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Billet de blog 15 août 2025

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Maram Ali peint la vie dans la mort, l’immortelle Palestine

Maram Ali ne reproduit pas les images du génocide : elle en extrait une empreinte vivante, la graine qui va semer. Ses toiles, en suspens entre la mort et l’éternité, portent les prénoms des disparu·es et prolongent leurs gestes, leurs récits interrompus. Chaque tableau est un tombeau et une naissance; il sauvegarde la vie des morts pour que la Palestine vive toujours.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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Journalistes de Gaza © Maram Ali

Maram Ali est une peintre réfugiée palestinienne, née et vivant en Jordanie. Elle peignait les beaux paysages qui l’entouraient, capturant la douceur de sa région. Puis survint le génocide à Gaza en 2023, et ses toiles se remplirent de corps ensevelis, de visages figés dans le cri. Ses pinceaux ont abandonné le calme des champs pour une palette en vacarme : rouge sang, noir cendre, bleu nuit, brun terreux, rose sanglant, teinte glacée de blanc.

L’artiste a décidé de documenter, par la peinture, la Palestine, la terre qu’elle n’a jamais foulée, mais qui vit en elle comme une présence ancienne et immédiate. Ses tableaux poignants mènent le combat, utilisant les couleurs et les formes comme des clameurs, pour que le sol volé se souvienne de celles et ceux qui l’ont aimé jusqu’à leur dernier souffle. 

Les images impressionnistes et postimpressionnistes — Maram Ali se réclame de ces mouvements — forment un espace animé, saturé de couleurs vives et claires, toutes violentes et brutes, appliquées en touches épaisses à l’huile. La texture dense et les coups de pinceau heurtés créent un mouvement pulsé. Ses toiles refusent toute fixité : elles explosent en matière et en rythme, suscitant douleur et émotion immédiate, tout en ancrant ces figures et cette terre dans une mémoire longue. Chaque trait sur la toile crie la vie dans la mort.

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La peinture de Maram Ali rappelle l’intensité chromatique et gestuelle d’Inji Efflatoun (1924–1989), tissant des liens esthétiques et politiques avec la merveilleuse peintre égyptienne qui a dépeint les fedayins, les prisonnières, les paysan·nes, les laissé·es-pour-compte. À la manière d’Inji Efflatoun, les êtres peints témoignent : inscrits dans l’archive émotionnelle et politique d’un peuple, dans un contexte historique tragique. « Si nous ne documentons pas ces visages, qui le fera ? », interroge l’artiste palestinienne, également musicienne.

Maram Ali peint les vies exterminées par Israël : enfants, parents, civil·es, médecins, journalistes, souvent à partir de leurs photographies diffusées sur les réseaux sociaux, où elle est active. Chaque portrait devient une part d’archive, qui affaiblit un peu plus le tueur et creuse sa tombe à coups de mémoire picturale refusant de capituler. Chaque visage préservé est un fragment de lumière, où se tissent l’intime et l’Histoire ; une mémoire arrachée au déni, à l’effacement. Maram Ali ne reproduit pas les images du génocide : elle en extrait une empreinte vivante, la graine qui va semer. Ses toiles, en suspens entre la mort et l’éternité, portent les prénoms des disparu·es et prolongent leurs gestes, leurs récits interrompus. Chaque tableau est un tombeau et une naissance; il sauvegarde la vie des morts pour que la Palestine vive toujours. 

Journalistes de Gaza est une toile saturée, lourde de matière : des coups de pinceau épais, aux tons sombres parsemés de blanc, étalés à la spatule, dessinent une foule indistincte et oppressée. Au centre, le corps immaculé du journaliste assassiné s’élève comme une flamme dans la cendre, illuminant la vérité de l’Histoire. Chaque jour, chaque crime déterre cette vérité, portée par des peuples dans le monde entier, solidaires d’une Palestine infiniment vibrante.

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Tala Abu Ajwa, 10 ans, tuée pendant qu’elle patinait, elle portait des patins à roulettes roses © Maram Ali
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Le poète palestinien Refaat Alareer assassiné par Israël le 6 décembre 2023 © Maram Ali

Si je dois mourir
Tu dois vivre
pour raconter mon histoire
pour vendre mes affaires
pour acheter un morceau de tissu
et quelques ficelles
(fais-le blanc avec une longue traine)
Pour qu’un enfant quelque part à Gaza
regardant le paradis dans les yeux
en attendant son papa parti en fumée –
sans dire adieu à personne
pas même à sa chair
pas même à lui-même
vois le cerf-volant
mon cerf-volant que tu as fait
s’envolant tout là-haut
et pense un instant
qu’un ange est là
ramenant l’amour
Si je dois mourir
que ce soit porteur d’espoir
que ce soit un conte

Écrit en novembre 2023 par le poète palestinien Refaat Alareer assassiné par Israël le 6 décembre 2023.

Instagram de Maram Ali : mramalie

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Ramadan à Gaza © Maram Ali

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