Mesdames et Messieurs les représentant·es du Mouvement du Nid,
Mesdames et Messieurs les professionnel·les engagé·es auprès des personnes prostituées,
Bienvenue à toutes et tous !
C’est avec un grand plaisir que je vous accueille aujourd’hui à l’Hôtel de la Ville de Paris, en tant que maire adjointe en charge de l’égalité femmes, de la jeunesse et de l’éducation populaire, pour ce temps de formation et d’échange organisé par le Mouvement du Nid, autour de l’insertion socio-professionnelle des personnes prostituées, clé de voûte du parcours de sortie de prostitution tel que prévu par la loi du 13 avril 2016, mais aussi et surtout condition sine qua non de l’autonomie et de la reconstruction individuelle pour des personnes ayant connu les violences et la stigmatisation liées à l’exploitation sexuelle.
Je tiens à saluer l’infatigable engagement du Mouvement du Nid pour les droits humains et en particulier celui, fondamental, élémentaire, de disposer de son corps sans que quiconque ne puisse l’exploiter, le violer, le monnayer. C’est un point de vue qui, malheureusement et malgré la loi, est encore très discuté, mais que je partage, car je considère que l’on ne luttera pas efficacement contre les violences faites aux femmes, en particulier les violences sexuelles, si l’on considère que le consentement peut s’acheter, tout comme les corps des femmes – et souvent de très jeunes femmes.
Ce point de vue abolitionniste, celui qui a présidé à l’élaboration de la loi de 2016, est, j’en suis convaincue, le plus juste, puisqu’il porte le fer sur les responsables de l’exploitation, ceux qui l’organisent, ceux qui en profitent, c’est-à-dire les proxénètes et les « clients » ; et reconnaît les personnes prostituées comme victimes, ce qui leur permet de bénéficier de droits, dont celui de se former et de travailler.
Car non, la prostitution n’est pas un travail, ni dans sa finalité, ni dans son organisation.
Voici ce qu’en disait Sophie BINET, secrétaire générale de la CGT, lors du débat parlementaire autour de la loi de 2016, interviewée d’ailleurs par le Mouvement du Nid :
« Dans un travail, le lien de subordination avec l’employeur doit être temporaire, limité dans le temps et dans l’espace ainsi que dans son contenu ; il y a un droit à la déconnexion, à la préservation de la vie personnelle. Sinon, c’est un esclavage ou au minimum une aliénation. Dans la prostitution, la personne est engagée tout entière ; il n’y a plus de séparation entre elle et la fonction qu’elle occupe. Pour nous, la force de travail physique ou intellectuelle est à distinguer de l’intimité. Le sexe doit rester une barrière, il est du domaine de l’inaliénabilité. Tout ne se vend pas. De plus, un travail ne doit pas altérer la santé. Or, la prostitution impose souvent le recours aux drogues et occasionne des dégâts physiques et psychiques, des stress post-traumatiques ».
Le Conseil Constitutionnel, après qu’il a été saisi par un collectif d’associations pour mettre en cause la loi, au nom de la « liberté d’entreprendre », de la « liberté contractuelle » et de la « liberté personnelle », a également statué dans ce sens, reconnaissant d’une part que l’on n’est pas libre de tout et que dans l’immense majorité des cas de prostitution la contrainte est démontrable.
Le discours du travail, c’est en réalité celui de l’emprise du proxénète sur la personne prostituée, qui leur permet d’une part, de légitimer leur domination et de légitimer les violences des clients qui, dans la mesure où elles sont rémunérées, seraient acceptables. Ce discours est assez ancré et difficile à déconstruire auprès des victimes elles-mêmes et pour cause car cela revient à questionner leur libre arbitre.
Lorsque l’on regarde les études de victimation et les profils des personnes prostituées, consentantes ou non, on se rend vite compte que n’importe qui ne se retrouve pas en situation de prostitution. Majoritairement des femmes, majoritairement étrangères, majoritairement victimes ou co-victimes de violences sexuelles ou conjugales, parfois dès la tendre enfance, majoritairement en rupture familiale et en très grande précarité sociale, on est loin de la jeune femme qui fait un choix délibéré, éclairé et autonome. Si l’on concède l’existence de rares cas se déclarant libres – à l’instant T, peut-être pas dans quelques années d’ailleurs – le profil des personnes prostituées est celui de personnes vulnérables socialement, psychologiquement, affectivement. Une vulnérabilité dont savent très bien profiter les proxénètes, qui construisent leur emprise sur ces fragilités.
Le parcours prostitutionnel étant intrinsèquement truffé de violences au pluriel : violences physiques (coups, blessures, homicides), sexuelles (agressions sexuelles et viols) ou verbales et psychologiques (insultes, humiliations, stigmatisation) ; le public que vous accompagnez est un public très abîmé. D’ailleurs, lors des réunions de travail des autorités publiques sur la question, le qualificatif le plus utilisé pour décrire les personnes est « fracassée ».
Je ne développe pas plus sur les caractéristiques de la prostitution d’aujourd’hui, je pense que c’est l’objet de votre premier temps de travail, je voulais simplement souligner l’importance de la question de l’insertion socio-professionnelle dans la sortie de prostitution, du fait de la vulnérabilité particulière des personnes concernées et du fait de l’utilisation bien particulière des registres du travail et de l’argent au service de l’exploitation sexuelle. Nul doute que cela a un impact par la suite, sur les rapports au travail et les besoins en insertion socio-professionnelle.
