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Billet de blog 27 août 2024

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Kamala Harris, rien de nouveau sous le soleil

La convention démocrate, quatre jours de spectacle politique, de discours grandiloquents et de grandes promesses. Kamala Harris est la continuité politique de Clinton, Obama, Biden. Harry Belafonte a dit : « Obama avait été une source d’espoir, une source d’opportunités et de possibilités, et je pense que nous avons doté ce moment de bien plus ce que le moment était prêt à offrir ».

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La convention démocrate du 19 au 22 août 2024  à Chicago. Quatre jours de spectacle politique, de discours grandiloquents et de grandes promesses; des paroles maintes fois entendues.  Des célébrités, des personnalités politiques et de la société civile se sont succédé sur scène. Hilary et Bill Clinton, Michelle et Barack Obama, Oprah Winfrey, Alexandria Ocasio-Cortez, Eva Longoria et autres, ont déclamé des discours enflammés sous un tonnerre d’applaudissements et devant une foule en émoi, en larmes même.

Comme leur candidate, Kamala, beaucoup de ces stars démocrates sont inspirées par leurs mères, ont eu une enfance modeste ou difficile, ont travaillé chez McDonald ou fait un autre petit boulot, ont courageusement gravi l’échelle sociale, sont très proches du peuple, des travailleur·ses. Iels combattent furieusement l’injustice, les inégalités, dénoncent les élites, les grands capitaux, les entreprises géantes qui étouffent les familles américaines moyennes. Quel toupet quand même, ces gens seraient presque fascinants. Iels prétendent dénoncer leur nouvelle classe, mordre la main qui les nourrit et les porte au pouvoir. Les ultra-riches donateurs, les parrains de la convention sont good sport et jouent le jeu, installés dans des suites de luxe surplombant l'arène et coûtant jusqu’à cinq millions de dollars, ils regardent ces matamores débiter leurs discours révolutionnaires. 

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Kamala Harris lors de son discours à la convention démocrate, le 22 août 2024, à Chicago © Jacquelyn Martin/Associated Press

Inverser le récit (flip the script) semble être la stratégie de l’équipe Harris qui a placé la campagne électorale sous le signe de la liberté et de la joie en réponse au misogyne Donald Trump qui s’est moqué du rire de son adversaire : « Laughing Kamala. Vous l’avez entendue rire ? Elle est folle, cinglée ! ».

Après le retrait (forcé) de Joe Biden de la course, le 21 juillet 2024, Kamala Harris, la candidate providentielle a énergisé le parti, chamboulé la campagne de Trump, redonné espoir à beaucoup d’électeur·trices démocrates et rassuré les financiers -elle a déjà récolté 540 millions de dollars-. Les spécialistes de communication politique ont écarté les mauvaises performances de Kamala Harris en tant que vice-présidente éteinte et dans l’ombre. Le bilan mis sous le tapis, elle incarne désormais le changement, la nouveauté, « une nouvelle voie », l’avenir optimiste d’un pays en danger.

Son concurrent, Donald Trump, raciste, homophobe, fraudeur, menteur invétéré, facho, repris de justice, suprémaciste et sexiste opposé au droit à l’avortement, fait d’elle une sauveuse, un miracle, un deus ex machina. Les Partis démocrates et républicains sont pourtant les deux visages du capitalisme américain, le premier a une forme plus douce, plus accueillante, plus progressiste; les deux composent le système néolibéral bipartite contrôlé par l’oligarchie financière, les entreprises et les influents groupes de pression. L’entourage de Kamala Harris aime nous rappeler que cette enfant d’immigré·es, père jamaïcain et mère indienne, est la première femme noire et d'origine sud-asiatique à être nommée présidente d’un grand parti américain.

Ceci aurait pu être un événement historique bouleversant mais Kamala Harris est un rouage fidèle du système; elle participe activement à sa continuité, à sa survie même. Elle a gouverné et gouvernera dans la lignée de Clinton, Obama, Biden. Dans leurs discours, ces ténors du Parti démocrate ont rappelé la filiation politique de Kamala Harris qui est la continuation de leur héritage. Joe Biden a décrit la vice-présidente comme le prolongement de ses succès et « la meilleure décision qu’il ait prise de toute sa carrière. », Hillary Clinton la considère comme sa successeure dans la lutte pour les droits des femmes : « J'aimerais que ma mère et la mère de Kamala puissent nous voir. Elles nous diraient, continuez. », Michelle Obama : « Ô Amérique, l'espoir est de retour. », Barack Obama : “Yes she can!”.

