Je suis professeur de lycée (secondaire et BTS) et je suis extrêmement étonnée que l'on concentre les débats actuels sur les classes prépas : le projet en cours s'attaque de fait à tous les professeurs depuis la première! Quant aux classes préparatoires, appeler à leur destruction, c'est demander de détruire ce qui marche plutôt que de chercher à le démocratiser. Je travaille dans un lycée qui multiplie les passerelles entre classes préparatoires et filières moins ou non sélectives (BTS et universités) : cela me semble infiniment plus constructif que l'appel à la destruction d'une filière certes sélective mais dont l'efficacité n'est mise en doute par personne.
Je voulais surtout intervenir à propos du temps de travail des enseignants parce que je ne doute pas que certains commentaires que je viens de lire suite à l'article consacré dimanche 8 décembre 2014 aux classes préparatoires reflètent l'opinion d'une partie non négligeable de nos concitoyens. Et cette vision du métier d'enseignant me met hors de moi. Je suis agrégée à temps partiel : je dois douze heures de cours. Mais douze heures de cours ce n'est absolument pas douze heures de travail ! Et, oui, avec mes douze heures, qui ne sont même pas des heures de prépa, je ne parviens pas à ne pas travailler le week end! Alors, comment je fais?
Un paquet de copie de première me prend à peu près 10 heures à corriger, un paquet de BTS 15. J'ai une classe de première et trois classes de BTS. Pour les préparer à l'examen, il faut leur proposer des entrainements réguliers. Faites le calcul : il suffit que je veuille corriger deux niveaux la même semaine et j'arrive déjà à 37 heures de travail. Sauf qu'il n'y a pas que cela à faire! Les cours n'arrivent pas tous faits dans ma boîte mail : il faut les préparer et pour diverses raisons (liées en partie aux programmes qui tournent et en partie à mes méthodes de travail), je les renouvelle beaucoup chaque année. C'est une partie du travail très intéressante mais très chronophage. J'y consacre d'ailleurs une partie conséquente de mes grandes vacances (les petites étant plutôt consacrées aux copies que je ne peux pas éponger en temps normal). Et, là encore, le travail n'est pas fini : il y a du travail administratif (remplir des dossiers, suivre les élèves, rencontrer des parents), de l'organisation de projets (sorties, expositions, conférences : tout ce qu'on essaye de faire pour motiver un peu les élèves), des examens à faire passer (oui, oui pendant l'année : contrôles en cours de formation en BTS, des oraux qui comptent pour l'examen final et que nous devons faire passer en trouvant les heures où on peut, sans heures supplémentaires payées bien sûr!), les recrutements à organiser pour l'année suivante (en BTS : journées portes ouvertes, lecture des dossiers de candidats, entretiens...). Et la liste n'est pas close! Bien sûr, celui qui cherche à en faire le moins possible peut passer entre les mailles du filet mais un prof consciencieux a beaucoup de travail. Et, très franchement, la majorité de mes collègues sont consciencieux. Quant aux profs de prépa, leur charge de travail est effectivement encore plus lourde : mon mari enseigne en classe préparatoire et il passe quasiment toutes ses soirées à travailler, régulièrement jusque tard dans la nuit.
Je ne me plains pas. J'aime mon métier et ma charge de travail est liée au fait que j'aime le faire bien. Il y a beaucoup de choses que je pourrais ne pas faire : je serais probablement moins bien vue, moins bien notée, j'aurais certainement de moins bons rapports avec mes élèves, mais mon salaire serait le même à la fin du moins. Néanmoins, j'estime que je remplis simplement la mission qui m'est confiée. Assimiler le temps de travail d'un professeur à son nombre d'heures de cours, c'est aussi absurde que d'assimiler le temps de travail d'un journaliste à son temps de passage à l'antenne ou le temps de travail d'un acteur à la durée du spectacle qu'il donne. Je m'emploie donc à combattre cette vision insensée de notre métier. J'ai commencé d'ailleurs par changer ma façon de parler : la majorité des enseignants disent qu'ils ne travaillent pas telle journée ou telle demi-journée s'ils n'ont pas cours. Or c'est faux, la plupart du temps (et c'est le cas en ce qui me concerne), ils travaillent toute la jounrée, chez eux, dans le bureau qu'ils ont dû s'installer car l'éducation nationale ne leur en fournit pas. Désormais, je dis donc que je n'ai pas cours mais que je travaille. Car c'est la stricte vérité. En tant qu'enseignant, nous disposons d'une certaine souplesse dans la gestion de notre emploi du temps car une grande partie de notre travail peut être fait quand nous le souhaitons. Mais il ne faut pas confondre souplesse d'organisation et charge de travail peu élevée.
