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Billet de blog 25 avril 2025

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Réhabiliter la diplomatie par le féminisme et l’éducation populaire

À l’heure des nouvelles brutalités internationales, pour les générations présentes et futures, il est urgent de réhabiliter la diplomatie par le féminisme et l’éducation populaire.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’est passé inaperçu. Le 24 avril, les Nations Unies devaient célébrer la « Journée internationale du multilatéralisme et de la diplomatie au service de la paix ». Une date oubliée alors même que, face aux nouvelles brutalités internationales, il n’est rien de plus urgent que de réhabiliter la diplomatie – cet art de la parole pour régler les conflits sans armes.

Opposer le multilatéralisme aux empires économiques et impérialistes du XXIe siècle

Les grands pays capitalistes – au premier rang desquels les États-Unis sous l’influence de la doctrine Trump, épaulés par des magnats de la tech et des oligarques réactionnaires – veulent s'ériger en empires tout-puissants. Ils piétinent les institutions, raniment les tensions et imposent un rapport de force permanent jusque dans les institutions comme l’ONU. Leur politique étrangère est unilatérale, autoritaire, militarisée, informatisée et elle fait peser un danger croissant sur les peuples.

De son côté, la diplomatie des technocrates a échoué : coupée des intérêts populaires, elle s’est réduite à une diplomatie de bourgeoisies du XXᵉ siècle. Dans la Règle du Jeu, Jean Renoir alias « Octave » expliquait l’une des règles du jeu social par cette formule : « il y a quelque chose d’effroyable sur cette terre, c’est que tout le monde a ses raisons. » Par « raisons » traduisons « intérêts » et nous comprenons alors bien vite les biais de la diplomatie du 20e siècle, qui s’est trop tournée vers les intérêts financiers d’une classe bourgeoise, masculine et où chacun est centré sur ses propres problématiques sans s’attaquer aux problématiques systémiques. Cette diplomatie est maintenant inopérante pour sortir des logiques de guerres, de conflits et de confrontations. La voici d’ailleurs balayée par des oligarques de la tech et les magnats inspirés par l’extrême droite qui s’emparent de démocraties affaiblies par les crises à répétition du capitalisme.

Dans ce chaos, la priorité politique doit être d’opposer un attachement indéfectible à une internationale fondée sur le multilatéralisme, le droit, la souveraineté des peuples – libres et associés – et la résolution pacifique des conflits. Nous devons soutenir toutes les initiatives qui sortent de la logique des blocs pour désarmer les crises, pour relancer les dialogues régionaux et garantir la paix par la coopération, le développement partagé et la reconnaissance intégrale des droits humains.

Sortir des conflictualités organisées et mises en scène sur les réseaux sociaux.

La nouveauté cependant de la crise mondiale de la diplomatie, c’est l’impact social des réseaux sociaux : la nouvelle arène pour les gladiateurs des conflits organisés.

Les dirigeants de l'internationale réactionnaire s’y mettent en scène. Ils partagent le goût de la violence, la détestation des féministes et de l’égalité, le refus de la prise en compte de la crise climatique, ainsi que le refus de toute limite à leur pouvoir. Ils sont complotistes et agissent vite, précisément parce que la démocratie nécessite du temps, ils veulent créer du désordre, des ruptures attendues parfois par les peuples contre les anciennes bourgeoisies. Ces peuples qu’ils trompent en sur-communiquant et en incarnant la colère née de ce qu’ils contribuent à détricoter par ailleurs dans les arcanes du pouvoir : les politiques publiques et sociales. La connaissance est donc leur ennemie et la désinformation leur arme pour servir leur post-vérité – cette croyance, cette réalité qu’ils s’inventent de toute pièce, érigée en vérité par la banalisation du mensonge et le primat de l’émotion sur la raison. Ils attaquent dès lors les savoirs, les livres et les sciences.  