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Pendant son discours d’investiture -écrit par Adam Frankel, l’ancien rédacteur des discours d’Obama-, Kamala Harris a accepté sa nomination comme candidate à la présidence des États-Unis d’Amérique au nom du peuple, au nom de sa mère, au nom de tous·tes les Américain·es. La construction d’une classe moyenne sera l'un des objectifs fondamentaux de sa présidence : « Nous nous tournons vers un avenir caractérisé par une classe moyenne forte et croissante, car nous savons qu'une classe moyenne forte a toujours été essentielle à la réussite de l'Amérique. »

La candidate de la joie rivalise avec Trump et veut faire plus fort que les républicains en matière de guerre, « Comme commandante en chef, je veillerai à ce que l'Amérique dispose toujours de la force de combat la plus puissante et la plus meurtrière au monde. » Une administration Harris chercherait à étendre la place et la puissance militaire américaine dans le monde qu’elle diviserait entre pays démocratiques et tyranniques. Comme sous Biden, les pays ciblés sont la Chine, la Russie, la Corée du Nord et l’Iran.

 « Je ne faiblirai jamais dans la défense de la sécurité et des idéaux de l'Amérique, car dans la lutte permanente entre la démocratie et la tyrannie, je sais à quoi m'en tenir et je sais où se trouve la place des États-Unis. (…) En tant que présidente, je soutiendrai fermement l'Ukraine et nos alliés de l'OTAN. (…) Je n’hésiterai jamais à prendre toutes les mesures nécessaires pour défendre nos forces et nos intérêts contre l’Iran et les terroristes soutenus par l’Iran. (…) Je veillerai que l'Amérique, et non la Chine, remporte la compétition du 21e siècle et que nous renforcions -et nous ne renoncerons pas- notre leadership mondial. »

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À l’extérieur de la convention démocrate, des milliers de manifestant·es appelaient au cessez-le-feu et à l’arrêt du génocide à Gaza devenu un enjeu politique pendant cette campagne électorale. Kamala Harris, consciente du poids désormais important de ces électeur·trices, a redit, et toujours avec fermeté, ses phrases habituelles qui sonnent de plus en plus creuses. Elle répète que Biden et elle-même travaillent jour et nuit pour la libération des otages et pour un cessez-le-feu à Gaza pour mettre fin aux souffrances des Palestinien·nes, et dans le même souffle, iels continuent à armer Israël. Le 13 août 2024, Les États-Unis ont approuvé plus de 20 milliards de dollars d'armement à leur allié israélien. Son discours était clair; sa présidence ne rompra pas le soutien inconditionnel à Israël : « Et laissez-moi être claire. Laissez-moi être claire. Je défendrai toujours le droit d'Israël à se défendre et je m’assurerai toujours qu'Israël a la capacité de se défendre. » Des propos assénés, depuis toujours, comme une invariable politique : Israël est de tout temps regardé et traité comme un pays en état de défense. Quoi qu’il fasse, il demeure l’offensé, l'agressé.

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Le Parti démocrate se targue d’être le lieu de la diversité raciale, religieuse, sexuelle; pendant les quatre jours de la convention, Kamala Harris et ses collègues ont donné la parole aux Américain·es de toutes les origines, même à des ex-MAGA, des républicain·es dissident·es. Mais iels ont refusé de donner la parole aux Américain·es d’origine palestinienne. Des parents d’un otage israélo-américain avaient également droit à une tribune. Le très puissant et très à droite lobby, AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), est derrière ces machinations et discriminations monstrueuses. Comble du cynisme politique, AIPAC soutient l’élection du républicain Trump mais l’organisation a la main mise sur toute la politique américaine et finance à coups de millions de dollars, les candidatures pro-israéliennes.

Le témoignage des parents de Hersh, l’otage israélo-américain était émouvant d’humanité commune; iels ont appelé à la libération des otages et la fin de la guerre et du désespoir à Gaza. Iels sont ravagé·es par la douleur de l’enlèvement de leur fils et iels restent clairvoyant·es. « Il y a un surplus d’agonie de part et d’autre du conflit tragique du Moyen-Orient. Dans une compétition de la douleur, il n’y a pas de gagnant. Dans notre tradition juive, nous disons chaque personne est un univers entier. Nous devons sauver tous ces univers. », a dit le père.

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FEMMES MUSULMANES POUR HARRIS : La famille de l'otage israélien a montré plus d'empathie envers les Américains d'origine palestinienne et les Palestiniens, que notre candidate et la convention démocrate

Il n’y a pas une douleur plus admissible qu’une autre. Pourquoi les Palestino-Américain·es ne sont-iels pas autorisé·es à dire leur douleur ? Pourquoi ne pouvaient-iels pas partager la tribune avec les parents de Hersh ? S’iels s’étaient rencontré·es, ne serait-ce que pendant quelques minutes, iels se seraient reconnu·es l’un l’autre dans leurs souffrances.

« Comprendre une personne c’est déjà lui parler. Poser l’existence d’autrui en la laissant être, c’est déjà avoir accepté cette existence, avoir tenu compte d’elle », disait Levinas.

Pourquoi la convention ne tient pas compte de l’existence des Palestinien·nes ? Chicago où a eu lieu la convention, est la ville où vivent le plus grand nombre d’Américain·es d’origine palestinienne mais les décideur·euses du parti démocrate ne les voient pas. L’invisibilisation des Palestinien·nes fait partie d'un ancien projet toujours en cours : l'effacement et la déshumanisation du peuple palestinien.

