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Billet de blog 15 novembre 2022

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La magie d’Elise Vigier au Théâtre de la Tempête

Si vous aimez le théâtre, si vous aimez les enfants, si vous aimez jouer, la joie et la vie, courrez au Théâtre de la Tempête. Grâce à Elise Vigier vous sortirez remplis d’énergie pour affronter les violences qui nous entourent.

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Pensez à un anniversaire d’enfant où les parents invitants auront disposé des objets quelconques dans un espace – table, chaise, produits de maquillage, étoffes. Supposons même un jardin où il y aurait de quoi faire une cabane. Que nos apprennent alors les enfants ? Comment font-ils pour que tout, absolument tout, soit constamment vivant, joyeux, dans l’émergence ? Comment font-ils pour passer, sans fatigue ou effort, d’une chose à l’autre, avec la même créativité, le même élan, la même concentration, la même vérité ?

L’essence du théâtre c’est le jeu, donc l’enfance. D’ailleurs on dit le jeu des acteurs. Le théâtre populaire, non le théâtre bourgeois plein de profondeurs qui ne servent à rien, est joyeux, vigoureux, stimulant – Shakespeare, par exemple. Le théâtre qu’on aime peut se jouer n’importe où, dans une scène, une rue, une salle. Le théâtre, le vrai théâtre, nous rappelle que pour penser les misères du monde mieux vaut être bien dans sa peau, avoir du plaisir avec quelques autres. L’important pour un artiste est de réussir sa vie et la réalisation d’un tel désir est à la portée de n’importe qui.

L’actuelle mise en scène d’Elise Vigier présente une troupe de théâtre qui répète un texte : l’amitié entre les acteurs, la joie d’être ensemble, d’inventer, de s’amuser, le collectif comme lieu de repos. Et on a envie de participer à cette communauté, le désir de fonder des communautés de travail nous revient ou s’affermit. La création suppose la détente, l’absence d’esprit de sérieux – l’enfance. Elise Vigier sait de quoi elle parle, elle qui est venue des Lucioles : Frédérique Lollié, Valérie Schwartz, Marcial Du Fonzo Bo, Pierre Maillet, Philippe Marteau, David-Jeanne Comello – excusez du peu.

Aujourd’hui où l’argent est moins distribué, les subventions, quand subvention il y a, servent à financier le montage d’une pièce. Qui a besoin de la durée pour devenir un spectacle fluide, avec l’échange évident entre les acteurs, échange qui présuppose la connaissance intime que donne le temps. Privé de troupes, donc d’un temps long de répétitions, les spectacles d’aujourd’hui font leur « rodage » devant un public payant. Celui d’Elise Vigier et ses acteurs, tous merveilleux, nous arrive après Avignon et un séjour à la Comédie de Caen ; c’est un spectacle mûr, où tout « semble » simple, la pure invention en acte, immédiate, étonnante illusion de l’éphémère de l’instant fonctionne à plein régime, on croit assister à la coïncidence de l’idée et sa réalisation instantanée par l’action. – Voilà une responsabilité urgente pour les agents culturels de la scène théâtrale, critiques compris : batailler pour le retour du financement des troupes par les institutions de l’Etat.

Dans la mise en scène d’Elise Vigier, les fantasmes de midinette d’Anaïs Nin sont seulement prétexte pour le déploiement incroyable de tous les possibles du jeu, de l’intelligence de faire avec peu de choses, voire avec le rien. Ceci servi par la puissance des femmes puissantes.

Ludmilla Dabo, qui réunit à elle seule Harlem, le gospel, le blues, le jazz, les années quarante et cinquante du siècle dernier et tous les fantasmes qui vont avec : les nuits et les réveils, la douceur de la peau, se perdre dans ces volumes pour renaître.

Les jambes infinies de Louise Hakim et son ventre capable de mille astuces pour enseigner, oui ça intéresse les enfants, la différence anatomique des sexes.

Dea Liane qui présente une Anaïs Nin comme une pré-ado que tout enchante béatement et bêtement, qui est une ligne du personnage qui me plaît énormément. Et qui, par ailleurs, a une présence scénique très agréable, sensuelle, les yeux pétillants de curiosité.