Ils sont élus démocratiquement, poussent les limites des démocraties, s’en prennent à tous les contre-pouvoirs, la justice, les journalistes et exploitent sans éthique tous les outils technologiques. Aux armes physiques s’ajoutent donc désormais et plus que jamais les armes numériques, leur permettant non seulement d’utiliser les humains pour les data qu’ils produisent mais surtout d’influencer massivement les esprits pour créer toujours plus de conflictualité, pour amplifier les tendances complotistes qui servent leurs intérêts et, in fine, modifier les comportements. Giuliano DA EMPOLI souligne que nous vivons dans « un monde où la condition numérique est devenue la première expérience véritablement globale ». L’IA devient une « intelligence autoritaire ». Les plateformes fixent les règles d’une foire d’empoigne permanente.

Leur ambition réactionnaire, si ce n’est totalitaire ? Programmer les femmes et les hommes pour les rendre captifs et sensibles aux post-vérités, pour créer de la violence dans les sociétés, diviser les classes prolétaires et ainsi régner par la violence. Faisant oublier au passage qu’ils sont les premiers bénéficiaires de la lutte des classes.   

Allons-nous ainsi devenir les logiciels des logiciels que nous avons créé ? Loin d’être de la science-fiction, cette « contre-révolution informationnelle » dirigée contre les Lumières et l’éducation rappelle au contraire les pires heures de l’Histoire.

Sortir de ces conflictualités organisées et mises en scènes impose de s’organiser, de répondre à ces seigneurs numériques de la guerre : « pas de guerre entre les peuples, mais pas de paix entre les classes ! »

Réhabiliter la diplomatie par l’éducation populaire et la formation de la jeunesse

Parce que la jeunesse est tout à la fois notre avenir et notre présent, elle est la cible privilégiée de cette conflictualité organisée sur les réseaux pour servir les intérêts des impérialistes réactionnaires. « Si c’est gratuit, c’est que les jeunes en sont le produit ». Aidée par les algorithmes, la violence sous toutes ses formes se banalise, s’installe dans les contenus des abonné·es sur les réseaux mais aussi sur différentes plateformes qui font commerce de cette violence. Ainsi prospèrent par exemple la pédocriminalité et la pronocriminalité qui participent de ce conditionnement des cerveaux à la violence et qui alimentent en retour, presque en les légitimant, les pratiques, les propos et les actes des oligarques de la tech et de l’extrême droite.

Les algorithmes ont ainsi un impact et même un rôle très clair dans l’avilissement de la jeunesse au service des impérialismes économiques et politiques. Et nous le savons. Nous le voyons.

Nous voyons les jeunes pris pour cibles mais nous ne les protégeons pas ; pas même de la pédocriminalité en ligne et de la pornocriminalité, face auxquelles les pouvoirs publics continuent de montrer au mieux leur impuissance à agir, au pire leur complaisance face à ce phénomène en n’imposant pas par des lois et des règlements européens une régulation aux plateformes. Les pouvoirs publics n’organisent pas non plus de la prévention, empêtrés qu’ils sont dans les politiques d’austérités. Pendant ce temps, les jeunes souffrent, livrés à elles-mêmes et eux-mêmes dans une post-réalité faite de conflictualité et de violence. Les conséquences en termes de santé mentale chez les jeunes sont dramatiques et sont connues tandis que les services publics, démembrés les uns après les autres, peinent à accompagner ces jeunes en souffrance et à répondre à leurs besoins.

Il faut agir et des choix s’imposent.

En France, alors que le Service national universel (SNU) engloutit près de deux milliards d’euros pour toucher à peine 10 % d’une classe d’âge, souvent recrutée parmi les plus favorisé·es, les lieux de sociabilisations et de liens avec les autres générations, les lieux d’émancipations, les MJC, foyers ruraux, séjours linguistiques et jumelages solidaires subissent dans le même temps des coupes budgétaires majeurs. Les associations ferment asphyxiées financièrement. Les animateur·rices du secteur de l’éducation populaire voient leurs postes précarisés ou disparaître. On confie à un stage de quinze jours ce qu’une politique d’émancipation devrait réaliser toute l’année, si ce n’est toute une vie.

Il est temps de partir des besoins des jeunes. Il est temps de réaffecter ces crédits au renforcement des associations locales, à la formation d’animateur·rices qualifié·es et à la création de programmes d’éducation aux médias et de diplomatie citoyenne où les jeunes usent d’esprit critique et apprennent à négocier, écouter et coopérer au-delà des frontières.

