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Adjointe à la Maire de Paris en charge de l'égalité femmes-hommes, de la jeunesse et de l'éducation populaire

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Billet de blog 7 février 2025

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Discours - 63e anniversaire des massacres du 8 février 1962 au métro Charonne

Discours prononcé le 7 février 2025 par Hélène BIDARD, élue communiste, adjointe à la Maire de Paris, à l'occasion des commémorations du 63e anniversaire des massacres du 8 février 1962 au métro Charonne, à Paris.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Mesdames et Messieurs les élu·es,

Monsieur le président du Comité Vérité et Justice pour Charonne, cher Jean-Michel DUMONT,

Et vous me permettrez, à travers vous, d’avoir une pensée pour notre cher camarade et président d’honneur Henri CUCKIERMAN,

Madame la secrétaire générale de l’URIF-CGT, chère Valérie LESAGE,

Mesdames et Messieurs,

Cher·es ami·es et cher·es camarades,

Nous voilà réuni·es, comme chaque année, pour commémorer le massacre de Charonne, commis ici à Paris il y a 63 ans, dans le 11e arrondissement à la station de métro du même nom.

Comme chaque année, honorer la mémoire des victimes et retracer les événements sanglants de ce terrible 8 février 1962 nous donne l’occasion d’en mesurer les enjeux et de continuer à en transmettre les enseignements.

L’Histoire, nous la connaissons.

C’est celle d’une population épuisée, exaspérée par une guerre interminable alors qu’elle s’est déjà prononcée par référendum, un an plus tôt et très majoritairement, pour le droit à l’autodétermination du peuple algérien.

C’est celle d’un gouvernement qui s’atermoie et s’agrippe à ses dernières possessions coloniales et aux grands intérêts économiques qu’elles représentent pour le capitalisme et l’impérialisme français d’alors.

C’est celle d’un climat de violence, de peur et de terreur entretenu en métropole et en Algérie, par une frange fasciste d’ultras regroupés au sein de l’OAS qui, par le biais d’innombrables attentats terroristes, refusent la fin de la guerre et des privilèges, la démocratie et le sens de l’Histoire.

Ce sont à l’inverse ces milliers de manifestantes et de manifestants anticolonialistes, épris de justice, de paix, d’égalité et de liberté, mobilisé·es ce 8 février 1962 à l’appel des organisations syndicales CGT, CFTC, UNEF, SGEN, FEN et SNI, soutenues par le PCF, le PSU et le Mouvement de la paix, pour dénoncer les crimes de l’OAS et notamment les tentatives qui avaient visé, la veille, André MALRAUX, ministre de la Culture ou encore Raymond GUYOT, dirigeant du Parti communiste français.

C’est bien sûr cette violence policière inouïe, aussi assumée qu’injustifiée, qui s’abat à 19h15 sur une foule pacifique qui commençait tout juste à se disperser.

Ce sont ces centaines de blessé·es et les vies de nos camarades Jean-Pierre, Fanny, Daniel, Anne-Claude, Edouard, Suzanne, Hippolyte et Raymond qui s’éteignent ce soir-là, rejoints par Maurice qui succombera de ses blessures deux mois plus tard.

Le plus jeune avait 15 ans, militait aux Jeunesses Communistes et avait l’âge des engagements qui forgent les rêves et les convictions. Le plus âgé en avait 58, avait fui l’Italie fasciste des années 1930 et ne savait que trop bien, parce qu’il avait été volontaire en Espagne Républicaine puis résistant au sein des Franc-Tireur et Partisans, que la lutte contre le fascisme est un combat de chaque instant.

L’Histoire retient aussi cette colère, cette émotion immense de la population française qui, cinq jours après cette répression sanglante, se rassemble par centaines de milliers dans le cortège funèbre accompagnant ces neufs martyrs de la place de la République au Père-Lachaise.

Ce Père-Lachaise où, depuis 2011, la Ville de Paris a érigé une stèle en mémoire de toutes les victimes de l’OAS, en Algérie comme en France.

J’en profite pour saluer Catherine VIEU-CHARIER, alors adjointe communiste au Maire de Paris en charge de la mémoire, qui avait œuvré pour que cette mémoire de pierre soit le terreau fertile d’une juste et légitime reconnaissance.