40.000 mort·es est une statistique abstraite d’une masse sans visage, menaçante, qui a toujours vécu derrière un mur, dans un ghetto. Avant de les tuer physiquement, iels les avaient déjà symboliquement tué·es comme individus. Leur indifférence à la mort des Palestinien·nes est le résultat d’un long processus du démantèlement de leur sensibilité.

Vous, qui vous tenez sur les seuils, / Sortez de nos matins / Et nous serons rassurés d'être comme vous, / Des humains !, écrivait Mahmoud Darwich.

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Laissez Parler Les Palestinien·nes

La mise en scène et le narratif de la convention étaient soigneusement contrôlés pour donner une apparence d'unité au parti démocrate et dissimuler les dissensions surtout celles autour de Gaza. Kamala Harris, femme de pouvoir, sait l’impact de plus en plus grand des mouvements sociaux et la sympathie croissante de la jeunesse américaine envers la question palestinienne. Ses déclarations en faveur de la Palestine et son autodétermination relèvent plutôt de la rhétorique électorale; elle n’a posé aucun acte concret.

« Le président Biden et moi-même travaillons pour mettre fin à cette guerre, afin qu’Israël soit en sécurité, que les otages soient libéré·es, que les souffrances à Gaza cessent et que le peuple palestinien puisse réaliser son droit à la dignité, à la sécurité, à la liberté et à l’autodétermination. »

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Kamala, les mots seuls ne sauveront pas les Palestinien·nes, Convention démocrate,19-22 août 2024, Chicago © Pasciak LaRiviere/ Chicago Sun-Times

Les sondages montrent le commencement de changement de l’opinion publique américaine vis-à-vis d’Israël. Les jeunes démocrates -dont des Juif·ves américain·es- désapprouvent la violence croissante envers les Palestinien·nes. La prédominance du narratif israélien dans la formation de l’opinion américaine décline lentement. Selon des statistiques faites en 2024, les Américain·es sympathisent de plus en plus avec la cause palestinienne : 27 % à l’échelle nationale; 43 % chez les adultes démocrates et 45 % chez les jeunes. 56 % des démocrates pensent qu’Israël commet un génocide.

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64 % des électeur·trices potentiel·les sont favorables à un cessez-le-feu et au retrait des troupes israéliennes de Gaza ; parmi les démocrates, ce chiffre est de 86 %. 55 % des Américain·es s’opposent à l’envoi de troupes américaines pour défendre Israël. 53 % des Américain·es sont favorables à la création d’un État palestinien indépendant.

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Les politicien·nes américain·es commencent à tenir compte de ces changements d’opinion. La moitié des membres démocrates ont boycotté le discours du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, devant le Congrès américain, en juillet 2024.

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Le rééquilibrage de l’opinion publique crée des fissures dans le consensus pro-israélien dans la politique américaine. Si le mouvement se maintient jusqu'en novembre et si l'élection est serrée, pour la première fois, les électeur·trices américain·es pro-palestinien·nes pourraient influencer les élections présidentielles et législatives.

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Cette transformation assez soudaine du paysage électoral inquiète le lobby pro-israélien, AIPAC qui craint que l'élection de candidat·es pro-palestinien·nes donne lieu à un conditionnement de l'aide militaire à Israël et à une pression politique pour établir un État palestinien. L’organisation dépense des sommes d’argent colossales pour maintenir le Congrès favorable à Israël et minimiser l'impact des membres progressistes.

AIPAC a dépensé 14,5 millions de dollars pour la défaite de Jamaal Bowman (juin 2024), et 9 millions de dollars pour la défaite de Cori Bush (août 2024); ces deux membres démocrates du Congrès étaient parmi les premier·es à avoir appelé à un cessez-le-feu à Gaza.

« Les milliardaires des deux partis ne devraient pas pouvoir acheter des élections, y compris des élections primaires. Ce que AIPAC et les autres super PACs ont fait est tout simplement scandaleux », a dit Bernie Sanders

AIPAC finance la défaite de la progressiste démocrate Cori Bush

Harris veut apporter de la joie aux Américains et aux Palestiniens des miettes

63% des Américain·es pensent que « les partis républicain et démocrate représentent si mal le peuple américain qu’un troisième grand parti est nécessaire. »

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Si elle était élue présidente, que ferait Kamala Harris ?

Rien de nouveau sous le soleil. Nothing new under the sun.

Le magnifique Harry Belafonte (1927-2023), chanteur afro-américain et figure légendaire des droits civiques, a dit : « Obama avait été une source d’espoir, une source d’opportunités et de possibilités, et je pense que nous avons doté ce moment de bien plus ce que le moment était prêt à offrir ».

 “Obama had been a cause for hope, a cause for opportunity and possibilities, and we, I think, endowed that moment with more than the moment was willing to yield.”

Harry Belafonte parle de la trahison morale d'Obama qui a perdu son éthique politique © jeannewolfshollywood

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