
Agrandissement : Illustration 1

Bienvenue à toutes et tous pour cette conférence sur les « Femmes en première ligne », les « essentielles », celles que nous avons applaudies et dont le rôle vital pour notre société a été mis en lumière par la crise sanitaire.
Celles qui sont toujours là, après 2 ans de pandémie, aux côtés des patient.es atteint.es du COVID, des personnes âgées à domicile ou en Ehpad, à la caisse des commerces, dans les services publics, services sociaux, établissements de protection de l’enfance, à l’école, à la crèche…et qui – disons-le tout de go – n’ont pas encore vu leur condition s’améliorer malgré les discours la bouche en cœur sur leur héroïsme !
Aujourd’hui, à la veille du 8 mars 2022, nous faisons appel à des expertes – chercheuses et militantes – ainsi qu’aux premières concernées – salariées du service public ou du privé - pour nous faire un état des lieux des difficultés mais aussi des luttes des travailleuses essentielles.
Cette conférence, organisée par la Ville de Paris – et particulièrement le Service égalité intégration inclusion que je remercie – se tient dans la magnifique Cité audacieuse, ce lieu unique de soutien et de valorisation des luttes féministes à Paris, géré par la Fondation des femmes et soutenu par la Ville.
Merci à la Cité pour son accueil.
Bonsoir également à toutes celles et ceux qui nous suivent en direct sur Facebook.
Avec nous ce soir : Sandra LHOTE-FERNANDES, responsable du plaidoyer santé/égalité femmes hommes de l’ONG OXFAM France, Ferroudja KACI OULADJ, Hôtesse de caisse à Paris, Camille LE NET, orthophoniste dans la fonction publique hospitalière, Rachel SILVERA, Economiste, coordinatrice du réseau de chercheuses et chercheurs « le MAGE », Julie HEBTING, fondatrice de l’association MAYDEE et Séverine LEMIERE, économiste et également membre du MAGE. Je tiens à vous remercier toutes pour votre présence, et par avance, pour l’excellent contenu que vous partagerez avec nous !
-
Le 8 mars est donc cette année à Paris dédié aux femmes « en première ligne », aux « essentielles », aux « premières de corvée », à toutes celles qui ont permis la survie de la société Française pendant le COVID, et qui le font, il faut bien le dire, depuis des années, des centaines d’années, sans que cela ne soit reconnu.
Car les femmes ont toujours travaillé, en particulier les femmes des classes populaires ; elles ont toujours lutté également - cela est même à l’origine du 8 mars ! - considérant le travail indispensable pour leur autonomie et leur accès à la vie citoyenne, pour leur liberté.
Demain, nous nous mobiliserons avec elles dans le cadre de la grève féministe organisée par le collectif « On arrête toutes » avec les organisations syndicales, les associations et collectifs féministes et je vous donne rendez-vous à 13h à Gare du Nord pour la manifestation !
D’ailleurs le travail des femmes mériterait d’être un peu plus central dans les combats féministes actuels, car non seulement les injustices y sont criantes, mais elles impactent fortement les autres domaines de luttes, comme la lutte contre les violences par exemple, où l’insertion professionnelle et l’accès à l’autonomie des victimes sont cruciales pour en sortir. Comme le rappelait si bien Gisèle Halimi : ‘’Sans indépendance économique, ne nous racontons pas d’histoires, il n’y a pas de libération des femmes, et c’est vrai dans tous les domaines.’’
Nous allons le voir aujourd’hui, les inégalités femmes hommes, combinées aux caractéristiques actuelles du capitalisme et à la structure du marché du travail, sont vecteurs d’une grande précarité, voire de pauvreté, et représentent des injustices insupportables qui entravent les femmes dans leur émancipation.
En première ligne ou non, en France, alors que 14 lois sont censées mettre en oeuvre l’égalité professionnelle, les femmes :
è Sont toujours de 16,5% moins rémunérées que les hommes (INSEE 2019) et cela augmente en fonction du nombre d’enfants (L’écart des revenus salariaux nets est de 18,1% sans enfant, il est de 24,1% avec un enfant, de 32,3% avec 2 enfants et de 47,5% avec 3 enfants (source : ministère des droits des femmes 2020)
è Représentent 75% des travailleurs et travailleuses pauvres, 76% des temps partiels, 70% des CDD et contrats d’intérim
è Bénéficient d’un niveau de pension inférieur de 41,7% à celles des hommes (hors majoration et pension de reversion)
è Assument 73% des tâches domestiques et parentales. Si l’on rémunérait un minimum le travail domestique, cela représenterait plus de 10 900 milliards de dollars selon un calcul fait en 2019 par Oxfam, à l’échelle mondiale, et 150 milliards d’euros pour la France selon une étude de la CGT !
