Hier soir c’était la première de Déplace le ciel, de Leslie Kaplan, mise en scène et jeu de Frédérique Loliée et Elise Vigier, au Théâtre Gérard Philipe à Saint Denis.
Kaplan, Lollée et Vigier. Il y a chez ces trois femmes le mélange de la magie de fées avec l’inquiétant des sorcières. La première dit : tout peut être pensé. Les deux autres répondent : tout peut devenir théâtre. Enchantement.
Yves Bernard fait les décors. La même légèreté compacte : trois panneaux et je m’en vais. La simplicité est une conquête de l’expérience. Maryse Gautier fait respirer la lumière. Romain Tanguy et Quentin Vigier inventent des vidéos de rêve. Teddy Degouys et Manu Léonard vous apprennent l'importance du son dans sur une scène. Camille Faure celle de la régie générale.
Tout peut devenir théâtre : les voyages, l’amour, le sexe des mots, la différence des langues, la télé au quotidien, le quotidien vide, le plein de la vie, un serpent, Darwin, les cowboys, le western, les films qu’on aime.
On regarde la scène et on se dit : c’est du vaudeville, non, c’est de la comédie, puis du burlesque, et de la tragédie. C’est du Kaplan, bien sûr. Et ça évoque Chaplin, puis Tchekhov, Beckett. Il y a du Shakespeare, Artaud. Et, évidemment, on pense à Brecht : une scène est une scène, et, ne jamais l’oublier, le spectateur ne sait pas ce que vient après, il faut toujours la présence de l’acteur à l’instant, et un instant vient après l’autre, le théâtre est la surprise permanente, l’invention interminable.
Je me dis : elles font de l’éphémère une méthode. Je pense à un enfant qui joue avec des cubes, il les empile, il les met par terre, recommence. Concentration extrême de l’enfant, joie absolue, jubilation, le monde à portée de la main, la création d’un monde, interminable.
Je retrouve : la force du théâtre brésilien des années 60, Boal avec le Teatro de Arena, Martinez et O Oficina. Et, tout d’un coup, l’évidence : c’est du théâtre populaire comme l’ont rêvé et réalisé Vilar et Planchon et nous au Brésil, jusqu’à la dictature. Un théâtre qui peut voyager partout dans le monde. Emotion de cette retrouvaille : je vois ce spectacle en Amérique Latine, à New York, Berlin, Moscou, Tokyo.
Et, évidemment, je repense à l’essentiel pour faire du théâtre, bonheur bonheur et bonheur : une troupe, une équipe. Les Lucioles, c’est Frédérique Loliée et Elise Vigier, plus Marcial Di Fonzo Bo, Pierre Maillet, Philippe Marteau, Valérie Schwartz – sortis de la première promotion de l’école du Théâtre National de Bretagne. Des grands acteurs et des metteurs en scène d’un talent époustouflant, avec une collection de réalisations déjà impressionnante : La tour de la défense par Fonzo Bo (plus deux autres Coppi), Les Ordures, la ville et la mort de Fassbinder par Maillet. L’entêtement (à Avignon) La Paranoïa par Fonzo Bo et Vigier. Depuis maintenant, L’inondation, Toute ma vie j’ai été une femme, Louise elle est folle, par Loliée et Vigier. Et la liste se prolonge encore.
Qu’on se le dise : le Théâtre des Lucioles est la chose la plus importante que se passe aujourd’hui dans la scène théâtrale française. Allez donc à Saint Denis, vite tant qu’il y aura des places. Gérard Philipe vous attend.
Déplace le ciel
Théâtre Gérard Philipe, du 28 novembre au 15 décembre
59, boulevard Jules Guesde
93207 Saint-Denis
01 48 13 70 00