Nanténé Traoré est, comme toujours, la force de l’existence, la ténacité du désir ; elle joue à contenir le désespoir du tragique dans les limites de la raison, ça réussit et ça rate, comme dans la vie, c’est un jeu avec quelque chose de vrai, fréquent, et sa manière de faire propose une méthode.

Et Elise Vigier qui sait dire un texte comme personne. Si le metteur en scène est un très bon acteur, il/elle tient à mettre en valeur ses comédiens ; avoir un plateau rempli d’êtres humains intensément vivants, ça humanise l’audience.

Les hommes sont étonnants de bonheur, de beauté, d’intelligence, d’humour. Makita Samba dont le déhanchement fait rêver en même temps qu’il nous rend hilaires. Nicolas Giret-Famin qui sait se draper en empereur ou princesse, va savoir, qui se dénude, se rhabille ou se maquille, comme ça, pour jouer, et c’est une fête pour le regard, pour l’esprit, ça mettrait de bonne humeur un pape jésuite. William Edimo qui n’a jamais vu une femme nue, qui fait des discours sur n’importe quoi et nous sommes heureux de l’entendre.

Dans une fête d’anniversaire d’enfant, parfois il y a un film. Ici c’est celui de Nicolas Mesdon, mais en plus des images on a le son. Et ça change l’usage du cinéma au théâtre, parce que, vraiment, c’est du cinéma. Il y a aussi un magicien qui coupe le corps en deux parties, on peut jouer à léviter, au docteur qui fait des massages, on danse, oh les claquettes, on peut tomber, mourir et revivre.

Si dans une fête d’enfants beaucoup de choses se passent en même temps, dans cette représentation d’Elise Vigier, l’éclatement des scènes renvoie à la pluralité des possibles. Ce qui est, convenons-le, le propre du théâtre, de l’art en général : jouer avec les impasses et les adversités afin de faire apparaître les horizons qu’ils cachent. Gratuité du jeu qui invite à rendre légère la vie pour tordre le cou aux assassins de l’avenir. Mettez du Spinoza dans vos pensées.

La représentation finie, on part chez soi convaincu, encore une fois, que malgré Macron, Darmanin, Dupont-Morreti et d’autres, malgré l’urgence climatique et la médiocrité ambiante, la vie vaut la peine d’être vécue. Et qu’il faut la vivre pleinement, grâce aux amitiés, à l’amour, au désir, à la création et à la pensée, pour pouvoir résister, pour inventer des nouvelles formes de réponses à l’oppression fasciste qui menace. Et ce sentiment est notre dette au talent absolu d’Elise Vigier.

Remarquons, pour conclure, que depuis toujours Elise Vigier fait jouer indistinctement les rôles de ses personnages par des acteurs noirs et blancs. Pourquoi le signaler ? Parce que c’est une éthique en acte, une pratique concrète de la démocratie. Et ce n’est pas parce cela est une évidence théorique partageable qu’il ne faut pas la signaler lorsque elle nous est donnée dans la réalité.

Anaïs Nin au miroir

Texte d’Agnès Desarthe

Assistanat à la mise en scène Nanténé Traoré

Scénographie : Camille Faure, Camille Vallat

Costumes : Laure Mahéo

Maquillages, perruques : Cécile Kretschmar

Lumière : Bruno Marsol

Musique :Manusound, Marc Sens

Chorégraphie : Louise Hakim

Effets magiques : Philippe Beau, Hugues Protat

Régie Générale : Camille Faure

Régie son : Manu Léonard, Luis Miguel Saldanha

Régie vidéo : Romain Tanguy

Régie plateau : Camille Faure, Naoual El Fannane

Réalisation des costumes : Antoinette Magny,  

                                   Ateliers de la Comédie de Caen

Couturières : Yolaine Guais, Julie Duclutrasse

Habilleuse : Marion Régnier, Marine Baney

Entretien costumes : Hercule Bourgeat

Stage assistanat mise en scène : Flavien Beaudron

Renfort tournage : Rosalie Audouard

Construction Décor : Ateliers de la Comédie de

                     Caen sous la direction de Carine Fayola

Théâtre de la Tempête du 11 Novembre au 11 Décembre 2022

Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, 75012

Téléphone : 01 43 28 36 36

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