è Subissent le plafond de verre – c’est-à-dire les inégalités de carrière liée le plus souvent à la maternité ou au seul fait que celle-ci puisse être envisagée. Alors que les femmes sont plus diplômées, elles accèdent plus difficilement aux postes à responsabilité. On note quand même quelques améliorations dans l'encadrement, mais plus on monte dans la hiérarchie, moins il y a de femmes.
Il devient très urgent de faire preuve de fermeté vis-à-vis des employeurs car ce n’est pas l’indice « Penicaud », où tout le monde gagne le bon point, qui permettra d’arracher des actions efficaces pour l’égalité professionnelle ! Il vaudrait mieux utiliser la méthode CLERC de lutte contre les discriminations par exemple, dont l’efficacité est prouvée au concret par une des luttes les plus prometteuses que je tiens à saluer ici : la première action de groupe pour discriminations de genre contre la Caisse d’épargne d’Ile de France où les femmes gagneraient en moyenne 18% de moins que les hommes.
Et j’ajoute que si l’on veut réellement l’égalité, y compris en intégrant la dimension du partage des tâches domestiques et parentales, il faut que tout le monde travaille moins, avec des contrats stables, avec un congé paternité obligatoire ; et il faut augmenter les salaires! On voit ici le cercle vertueux que constituerait une réelle mise en œuvre de politiques d’égalité pour toute la société.
Aujourd’hui, nous avons fait le choix de nous concentrer sur les métiers et les professionnelles « en première ligne » pendant la pandémie.
Le monde du travail reste très ségrégué entre métiers masculins et féminins. On parle de « paroi de verre » autour de 6 grandes catégories de jobs ultra féminisés dont on pourrait presque dire qu'ils sont la continuation dans le monde du travail des tâches effectuées dans la sphère privée: services aux personnes, professionnelles de santé comme Camille LE NET, cadres C de la fonction publique, secrétariat/administration des entreprises, personnel du commerce comme Ferrudja KACI-OULADJ, professionnelles de l’éducation.
Et – Ô surprise – les métiers dits « féminisés » sont moins reconnus financièrement et socialement, parfois invisibilisés, souvent précaires et moins couverts par les conventions collectives, sans grande possibilité d’évolution (le fameux « plancher collant »).
Rachel SILVERA, notre experte en la matière, nous donnera sans doute des clés de compréhension de ces métiers et des revendications des professionnelles ; et nous aurons l’honneur d’écouter deux témoignages de femmes essentielles à propos de leur quotidien, des bousculements des deux dernières années et de leurs luttes !
La crise sanitaire aura rendues plus visibles les premières de corvée aux yeux du grand public, mais dans le concret, c’est à un abandon pur et simple de ces professions que nous avons assisté. C’est révoltant.
Alors que l’on commençait à réfléchir à l’après pandémie ; alors que l’on pouvait légitimement se demander si la vraie richesse de ce pays n’était pas plus dans ces métiers du soin et du lien que dans les marchés de capitaux ; alors que les professionnelles concernées étaient éreintées et que tout le monde voyait combien nous dépendons toutes et tous d’elles, il ne s’est rien passé.
Pas de revalorisation à la hauteur, pas d’investissement pour de meilleures conditions de travail, à peine quelques mesures sanitaires de protection…dans le public comme dans le privé d’ailleurs. Même la mise en lumière des essentielles n’a pas questionné cette espèce d’approche par le haut des milieux autorisés qui résume l’égalité professionnelle à l’accession de quelques femmes aux plus hautes responsabilités des grandes entreprises.
Il faudrait au contraire ouvrir une large concertation sur les moyens de valoriser les professions du soin et du lien et de leur donner l’environnement le meilleur pour remplir leurs taches essentielles au service de la société. Il faudrait par exemple investir autour de 80 milliards d’euros (3,3% du PIB) pour revaloriser ces métiers et créer plus d’un million de postes dans les services publics, afin de répondre aux besoins sanitaires et sociaux de la société. À celles et ceux qui diraient que cela coute cher, je dis : c’est de l’investissement. Revaloriser et créer de l’emploi c’est créer du pouvoir d’achat et des rentrées d’argent supplémentaires pour la sécurité sociale, pour les services publics aussi. Toujours ce fameux cercle vertueux qui accompagne la justice sociale !
Ce soir nous reviendrons également sur les effets de la crise sanitaire sur les femmes.
