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Billet de blog 14 août 2013

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« Nous sommes le mardi 6 août 2013, ils sont le 28 ramadan 1434 de l’Hégire »

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Nous parlons d’État civil, Ils parlent d’État de califat

Nous parlons d’État de droit, ils parlent d’État de charia

Nous parlons d’alternance de pouvoir, ils parlent de pouvoir divin Nous parlons de démocratie, ils parlent de conseil de choura

(…)

Nous croyons à l’égalité entre citoyens, ils divisent entre croyants et infidèles, entre compagnons du prophète et Koraïchites

Nous croyons à l’égalité entre hommes et femmes, ils jugent que la femme manque de raison et de foi

Nous identifions les femmes par leurs visages, ils identifient les femmes par leurs pierres tombales

Nous croyons au progrès humain, ils tuent le tiers pour corriger les deux autres tiers  

(…)

 Nous sommes le mardi 6 août 2013, ils sont le 28 ramadan 1434 de l’Hégire

Nous fabriquons les crayons et les violons, ils fabriquent les sabres et les obus 

Nous vivons sur la rive de la Méditerranée au nord de l’Afrique, ils vivent dans le Quart désertique, dans les Saharas de la péninsule arabique  

(…)

Notre Histoire de la Tunisie a cinq mille ans et par-delà, leur Histoire commence depuis treize siècles, depuis Oqba Ibn Nafaâ et l’invasion de Kairouan.»

Signé Ouled Ahmed, le Commandement poétique de la révolution tunisienne.

Des protestataires campent devant l’Assemblée nationale constituante (ANC), à la Place du Bardo, depuis le 26 juillet, le lendemain de l’assassinat du député Mohamed Brahmi. Le 6 août, plusieurs milliers de citoyens ont rejoint le sit-in du départ, pour rappeler la mémoire de Chokri belaïd, un autre militant de gauche assassiné par les salafistes.

Sghaïer Ouled Ahmed a déclamé son poème devant ces manifestants venus des quatre coins de la Tunisie, demander la démission du gouvernement et (pour la plupart) la dissolution de l’ANC. Des Tunisiens de toutes les classes sociales, des tous les âges, des femmes, des hommes, des opposants de l’extrême gauche au centre-droit, des syndicalistes… se sont rassemblés dans la liesse,  par une chaude nuit ramadanesque, pour ouvrir encore les chemins de la révolution vers la démocratie, un État laïque et la liberté.

Le poème d’Ouled Ahmed a déclenché l’ire des islamistes qui ont déversé leur bile sépulcrale et leurs flots d’invectives damnant le poète « hérétique » jusqu’à le menacer de mort. Dans Le livre des exemples, l’historien tunisien Ibn Khaldûn (1332-1406) notait : « L’art de la musique est le dernier à apparaître dans la civilisation. (…) C’est aussi le premier à disparaître lorsque la civilisation commence à se disloquer et à régresser. »

Les Tunisiens prouvent tous les jours qu’ils ne renonceront jamais à la volupté de leurs sens.

Les takbîrs, les litanies religieuses n’ont pas accompagné la révolution ; les mots insoumis des poètes ont incarné la colère de la rue. « Le peuple veut la chute du régime », ce slogan scandé à l’unisson et à tue-tête et exporté par les autres pays révoltés, a puisé dans « La volonté de vivre », le poème du grand Abou el Kacem Chabbi (1909-1934). Une étroite fraternité lie le révolutionnaire au poète, disant leurs incantations dans un élan de rêve afin que l’inattendu survienne : « L’avenir arrive tout de suite », Maïakovski. Entonnée à répétition, la phrase du visionnaire exalte l’imaginaire de la foule en danger de mort, en route vers la prise de son destin.

Les intellectuels, les créateurs, les journalistes sont les premiers que les États totalitaires et les salafistes veulent tuer.

 « Nous aimons le pays

Comme Nul autre aime le pays

Le matin

Le soir

Avant le matin

Après le soir

Et le dimanche

Même s’ils nous tuent

Comme ils nous tuent »

Signé Ouled Ahmed, le Commandement poétique de la révolution tunisienne.

  • Les extraits de poèmes d’Ouled Ahmed sont traduits par Hejer Charf.
  • Lien vidéo avec sous-titres français : Chokri Belaïd parle de l’Histoire et de la liberté de la pensée dans le monde musulman.

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