Il est temps d’agir en France et en Europe, pour responsabiliser les plateformes des réseaux sociaux, et interdire tous les contenus illégaux, racistes, antisémites, sexistes, homophobes …

Il est temps de renouveler et de renforcer le soutien à l’éducation public, et aux mouvements d’éducation populaire qui, partout localement, créent les conditions, les espaces d’échanges et de dialogue permettant aux jeunes d’instruire les débats qui les traversent sur tous les sujets qui les préoccupent, dans une logique d’écoute, de respect et de compréhension de l’autre et aussi d’éducation.

Si nous la concevons ainsi comme une pratique internationale de vivre-ensemble entre les peuples et pas qu’entre leurs classes dirigeantes – dont nous avons précisément démontré que leur conflictualité mise en scène ne servait en rien l’intérêt des peuples, bien au contraire – alors la diplomatie n’est pas qu’affaire de diplomates. Elle est même d’abord et avant tout l’affaire de toutes et de tous : des jeunes qui doivent s’y initier et s’y acculturer par l’exercice de l’esprit critique, des organisations sociales et syndicales et des associations aussi qui la font vivre à l’échelle des travailleuses et des travailleurs, des citoyennes et des citoyens. Bref, des peuples.

Et il serait dès lors pour le moins gênant, en réfléchissant à la façon de réhabiliter la diplomatie internationale dans ce sens, d’oublier ou de mettre la moitié de ces peuples à l’écart, la moitié du genre humain : les femmes.

Pour une diplomatie résolument féministe

Si la crise de la diplomatie actuelle ne se résume évidemment pas simplement à une question de parité, force est de constater que moins de 10 % des intervenant·es à l’ONU sont des femmes. Pas de quoi permettre un changement de pensée diplomatique pour que l’ONU redevienne centrale dans le processus de paix, mais de quoi favoriser en revanche les intérêts masculinistes et ceux de quelques acteurs financiers des Dow Jones et autres CAC 40.

Que « chacun se pense le centre du monde », dans le cadre de la diplomatie conflictuelle actuelle, est en effet bien une expérience d’homme, non de femme. L’Occident, après les guerres mondiales de la première moitié du XXᵉ siècle, a formé une génération de dirigeants prêts à modeler le réel selon leur désir : une diplomatie polie et réfléchie, mais oubliant finalement le monde, dans un entre-soi social et un masculinisme se voulant « lissé », comme s’il était donc plus acceptable.

Une diplomatie féministe commence dès lors par la parité dans toutes les instances internationales, puis intègre le genre dans chaque négociation (sécurité alimentaire, dettes, climat, migrations…). Elle reconnaît l’expertise des femmes (y compris celles de l’économie informelle) et privilégie les processus participatifs : conférences citoyennes transfrontalières, budgets genrés, médiations conduites par des femmes concernées. Elle substitue à la culture du secret diplomatique une culture de transparence et de redevabilité.

Si « le chaos n’est plus l’arme des rebelles, mais le sceau des dominants », comme le dit Giuliano DA EMPOLI, et s’ils se reconnaissent entre eux dans ce chaos organisé, alors reconnaissons-nous aussi, entre féministes, internationalistes et progressistes pour construire la paix par une diplomatie féministe et populaire et en cela, d’un potentiel très transformateur.

***

La journée internationale du 24 avril pour le multilatéralisme et la diplomatie au service de la paix, aurait dû être l’occasion d’exhorter la gauche européenne – et, au-delà, toutes les forces progressistes du monde – à se mobiliser pour que la diplomatie ne soit pas simplement l’instrument et le jouet des puissants, et pour la défendre contre les réactionnaires qui veulent enterrer le principe même de « diplomatie ».

Pour qu’elle ne se limite pas aux chancelleries mais devienne véritablement cet espace où les voix des opprimé·es, des oublié·es et des peuples en lutte trouvent un écho.

Pour que les mouvements sociaux, les organisations citoyennes, les femmes, les jeunes y trouvent leur place.

Pour que les luttes climatiques, sociales et féministes en soient les pierres angulaires.

Pour qu’elle retrouve finalement sa vocation : être un instrument de paix, de dialogue et d’émancipation collective, par et pour les peuples.

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