurismäki qui sort, oui c’est vrai c’est pas tout à fait la même chose, il s’agit de l’amour, et l’amour n’est pas à la mode, d’ailleurs l’inconscient freudien non plus.
En attendant Breillat est partout : couverture de Télérama, deux pages à Libération, au Cahiers du Cinéma. Avec toute la bonne volonté dont je suis capable, je n’ai rien compris à ce que j’ai lu comme commentaire sur le film. Il y a aussi des entretiens avec Léa Drucker, indubitablement une formidable actrice, mais ce n’est pas le sujet.
Donc d’un côté on s’enchante pour un film qui célèbre l’inceste et, de l’autre, on a un féminisme moralisateur (reviens vite Delphine Seyric !) qui donne la main à un comportementalisme qui devient une référence pour l’éducation des enfants. - Vous savez qu’il y a un dispositif qui envoie des petits chocs électriques dans les couches pour que le petit cesse de faire pipi au lit ? (Il y a des gadgets plus softs dans d’autres domaines). Quand on privilégie l’idéologie, et les recettes de conduites qui vont avec, plutôt que la pensée des complexités humaines, le cousinage avec l’extrême droite n’est pas loin. (Je sais, là, comme dirait Raymond Devos, il faut suivre …)
« Tais-toi ». C’est la dernière phrase du film L’été dernier. La boucle est bouclée. L’ode à l’inceste implique le silence sur la vérité, la prescription du mensonge comme colonne vertébrale de la vie.
Un ange passe, un doute plane. Ils se sont rentrés dedans. Plouf. (Toujours Devos)