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Billet de blog 26 juin 2011

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John Mikhaïl Asfour, l'homme révolté

D’emblée, le poète envoie valser les récits qui nous consolent.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

D’emblée, le poète envoie valser les récits qui nous consolent.

 « Il n’y a pas de joie

à perdre

un de vos sens.

Que les autres sens

compensent la perte

c’est un mensonge. »

Exit la psychologie pour dire la blessure d’une vie d’aveugle. Écrit en anglais, Blindfold (Les yeux bandés) est le cinquième recueil du montréalais d’origine libanaise, John Asfour qui a perdu la vue à l’âge de treize ans. Une grenade lui explosa au visage pendant la crise du Liban, en 1958.

Sa mère l’a pourtant :

« averti de ne pas jouer avec des objets inconnus

(…)

Il s’étend dans le noir se souvenant

du jour d’avant où elle désignait les fils d’argent de la lumière du matin

et il frissonne de culpabilité. »

 Blindfold dompte le noir et saisit les sombres lumières de notre existence. Quand la trajectoire de solitude de l’aveugle se mêle à la tourmente de l’écrivain, il en résulte des vers désillusionnés portés par un regard lucide, tranchant comme une lame. Le poète se raconte tour à tour à la première et la troisième personne. Il est à la fois, au cœur de l’étrangeté et à l’intérieur de l’histoire.

John Asfour relate pêle-mêle sa jeunesse au Liban, sa famille, sa vie au Canada, la guerre, le réapprentissage de l’espace, la femme qui le quitte, l’amour et le désamour.

Le passé et le présent s’entremêlent; les images rescapées de l’enfance côtoient le noir de la vie d’adulte. Le désordre du temps marque la brutalité de la perte, le double exil, la dépossession, l’autre qui juge et qui s’éloigne.

Des poèmes puisés dans la colère, l’injustice du sort et l’inexorable obscurité. Une écriture à l’émotion brute, sans effusion de sentiments.

John Asfour dit sa douleur sans cesser d’être amoureux, indocile, rêveur, passionné, espiègle, curieux. Ses yeux blessés sondent nos vies fragiles aux prises avec la précarité du destin.

« Je suis le chouchou des voyageurs du métro,

ma canne se fraie un chemin vers la porte,

trouve une ouverture

et plusieurs sursautent pour m’offrir un siège.

« Mesdames, Messieurs,merci.

Je dirais que vous êtes l’humanité à son meilleur,

l’humanité au sommet du raffinement. »

(…)

Je veux les rassurer,

leur chuchoter à l’oreille

que cette réalité est moins douloureuse

qu’une piqûre d’épingle

par un jour nuageux,

(…)

que le bandeau entre nous

est seulement une mince couche de mousse

et nul ne peut prévoir ce qui nous attend

à la prochaine station. »

 John Asfour est un héros bouleversant. Sa poésie porte le visage émouvant de l’homme révolté. 

« Autrefois j’avais de grands yeux sombres,

des yeux méditerranéens,

inquisiteurs et tenaces.

Des yeux toujours attentifs et vigilants, capables de voir au loin. » 

-Les poèmes cités sont traduits par moi. 

-Blindfold (en anglais) par John Mikhail Asfour, éditions McGill-Queen’s University Press, Canada 2011

-Vient de paraître aussi The Metamorphoses Of Ishtar, par Nadine Ltaif, traduction de John Mikhail Asfour, éditions Guernica, Canada 2011

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