Quant au discours sur les classes prépa, il s'habille parfois d'une hostilité qui me semble refléter davantage la frustration de ses détracteurs qu'une véritable réflexion sur le système éducatif français. Il n'est pas contestable que les classes préparatoires concentrent une minorité issue des catégories socioculturelles les plus favorisées. Il est également légitime de s'interroger sur le fait d'allouer des moyens importants à une minorité que l'on peut considérer comme a priori favorisée. Faut-il pour autant jeter le bébé avec l'eau du bain ?
Tout d'abord, s'il est plus que légitime de chercher à rendre notre système scolaire plus juste, il paraît également important de disposer d'élites bien formées. Les classes préparatoires ne sont pas la seule voix d'accès une formation de bonne qualité. Heureusement ! Le contraire serait fort inquiétant. Néanmoins il faut être de mauvaise foi pour ne pas reconnaître leur efficacité en la matière. Personnellement, je suis passée par une classes préparatoire littéraire. J'étais (et je suis toujours si j'exclue ma famille par alliance) la seule personne de ma famille à détenir un baccalauréat général. J'ai intégré une école normale supérieure en deux ans. La prépa m'a appris à travailler, elle m'a donné les moyens intellectuels de me défendre dans un milieu pour lequel je n'étais pas née. Elle ne m'a pas « formatée » comme certains voudraient nous le faire croire et j'étais bien plus épanouie parmi mes camarades de classe préparatoire que dans le lycée de banlieue dont je sortais où je ne pouvais pas partager mes centres d'intérêt s avec la majorité de mes camarades de classe (avec qui je m'entendais fort bien par ailleurs). Autrement dit : les classes préparatoires ne recrutant que sur la qualité des dossiers scolaires, elles peuvent constituer une manière d'accéder à un milieu socioculturel plus élevé pour des élèves qui n'en viennent pas.n Elles ouvrent cette porte précisément parce qu'elles sont extrêmement efficaces en terme de formation et, de ce fait, capables d'effacer en deux ans des différences culturelles considérables . Ce n'est pas la somme d'informations ingurgitées qui permet cette transformation mais la transmission efficace de méthodes grâce auxquelles un individu sera en mesure d'acquérir tous les savoirs dont il aura besoin à l'avenir.
On pourrait alors se demander pourquoi les classes préparatoires seraient à cet égard plus efficaces que l'université, ou tout simplement si elles le sont. Sur le second point, mon expérience personnelle a malheureusement confirmé tous les discours négatifs que j'ai pu entendre développer sur l'université lorsque j'étais en prépa. Je ne souhaitais pas recommencer ma deuxième année de prépa et j'affirmais que, si je n'obtenais pas l'ENS, j'irais en fac. Je me souviens d'un de mes professeurs qui me demandait en substance ce que j'irais faire en fac, avec un mépris assez ouvertement affiché à l'égard de la formation qui y était dispensée. Ce professeur n'étant pas hautement sympathique malgré la qualité de son enseignement, j'étais persuadée qu'elle médisait. J'ai été reçue à l'ENS et j'ai donc dû suivre une licence à l'université l'année suivante. Et cette année a malheureusement très massivement donné raison à mon professeur de classe préparatoire... Je me souviens dans un cours de stylistique d'avoir été frappée par l'investissement d'une de mes camararades qui travaillait manifestement beaucoup et avec beaucoup d'enthousiasme. Elle n'avait pas fait prépa. Et ses notes finales furent bien inférieures aux miennes. En termes de mérite, c'était tout à fait injuste. Mais je pense précisément qu'elle n'avait pas bénéficié de la formation qu'elle méritait.
