Tango y tango, moment formidable où le tango quitte la mélancolie et devient une ode à la vie !
Création d’une forme où le théâtre et le cinéma s’intègrent pour célébrer la joie de penser née de la résistance à l’horreur. Je ne savais pas que les milongas et le tango avaient été interdits pendant la dictature - interdit les enchantements de la rencontre. La leçon de Claude Lanzmann est retenue : pas d’images sur le meurtre, mais les paroles des Mères de la Place de Mai, qu’on appelait les folles – le pur courage, la vie et la mort entrelacées : une force juste, sidérante, éclat solide d’un diamant lumineux dans les ténèbres.
Invention d’une forme théâtrale : la non-localisation des images de cinéma - devant derrière, en superposition à la scène ou non - font que le cinéma, plus le théâtre, sont partout, à n’importe quel endroit. Le cinéma et le théâtre sont donc la représentation du monde et la recherche de la représentation du monde ; être dans le monde c’est chercher en permanence sa représentation, vivre est un exercice permanent d’une intelligence au service de la sensibilité : le poème, je fais un métier de pointe, disait René Char.
Deux beaux colosses d’hommes dansent sur l’avant-scène – mieux que mille manifestes queer, figure de la bisexualité psychique au fondement de la théorie freudienne.
Les couples de danseurs sont venus d’Argentine pour le spectacle ; les femmes embrassent les hommes avec leurs jambes. Proposition d’un féminisme ancré dans la vie vivante, l’amour qui s’étaye sur la passion : le désir phallique des femmes et des hommes qui n’ont pas peur, qui accueillent et répondent à cette fougue véhémente.
Le livret, discret et ouvert, permet toutes les audaces scéniques. Le tango, la samba, la rumba, le calypso et la flûte de Pan sont les berceuses avec lesquelles les latino-américains ont été nourris au sein – affects primordiaux, nounours mélodieux avec lequel nous avons joué pour construire nos sensibilités, nos tempéraments, notre humour, et un certain mode de rapport à la tristesse et aux bonheurs de l’existence. La puissance de la forme théâtrale inventée par Marcial Di Fonzo Bo avec la complicité de Nicolas Mesdom* nous emporte, emporte : la musique ici sert à la présence des corps. Et cette présence de la vie et du désir incarnés jaillit de la chaleur des cendres où les militaires assassins ont voulu faire disparaître des êtres, plus de trente mille, leurs rêves et leurs luttes. Une Argentine chaleureuse, debout, qui danse sans nostalgie avec sa mémoire, fière de ses cicatrices, des rêveries pleines de muscles forgées dans le combat contre les monstruosités et loin des illusions. L’art comme réponse à la douleur.
À voir et à revoir sans modération pour le bien de l’âme.
Tangos y tangos
Mise en scène Marcial Di Fonzo Bo
Cinéma Nicolas Mesdom
Chorégraphie Mathias Tripodi
Livret Santiago Amigorena
Musique Philippe Cohen Soral
Danseurs
Marie-Sara Richter
Sabrina Amuchástegui
Fernando Andrés Rodriguez
Estefania Belén Gomez
Eber Burger
Sabrina Nogueira
Théâtre du Rond-Point
2, Avenue Franklin Roosevelt Paris 8°
Tel : 01 44 95 98 21
* Nicolas Mesdom est l’auteur de Journal d’un Médecin de ville
https://blogs.mediapart.fr/heitor-odwyer-de-macedo/blog/190621/film-de-nicolas-mesdom-un-humanisme-de-combat