J’ai toujours ce souvenir de cette jeune femme, mineure à l’époque des faits, exploitée domestiquement, prostituée, victimes d’actes de barbarie et intégrée dans le Foyer Jorbalan, qui luttait au quotidien pour accepter son temps plein chez Séphora et son salaire nettement inférieur, selon elle, à ce qu’elle pouvait toucher même après que le proxénète ait ramassé 80 % de ses passes. Il y a bien évidemment des questions qui dépassent le cadre de l’insertion professionnelle pour les personnes les plus éloignées de l’emploi – le niveau des salaires, des salaires des métiers féminisés par exemple – mais j’imagine que vous, professionnel·les, êtes confronté·es à ce dilemme régulièrement et sans doute avez-vous développé de bonnes pratiques.
Du côté de la Ville de Paris, nous sommes preneuses en tout cas et je suis sûre que votre matinée de travail et le guide à destination des professionnel·les de l’insertion seront utile aux agents et aux agentes qui accompagnent ce public.
La Ville de Paris, en 2022, aura dédié 341 000 euros de subventions au titre de l’égalité femmes hommes aux associations qui accompagnent les personnes prostituées, dont des projets d’insertion socioprofessionnelle avec des formations linguistiques, des formations professionnalisantes, un accompagnement vers l’emploi.
Nous participons à plusieurs instances avec l’État pour améliorer la prise en charge des victimes :
- la commission départementale de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle, c’est-à-dire la commission qui pilote notamment les parcours de sortie de prostitution ;
- le comité local d’aide aux victimes (CLAV) qui identifie les personnes prostituées comme un public particulièrement vulnérable ;
- et vient d’être créé un « CLAV mineurs », dont une des priorités est également la prostitution.
Toutes les autorités sont en alerte sur les évolutions du phénomène prostitutionnel : forte augmentation de l’exploitation sexuelle des jeunes et des mineur·es et sous de nouvelles formes, à l’ère du tout numérique, avec une « ubérisation » de la prostitution, du proxénétisme 2.0 qui reposent le plus souvent sur les réseaux sociaux et se pratiquent dans des appartements loués sur des plateformes type AirBnb.
Nous devons ainsi nous saisir de réponses nouvelles en matière de prévention, d’accompagnement, de protection, d’enquête et de répression du proxénétisme et de l’achat d’actes sexuels auprès, je le rappelle, d’enfants ou de jeunes adultes très vulnérables. Avec l’ensemble des partenaires parisiens, Préfecture de Paris et d’Île-de-France, Préfecture de Police, Parquet et associations, nous préparons d’ailleurs un colloque pour le 26 juin (toute la journée à la préfecture dans le 15e arrondissement), autour des relations entre numérique et prostitution des jeunes, également destiné aux professionnel·les.
La loi n’est pas encore appliquée dans sa totalité, je pense notamment au volet de sensibilisation et prévention des jeunes dans les collèges et lycées, et demande bien plus de moyens pour assurer réellement cette « information sur les réalités de la prostitution et les dangers de la marchandisation du corps ». Je me réjouis de l’annonce faite par Madame la Ministre Isabelle LONVIS-ROME dans son interview à Causette le 13 avril dernier, de sa volonté de « booster la loi » et de porter une nouvelle stratégie nationale de lutte contre la prostitution à la rentrée.
Il est très important d’investir fortement le terrain de la prévention, tant auprès des jeunes qui pourraient être victimes, qu’auprès de jeunes qui pourraient voir quelque chose de banal dans l’achat d’actes sexuels, que ce soit ici en France comme partout ailleurs et même en vacances au bout du monde. Cela fait partie des actions que nous menons, au niveau de la Ville de Paris et singulièrement au niveau de ma délégation, avec le Mouvement du Nid dans le cadre de l’appel à projets « Collèges pour l’égalité ».
Les pouvoirs publics ont une responsabilité particulière pour ne pas faire des adultes de demain des proies ou des prédateurs, mais bien des personnes émancipées, libres et égales. J’espère ainsi que nous pourrons nous pencher sur les liens entre pornographie et prostitution avec, entre les deux, cette zone grise du numérique qui permet aux mineur·es de s'initier à des comportements pré-prostitutionnels. L’Arcom a ainsi révélé hier que la part des mineur·es fréquentant ces sites a considérablement augmenté en 5 ans, passant de 19% en 2017 à 28% en 2022 et que nous atteignons le chiffre effrayant de 2,3 millions d’enfants qui consultent chaque mois des vidéos sur les sites pornographiques !
Dans un tout autre registre, je ne vous cache pas que si je suis très enthousiaste à l’idée que notre ville accueille les jeux olympiques et paralympiques en 2024, je pense également qu’il sera indispensable, en amont et pendant ce grand évènement populaire international, de mettre en place des actions de prévention de l’achat d’actes sexuels. Nous savons que les réseaux de proxénétisme s’organisent toujours pour « accueillir » ces rassemblements, nous - autorités publiques et société civile - aurons à informer sur la loi, à l’image de ce que nous avons fait pour l’Euro de football (masculin) de 2016 ; là encore avec le Mouvement du Nid.
Mesdames, Messieurs, avant de vous laisser travailler, je tiens à vous féliciter pour votre engagement auprès de celles et ceux qui, sans le service public, sans les associations de terrain, n’auraient que très peu de chances de s’extraire des violences et de cheminer vers leur émancipation.
Restons mobilisé·es pour que demain, et c’est possible, nos enfants vivent dans un monde libéré du fléau de l’exploitation sexuelle.
Je vous remercie.