Dans les prévisions les plus optimistes, on estimait, avant la pandémie de COVID, que l’égalité professionnelle et salariale serait atteinte dans environ 150 ans. En 2020, à cause de la crise sanitaire, le Forum de DAVOS évaluait un recul de ce calendrier de presque 36 ans. Selon l’ONG OXFAM, ce sont 40 millions de femmes qui ont basculé dans la pauvreté à cause du COVID.
Comme nous le dira surement Sandra LHOTE-FERNADES, autrice du rapport d’OXFAM France « Pour un plan de relance féministe » : les femmes ont été les grandes absentes des cercles décisionnaires et des médias, tout en subissant des pertes d’emploi, de revenu, une exposition accrue à la précarité.
Une précarité qui prend d’ailleurs de nouvelles formes comme nous l’expliquera Séverine LEMIERE.
Elles ont même été 21% (Rapport Fondation des femmes) à devoir s’arrêter de travailler dans le cadre infernal de l’inégale répartition des tâches domestiques et parentales dont nous parlera Julie HEBTING. Entre le travail, les tâches domestiques et l’école à la maison, pendant le confinement du printemps 2020, c’était la triple journée pour les mères de famille.
Les premières de corvée ont aussi été les dernières servies du plan de relance comme l’a démontré un rapport de la Fondation des femmes: sur les 35 milliards d'euros des plans de relance sectoriels de juin 2020, seulement 7 milliards sont dédiés à des emplois occupés par des femmes.
Les associations féministes, mais aussi d’autres plus généralistes, se sont mobilisées pour « une relance féministe de l’économie » et pour que des moyens suffisants – 1 milliard d’euros au minimum – soient dégagés pour la lutte contre les violences conjugales, ce que je soutiens fortement à titre personnel.
S’il est vrai que les réponses au problème relèvent plus de l’application de la loi et d’évolutions nationales, à Paris, nous agissons aussi.
La Ville de Paris – à travers ma délégation - s’engage pour l’insertion professionnelle des Parisiennes éloignées de l’emploi, et pour l’égalité professionnelle en soutenant des projets associatifs à hauteur de 136 500 euros en 2021 pour des actions visant la levée des freins à l’insertion socioprofessionnelle et au maintien dans l’emploi, l’accompagnement des parcours de femmes éloignées de l’emploi (qui d’ailleurs s’orientent souvent vers le care), l’éducation à l’égalité et à la mixité dans les orientations professionnelles des jeunes, le soutien à l’entreprenariat à impact des femmes, la recherche sur le travail des femmes.
Nous publierons cette année un « guide des parisiennes » qui recensera toutes les actions et lieux ressources – dans tous les domaines touchant aux droits des femmes – dont nous disposons dans la capitale.
Enfin, parce que la Ville de Paris est aussi l’employeur de près de 45 000 agent.es, nous avons des responsabilités. En matière de politique de ressources humaines, le double label Diversité et Égalité professionnelle femmes-hommes a été accordé à la Ville en 2019 par l’AFNOR.
Nous avons également lancé un « Plan égalité » avec plusieurs axes de travail :
Créer les conditions d’un égal accès aux métiers et aux responsabilités professionnelles : d’ici 2023, les recrutements de femmes dans les filières majoritairement masculines et d'hommes dans les filières majoritairement féminines seront augmentés de 50%, et tous les jurys de concours seront composés de manière paritaire. 100% des nouveaux managers ainsi que tous les services des ressources humaines seront formés.
Supprimer les écarts de rémunération et de déroulement de carrière : Les taux de promotion au sein des corps les plus féminisés continueront d’augmenter de manière pérenne, l’impact des congés familiaux sur les carrières sera neutralisé et les écarts de rémunération non justifiés par un motif professionnel au sein d'un même corps seront supprimés d’ici 2023.
Favoriser l’articulation entre activité professionnelle et vie personnelle et familiale : avec la réduction des temps partiels contraints et l’accès au télétravail pour celles qui le souhaitent, avec une prise en compte des pathologie chroniques spécifiquement féminines comme l’endométriose, et avec un travail spécifique sur l’accompagnement des congés parentaux.
Enfin, lutter contre les violences sexistes et sexuelles au travail avec une rénovation du dispositif existant d’alerte et d’accompagnement des victimes (plateforme de signalement dématérialisée) ainsi qu’une formation pour les nouveaux cadres et les services prioritaires comme les Ressources humaines ou la Police municipale.
J’en reste là pour cette introduction et vous propose de terminer par une citation de Louise Michel dans ses mémoires: "Si l'égalité des deux sexes était reconnue, ce serait une fameuse brèche dans la bêtise humaine". Continuons avec notre intelligence collective à attaquer la bêtise humaine !