Car l’Histoire, c’est aussi et enfin ce refus incompréhensible de justice et de vérité qui s’en est suivi : ces enquêtes classées sans suite laissant les familles sans réponses, ces années d’interdiction de commémorer ce massacre, et la honte et le cynisme des gouvernements successifs refusant de reconnaitre cette répression pour ce qu’elle est : un crime d’Etat.

***

L’Histoire donc, nous la connaissons.

La mémoire, elle, en tant qu’intelligence collective, est une matière vivante.

Sans doute davantage encore qu’un devoir figé et immuable, la mémoire est un travail d’éducation populaire et de transmission, qui consiste à rendre intelligible et accessible les leçons de l’Histoire pour alerter les consciences et nourrir l’action collective.

En ce sens, commémorer le massacre de Charonne, c’est d’abord se rappeler que la violence policière du 8 février 1962 n’a pas été un événement isolé ou une bavure, comme le qualifieraient sans doute aujourd’hui certain·es éditorialistes, qui ne se sont d’ailleurs pas privés de le faire à l’été 2023 lors de la mort du jeune Nahel à Nanterre.

Il y a dans ces massacres du 8 février 1962 un peu du souvenir des premières répressions de Sétif, Guelma et Kherrata en Algérie, le 8 mai 1945.

Il y a dans la mémoire des victimes de Charonne un peu de celles des victimes du 14 juillet 1953 place de la Nation où – déjà ! – six militant·es du Mouvement pour les Libertés Démocratiques en Algérie et un membre de la CGT qui manifestaient pacifiquement perdaient la vie sous les balles des forces de l’ordre. La Ville de Paris leur a là encore dédiée une plaque, inaugurée en 2017.

Et il y a assurément dans la mémoire de cette répression sanglante qui nous réunit aujourd’hui, beaucoup de celle, non moins sanglante, du 17 octobre 1961 qui nous rassemble à Saint-Michel chaque année pour rappeler l’horreur de ces manifestantes et manifestants pacifiques Algérien·nes arrêté·es et brutalisé·es par milliers par les forces de police, blessé·es par centaines jusqu’à être tué·es par balle et noyé·es dans la Seine, pour avoir eu l’indécence de réclamer respect et dignité.

Il faut dire que ces deux répressions partagent les mêmes bourreaux : le ministre de l’Intérieur d’alors, Roger FREY, et le préfet de Police de Paris, Maurice PAPON – qui s’était illustré, 20 ans plus tôt, en contribuant à la déportation de 1600 juifs dans les camps de concentration nazi depuis la région de Bordeaux.

Il y avait donc dans les massacres de Charonne des prémices et nous serions collectivement avisés de nous en souvenir, à l’heure des surenchères nationalistes qui gagnent aussi bien nos voisins européens et outre-Atlantique que l’actuel locataire – sans légitimité démocratique par ailleurs – de la place Beauvau.

***

Alors à celles et ceux qui voudraient nous faire croire que les héritières et les héritiers de Papon sont les saints d’aujourd’hui,

Opposons-leur la fidélité à nos engagements, à nos valeurs de solidarité et de fraternité entre les peuples, et à nos camarades qui les ont portés et en sont morts.

À celles et ceux qui théorisent, de plateau en plateau, la prétendue supériorité d’une civilisation sur une autre et la fatalité d’un choc,

Répondons-leur par un travail d’éducation populaire exigeant, qui fait de la transmission de la mémoire aux jeunes générations un outil précieux dans les luttes contre le racisme, l’antisémitisme, les haines et les discriminations.

À celles et ceux, enfin, qui seraient tenté·es de céder aux sirènes du « On n’a jamais essayé », nourries par l’oubli, l’ignorance ou l’indifférence ;

Rétorquons-leur que si, on a déjà essayé !

Démontrons-leur, par l’Histoire, que lorsque l’extrême droite et sa funeste idéologie perce les portes des ministères, des préfectures et des institutions publiques, elle n’apporte que haine, violences et injustices.

Rappelons-leur qu’il y a 63 ans par exemple, dans la déflagration d’une guerre qui paraissait sans fin, il s’est trouvé une génération politique, syndicale et citoyenne pour s’y opposer et jeter les bases d’une émancipation humaine renouvelée.

Assurons-leur enfin que si les neufs de Charonne ne sont plus là pour en témoigner, nous continuerons de l’être nous, invariablement et inlassablement chaque année.

Je vous remercie.

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