Depuis son arrivée au pouvoir, la majorité actuelle a connu un nombre très important d’annulations juridictionnelles, d’invalidations ou de déclarations d’inconstitutionnalité, à tel point d’ailleurs que même le Président du Conseil Constitutionnel a dû lui rappeler les exigences d’un Etat de Droit à propos, notamment, des Lois de finances régulièrement censurées.
Au-delà d’une pratique relevant d’un désolant amateurisme et d’une absence de culture juridique assez sidérante, le peu d’égards que manifestent le chef de l’Etat et le chef du gouvernement à l’égard du système et des normes juridiques est particulièrement inquiétant. Ils semblent en effet considérer qu’une règle de droit, qu’elle soit de fond ou de procédure, est un élément sans importance, et finalement subalterne, qui n’a pas à entrer en ligne de compte dans l’édiction des décisions administratives dont ils sont les auteurs, décisions qualifiées à tort de politiques alors qu’il s’agit de décisions juridiques
Rarement la règle de Droit aura été autant ignorée et malmenée par les plus hautes autorités de l’Etat, sans pour autant que cela conduise au moindre mea culpa de leur part ou à des tentatives de justifications telles que l’urgence, l’efficacité, l’inadaptation ou l’obsolescence des règles ainsi méconnues. Les annonces de simplification et de recodification sont d’ailleurs restées de simples gadgets, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas dépassé le stade de la nouveauté ludique inutile.
Or, le respect de telles règles a avant tout pour but et pour effet de faire obstacle à l’arbitraire et de permettre à toute personne normalement informée de savoir à quoi s’attendre de son gouvernement. Dans un Etat de Droit digne de ce nom, condition nécessaire à un Etat démocratique, les décisions de l’administration doivent se conformer à des normes, c’est-à-dire à des règles de caractère général et impersonnel. Celles-ci constituent une source de droits et d’obligations juridiques préalablement édictées et connues de tous. La sécurité juridique, condition de stabilité et d’anticipation, exige dès lors que les normes juridiques préexistent et ne varient pas sans cesse. Elle exige tout autant que la hiérarchie des normes soit respectée.
Pourtant, on assiste depuis près de quatre ans à des annonces relevant plus de l’imprévoyance et de la fébrilité que de la rigueur du raisonnement et de l’orthodoxie juridiques. Au titre des exemples les plus baroques et les plus inouïs, on citera la tentative improbable de déchéance de la nationalité par une révision de la Constitution là où une modification du Code Civil suffisait, l’annonce d’un référendum à Notre-Dame des Landes qu’aucune règle de fonctionnement des institutions ne prévoit ou n’autorise, puis son organisation selon des règles qui n’existent pas encore, la délivrance sur ordre du 1er Ministre d’un permis de polluer la Méditerranée par le rejet de substances toxiques, au mépris des compétences du Ministre de l’Environnement, l’absence de réponse de Matignon à des institutions indépendantes comme la Commission d’Accès aux Documents Administratifs ou l’annonce par le chef du Gouvernement, au moyen d’une simple déclaration, que l’impôt dû au titre des terrains devenus constructibles fera l’objet d’une ristourne, comme si une annonce radiophonique avait une valeur supérieure aux Lois de Finances votées par le Parlement. Ce faisant, et alors que le consentement à l’impôt est l’acte fondateur du régime démocratique français, le 1er Ministre sape sans vergogne, et sans même s’en rendre compte, un des fondements du régime parlementaire institué en 1789, et ce par un simple communiqué de presse.
Méconnaissant trop souvent la norme juridique, le Gouvernement ignore de ce simple fait les fondements en Droit de celle-ci et le raisonnement qui les sous-tend, et lui dénie finalement toute valeur et toute portée en la disqualifiant. Dès lors, il est aussi vain que dérisoire d’invoquer comme une antienne les « Lois de la République » lorsque la pratique du pouvoir démontre que les plus hautes autorités de l’Etat les respectent si peu et sont si peu instruites du fait que cette ignorance mine les fondements de la démocratie. De la fabrique du Droit, l’Etat est devenu le lieu de la faillite du Droit, la faillite du Ministère de la Justice au sens propre du terme, enfin reconnue par son titulaire, en étant un symptôme et le parfait emblème.