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Billet de blog 22 avril 2023

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ESTHER WAHL : TALENT À SUIVRE

Esther Wahl est arrivée. Notre enchantement dans ces temps de misère politique. Un chance pour les agents culturels.

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C’est à l’avant dernière représentation du séjour de la Compagnie Chaos Solaire au Théâtre Les Déchargeurs, séjour qui a duré du 30 Mars au 22 Avril que j’ai découvert le travail d’Esther Wahl. Évènement.

Découverte qui m’a rappelé la joie éprouvé au Brésil des années 60 devant les mises en scène incroyables d’invention et d’audace d’Augusto Boal et de José Celso Martines Correa, à São Paulo, de Luis Maciel à Porto Alegre, de João Augusto à Bahia. – Le remarquable travail de formation d’acteurs de João Augusto est vérifiable dans l’immense prestation d’Othon Bastos qui joue Corisco dans le film de Glauber Rocha, chef d’œuvre de l’Histoire du Cinéma, Deus e Diabo na Terra do Sol (le Dieu noir et le Diable blond). La découverte du travail d’Esther Wahl me permet aussi de retrouver, intacte, l’émotion devant la création de François Tanguy, Mystère Bouffe, en 1986, dans la banlieue parisienne. – Nous avons fait part de notre émerveillement à Claude Régy qui, après avoir vu le spectacle, a obtenu que Tanguy soit programmé au Festival d’Automne suivant – avec le destin qu’on connaît. Ou, plus tard, ma rencontre avec la pensée théâtrale de Marcial DI Fonzo Bo, d’Élise Vigier, Frédérique Loliée, et aussi de Joël Pommerat (dans sa mise en scène et écriture de Ça Ira (1). Fin de Louis)

La mise en scène d’Esther Wahl de la première version du texte de Leslie Kaplan, Louise, elle est folle, est, à tout point de vue, un enchantement. Par la magie très particulière qui recèle le théâtre, et dont Esther Wahl semble intime des mystères, on passe de l’allégresse à l’angoisse, de la tragédie à la farce, de l’horreur au fou rire. Le grotesque est une forme de la sensibilité, loin de la caricature, et si, à la fin de la représentation, le spectateur se trouve confus, ébranlé qu’il est par la vigueur de l’expérience esthétique qu’il vient de traverser et qui l’a amené dans les zones inconnues où la pensée cherche à nommer les affects, il aura une certitude : que l’énigme de la folie condense tous les traits qu’Esther Wahl a su figurer sur scène, de l’humour bizarre à une sensibilité douloureuse à la beauté, de la difficulté à habiter son corps, d’où les stéréotypies, aux exploits physiques inespérés, de l’apathie aux plus grandes tensions psychiques, de la ruine d’un lieu pour la pensée à l’expression la plus subtile des émotions les plus intenses, de l’éclatement du Moi à la contenance fugace d’une douleur extrême. (1)

Le spectacle dure un peu plus d’une heure et on aurait eu envie qu’il se prolonge encore et encore, tellement la direction des acteurs, tous formidables, et les inventions scéniques d’Esther Wahl jaillissent d’un jeu adossé à l’acuité d’une intelligence qui se ressource en permanence dans la joie de penser, de créer. Indubitablement la création au théâtre, d’ailleurs comme toute création, retouve la joie de notre ardente concentration aux jeux de notre enfance, à ceux auxquels nous avons joué, à ceux qu’on nous a empêché de réaliser. Bien sûr, une évidence, la mise en scène d’Esther Wahl qui transmet et invite à cette concentration de la joie de jouer, sera aussi un régal pour les enfants de tous âges ; c’est un constat que tout parent peut faire : après avoir entendu un conte « horrible » des frères Grimm, les bambins ont une nuit tranquille, sans cauchemars.

Je ne suis pas soucieux pour l’avenir d’Esther Wahl. Son immense talent sera toujours reconnu. Mais j’espère que les producteurs, les scènes nationales et les Dracs, s’intéressent rapidement à la Compagnie Chaos Solaire que dirige Esther Wahl – une question de citoyenneté. Je pense aussi à l’Éducation Nationale et au travail inauguré par Jack Lang d’amener aux collèges et lycées le travail des artistes. J’aurai parlé d’Esther Wahl à Claude Régy, mais, malheureusement il n’est plus. Mais, bonheur bonheur, MEDIAPART existe.

Il faut aussi saluer la politique de travail soutenue par le Théâtre Les Déchargeurs. Accueillant les jeunes compagnies et, surtout, en leur donnant un long temps de présence sur ses plateaux, il leur offre, à la fois, le temps de mûrir et affiner leurs spectacles et la possibilité d’une large expérience avec le public. L’importance évidente de cette politique pour les jeunes compagnies implique, certainement, un grand risque financier. J’espère que le Ministère de la Culture, dans la filiation de ce que André Malraux, son référent, a mis en place, soutienne par des subventions cet espace de travail qui étaye la formation donnée dans les conservatoires nationaux et écoles de théâtre.

Louise, elle est folle

Texte de Leslie Kaplan

Mise en scène d’Esther Wahl

Jeu par Carla Beccarelli, Tom Béranger, Louise Herrero, Léo Hernandez, Clara Koskas, Angélique Nigris

COMPAGNIE CHAOS SOLAIRE 

solairechaos@gmail.com

1 - Cette première version du texte fut présentée en lecture dramatique à la Comédie Française dans une série appelée Les Monstres. La série a été éditée dans la collection Les Petites Formes de la Comédie Française/L’avant-scène théâtre, Paris, 2008.

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