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Billet de blog 14 octobre 2009

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le prix de la dette

Le prix de la Paix décerné par le jury Nobel à Barack Obama a embarrassé les commentateurs. La plupart ont insisté sur le fait que le Président américain n’est à la tâche que depuis dix mois et que, malgré ses positions radicalement opposées à celles de son prédécesseur, ce temps semble trop court pour juger de ses actes.

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Le prix de la Paix décerné par le jury Nobel à Barack Obama a embarrassé les commentateurs. La plupart ont insisté sur le fait que le Président américain n’est à la tâche que depuis dix mois et que, malgré ses positions radicalement opposées à celles de son prédécesseur, ce temps semble trop court pour juger de ses actes.

Certains critiquent la lenteur de ses réformes. Adeptes de la religion Vitesse, ils ne peuvent comprendre qu’une négociation ne se fasse aussi vite qu’on répond à leur commande de déjeuner dynamique : un plan de santé, Un ! ; une entente sur le désarmement nucléaire, Une ! Par ailleurs, ils oublient, ou ignorent, que les institutions démocratiques fonctionnent à plein régime dans la société américaine, ce qui signifie l’existence effective de contre-pouvoirs.

Enfin d’autres, compassionnels, se sont aventurés à y reconnaître un piège pour la fonction présidentielle, le prix de la Paix, selon eux, étant incompatible avec l’éventuelle nécessité de mener une guerre, voire avec le cynisme qui accompagne toujours l’exercice du pouvoir.

Ce critère d’efficacité sera aussi retenu par ceux qui saluent la décision des jurés. Pour eux, à cause de leur portée symbolique, les prises de position du nouveau Président américain doivent être considérées comme des actes qui justifient amplement la décision adoptée. Et il semble évident qu’ils ne partagent pas la lecture réductrice de Machiavel faite par leurs contradicteurs.

Je pense à une anecdote. Quand Lula a été élu pour la première fois Président du Brésil, nous avons été invités, avec quelques autres, à le rencontrer lors de son premier passage par Paris au lendemain de sa victoire. La réception avait lieu dans la résidence de l’ambassadeur brésilien en France. À notre arrivé, l’ambassadeur m’a pris à part. Il savait que j’étais l’ami d’un ministre nommé au gouvernement, qui faisait partie du voyage. Il me demandait d’intervenir auprès de mon ami afin qu’il obtienne l’engagement du Président de se ménager affectivement. Voici les raisons de ses craintes :

Dans l’après-midi le Président Lula avait reçu le directeur du FMI. Celui-ci avait commencé la rencontre brutalement, en disant qu’il était heureux du résultat de l’élection brésilienne, mais qu’avec l’Amérique Latine, le problème était toujours le même : un homme est élu avec un programme sérieux et après un parcours honorable, puis, vite, il devient un dictateur corrompu. Et il avait demandé au Président Lula ce qu’il pensait de cette réflexion. Le Président resta un long moment en silence en fixant son invité. Après, il parla très calmement. Monsieur, ma mère, à qui je dois tout, était une femme analphabète. Mais elle m’a appris deux choses fondamentales. D’abord, lorsqu’on parle à quelqu’un, on le regarde dans les yeux, franchement, comme je vous regarde maintenant. Ensuite, lorsqu’on engage sa parole on est tenu par elle, autrement on n’est pas un homme digne de ce nom. Arrivé à ce point de son récit, l’ambassadeur était complètement bouleversé. Et alors, il a poursuivi, le Président Lula s’est mis à pleurer. Et voilà que le directeur du FMI se lève, ouvre ses bras et ils se donnent une forte accolade. Vous comprenez certainement, m’a dit l’ambassadeur, le Président ne peut se permettre une telle sincérité en permanence. À continuer ainsi, il aura une attaque cardiaque en très peu de temps. L’entretien fini, mon ami Reali Junior, correspondant du journal Estado de Säo Paulo, qui était présent, me donne une information que l’ambassadeur n’avait pas mentionnée. En sortant de la rencontre avec le Président Lula, le directeur du FMI a déclaré à la presse brésilienne qui l’attendait, qu’il acceptait de renégocier la dette du Brésil auprès de son organisme. Demande plusieurs fois réitérée, sans succès, par le gouvernement sortant, gouvernement représenté par nôtre hôte si inquiet. Je comprenais mieux les raisons de son souci. D’une dette à une autre.

Barack Obama, comme Lula, sait aussi reconnaître ses dettes. Il inscrit son histoire dans la continuité des « rêves de (son) père » et de ses ancêtres. Dans son discours de Philadelphie, tournant de sa campagne, s’il a condamné les «propos incendiaires» de son pasteur Jeremiah Wright, il a, en même temps, reconnu la dette qui était la sienne à l’égard d’un homme qui lui a appris la solidarité. Vers la fin de la campagne, moment crucial, il n’a pas hésité à partir quelques jours auprès de sa grand-mère en fin de vie.

J’aime penser que les jurés du Prix Nobel ont voulu rendre hommage à un homme d'Etat qui se veut débiteur vis-à-vis de tous ceux qui l’ont constitué comme sujet, qui accueille et se réjouit de l’autre dans sa différence.

J’aime penser que le Prix Nobel de la Paix a été donné à un homme d’Etat qui, par ses promesses, a fait l’inventaire des dettes dues par sa fonction à ses concitoyens - ayant, toutefois, le réalisme de constater qu’une vie n’est pas suffisante pour s’en acquitter. Un homme d’Etat qui fonde son humanité dans ce qu’il a eu en héritage, et qu’il se donne la charge de transmettre.

Et j’aime imaginer que les jurés du Nobel ont parié qu’une politique qui s’étaye sur la fidélité à une pensée bâtie sur ces bases, n’a pas besoin, pour être célébrée, d’attendre le dénouement tragique comme celui qu’a connu Salvador Allende.

Les cyniques qualifieront tout cela de romantisme. Mais le cynisme peut gérer le monde comme il est, jamais en inventer un autre.

Pour l’invention, nous sommes en meilleure compagnie avec des réalistes – comme le Président Lula, comme le Président Barak – des réalistes pour qui le tissu des décisions est aussi fait de leur sensibilité et de leurs rêves.

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