Il ne s'agit bien sûr que d'une expérience personnelle, vieille de qunize ans qui plus est. Mais je ne vois pas pourquoi les choses se seraient améliorées depuis. Ce n'est pas les prépas qu'il faut « dézinguer ». C'est la fac qu'il faut renforcer. Les taux d'échec en licence sont catastrophiques et ne peuvent être entièrement imputés aux orientations par défaut plus fréquentes en fac qu'ailleurs. En BTS nous recrutons de très nombreux élèves qui n'on pas trouvé leur compte à la fac... faute d'un encadrement suffisant. Pour être entourée d'universitaires et avoir moi-même envisagé une carrière universitaire à une époque, je pense que ce problème d'encadrement n'est pas lié uniquement au taux d'encadrement mais à la nature des encadrants. Le statut d'enseignant-chercheur ne me semble pas adapté à l'enseignement en premier cycle. En effet la carrière des enseignants-chercheur dépend quasi exclusivement de leurs activités de recherche. Il ne leur est donc pas possible d'être suffisemment disponibles pour des étudiants qui sortent à peine du lycée et qui ont tout à apprendre dans le domaine où ils viennent de s'orienter. En effet les cours de premier cycle sont fortement répartis entre les enseignants parce que ceux-ci veulent aussi assurer des cours de second cycle plus intéressants par rapport à leurs sujets de recherche et permettant de prérecruter des doctorants. Ils voient donc chaque étudiant peu d'heures ce qui ne leur permet de construire une véritable relation pédagogique. Ce ne serait pas grave si ces étudiants étaient déjà autonomes et capables de transformer le savoir qu'on leur transmet. Mais la majorité des étudiants de premier cycle ont besoin d'être formés et accompagnés suivant des modalités qui ne peuvent à mon avis être adaptées qu'à des enseignants à temps plein.
Une telle remarque serait probablement mal accueillie par de nombreux maîtres de conférences. Mais je pense que c'est pour de mauvaises raisons. Le système actuel est assez étrange : on recrute sur des critères liés à la recherche mais en fonction de besoins d'enseignement. Naturellement, si on augmente le nombre de poste d'enseignement sans recherche, le crainte est qu'on diminue le nombre de postes de chercheurs et donc les capacités de recherches des laboratoires. Il faudrait décoreller ces deux compétences de sorte à être ne mesure d'assurer la qualité de l'enseignement en premier cycle sans mettre en danger la recherche. Comme sur de nombreux autres points, un tel projet achopperait probablement sur des problèmes de confiance : tout le monde penserait que le but est d'économiser des postes et il serait donc impossible de faire avancer les choses. Mais si cette confiance pouvait être restaurée, je pense que tout le monde y gagnerait : certains seraient heureux de pouvoir se consacrer entièrement à l'enseignement devant des élèves intéressés par leur matière, d'autres de ne plus avoir à donner des cours de premier cycle qui ne constituent pas leur priorité. Et c'est là qu'une certaine porosité entre fac et prépa peut faire avancer les choses dans le bon sens : en offrant à des étudiants de premier cycle l'investissement et le savoir faire pédagogique de gens qui ont fait de l'enseignement le coeur de leur activité. Cette porosité n'est pas utopique. Elle existe dans le lycée où j'enseigne.
Enfin, j'aimerais revenir sur l'idée suivant laquelle la prépa reproduirait les inégalités sociales. Elle s'appuie sur l'analyse sociologique des classes préparatoires elles-mêmes. Mais en sont-elles véritablement responsables ? N'est ce pas le système scolaire tout entier qui renforce ces inégalités et qui aboutit à une forte corrélation entre l'origine sociale et la qualité du dossier scolaire en fin de terminale ? À ma connaissance, la fameuse étude PISA qui sature nos médias depuis quelques jours est faite sur des élèves de 15 ans, soit trois ans avant l'entrée en classe préparatoire. Or elle aboutit à la conclusion suivant laquelle les compétences des élèves du système français sont fortement corrélées à leur origine socioculturelle. Il est donc logique que des formations qui recrutent les élèves les plus brillants au sein de ce système récupèrent également les plus favorisés. À cela s'ajoute des préjugés que les discours antiprépa ne font qu'alimenter : que n'ai-je pas entendu sur l'enfer des prépas lorsque je me suis moi-même orientée dans cette voie. Il fallait que j'aie beaucoup de motivation et des parents plus ouverts que le milieu qui les entourait pour oser me lancer. Et grâce à la prépa, j'ai tout vécu. Sauf l'enfer.