Je suis au bord de la crise de panique. Pour une raison qui semblera certainement à risible à beaucoup en ces heures de mobilisation tellement plus légitime face au au COVID-19 : l’accès au petit lac urbain dont la circonférence constitue ma promenade quotidienne est désormais illégal. Comme beaucoup dans le pays, semble-t-il, le maire de Villeneuve d’Ascq a jugé pertinent d’interdire à ses concitoyens l’accès aux parcs de la commune, si modestes et imbriqués avec le tissu urbain soient-ils. Je m’interrogeais depuis plusieurs jours sur ce type de mesures : sont-elles toujours bien justifiées par des attroupements de population tels qu’ils empêchent le respect des distances de sécurité ? J’ai désormais la réponse : Non. Je fais le tour de ce lac tous les jours et n’ai constaté aucune infraction.
Pour beaucoup, ce type de mesure est probablement anecdotique. Mais ma situation particulière m’amène à penser qu’elles pourraient être graves. Je suis sujette à des troubles anxieux, largement teintés de claustrophobie. Je gère assez bien ces troubles en temps normal. Mes promenades quotidiennes autour du lac, qui me permettent de tenir la chronique de la vie des oiseaux qui le peuplent, sont mon anxiolytique. Au demeurant, à chaque fois que j’ai parlé à mon médecin de ces difficultés, elle m’a conseillé de faire du sport. Elle a raison, mais, dans mon cas, un minimum de contact avec la nature doit accompagner ce sport. Il ne s’agit pas de loisirs, il s’agit de survie. Mon niveau d’angoisse a beaucoup augmenté ces derniers jours, mais je le gardais sous contrôle, jusqu’à cette interdiction. Que dois-je faire si elle continue à monter ? Si je me plie de douleur sous l’effet des crampes d’estomac ? Si montent des envies suicidaires ? Appeler mon médecin qui n’a vraiment pas besoin de cela ? Appeler le SAMU qui en a encore moins besoin ? Heureusement, il me reste un jardin et une famille extraordinaire sur qui je sais pouvoir compter. Mais tout le monde n’a pas autant de chance.
C’est la raison pour laquelle j’écris ce billet. Face à un problème de santé publique comme le COVID-19, mon cas personnel n’a aucune importance. Mais, sous des formes variées, je pense qu’il fait écho à de nombreux autres cas. J’entends que des représentants du corps médical appellent à un renforcement des mesures de confinement, et notamment à l’interdiction des « déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective" parce qu’il ne s’agirait pas d’un besoin vital. Mais qu’appelle-t-on un besoin vital? Pour des gens qui supportent mal l’enfermement, sortir, c’est un besoin vital. Même en laissant de côté les profils psychologiques particuliers (qui ne sont à mon avis par rares), que dire des familles vivant en appartement avec des jeunes enfants? L’intérieur d’un foyer ressemble parfois à un cocotte minute : la pression monte, monte et, en l’absence de soupape de sécurité, la cocotte finit par exploser. Sortir les enfants, c’est la soupape de sécurité.
Certains jugent nécessaires d’interdire ou de limiter largement (par la fermeture des parcs qui sont les seuls lieux vraiment adaptés en ville) ces sorties dans l’espoir de diminuer les morts du COVID-19. J’ai parfois l’impression qu’on confond éloignement social et confinement. Les mesures de confinement n’ont pas été prises pour que les gens soient enfermés chez eux, elles ont été prises pour assurer l’éloignement social. Dans des espaces de plein air et assez grands pour que les gens ne se marchent pas dessus, cet éloignement social est possible. À moins qu’on apprenne que respirer dans un espace suffit à transmettre de virus, il ne me semble pas difficile d’éviter tout risque de contamination lors d’un promenade de santé. Quand j’apprends que des plages immenses ont été fermées, j’ai l’impression qu’on marche sur la tête. J’entends que certains sont indisciplinés et ne respectent pas bien cet éloignement. Je doute que la fermeture de ces espaces empêche les contacts de ceux qui en profitaient pour faire un foot ou un footing à plusieurs. Ils se retrouveront en intérieur, dans un contexte encore plus favorable à la diffusion du virus. Les indisciplinés trouveront toujours le moyen de contourner la règle. Les bénéfices de ces mesures de “renforcement” du confinement me semblent donc très discutables.
Mais qu’en est-il des risques? Il existe probablement quelques risques sanitaires liés à la diminution de l’activité physique mais peut-être sont ils faibles sur une période de quelques semaines. En revanche, les risques d’augmentation du nombre de suicides et de violences familiales sont à coup sûr considérables. Ceux qui croient qu’il faut supprimer ces sorties de santé devront en porter la responsabilité. Les violences sur enfants ne sont pas rares. Quand on n’a pas d’enfants, quand on laisse les autres s’en occuper, quand on est parfaitement stable psychologiquement, on peut croire que ces violences sont exclusivement le fait de monstres. Mais quand on s’est déjà trouvé en situation de ne pas se sentir capable de gérer ses propres enfants, quand bien même on n’a pas bonheur jamais commis d’acte violent, on entrevoit l’abîme qui peut s’ouvrir devant des parents démunis et enfermés à double tour dans des espaces clos. Réouvrir les parcs, reconnaitre la nécessité de permettre à chacun de gérer son équilibre physique et psychologique, dans le respect des distances de sécurité bien sûr, c’est un impératif de santé publique. Il serait, de mon point de vue, criminel de céder à l’irrationalité et de nier l’impérieuse nécessité de laisser à tous la possibilité de respirer.
Je désactive les commentaires parce que mon état psychologique ne me permet pas de gérer les réactions potentiellement hostiles que pourrait susciter ce biller dans un contexte qui nous met tous les nerfs à fleur de peau. Je livre ce texte comme un cri d’alarme assez personnel, car je reconnais ne pas avoir de connaissance scientifiques sur le sujet abordé. J'espère ainsi contribuer à ce que tous les aspects du problème soient pris en compte.