En cette année minée par les confinements, l’enseignement en demi-jauge et à distance, tout passe désormais par le numérique. La convocation à l’épreuve orale de français, première épreuve du Baccalauréat, n’est plus donnée personnellement à l’élève mais envoyée par mail – une déshumanisation et standardisation supplémentaire. Chacun sait l’importance presque sacrée de recevoir sa convocation à ce premier examen: le geste qui marquait l’événement disparaît.
La nouvelle épreuve du Grand Oral implique de diminuer le nombre d’examinateurs en français : il faut répartir les jurys entre les épreuves. Et dorénavant, les coordinateurs seront absents des centres d’examens; quelques-uns sont nommés par bassin, éventuellement disponibles en visioconférence, nous rassure-t-on. Leur rôle essentiel, d’accueil et d’organisation, se voit ainsi balayé. Comment sera remplacé un collègue absent ? Comment sera résolu un problème administratif avec un élève ? A-t-on pensé à ceux bénéficiant d’un 1/3 temps supplémentaire et qui étaient auparavant pris en charge par les coordinateurs ? On nous annonce que ces élèves seront intégrés au flux des candidats alors qu’on sait qu’ils ont besoin, encore plus que les autres, d’un accueil rassurant et personnalisé. Cela augmente encore la grande pression dénoncée chaque année par les professeurs de Lettres. Ils devront, comme précédemment, interroger treize candidats par jour (vingt minutes d’oral par élève, sept le matin, six l’après-midi) – un marathon redouté par de nombreux collègues. Mais on leur annonce cette fois-ci une période allongée à dix jours au lieu de cinq. Cette décision fait abstraction de toutes les demandes d’allègement qui permettraient plus de concentration, moins d’empressement, et donc d’accueillir chaque candidat de manière équitable en faisant preuve d’une attention régénérée.
La même dégradation s’observe à propos des épreuves écrites. Les professeurs ne sont plus convoqués pour la traditionnelle réunion d’harmonisation où chacun corrigeait des copies-tests et confrontait ses évaluations : ils devront corriger sur écran des copies scannées. Cela témoigne d’une méconnaissance des impératifs d’une bonne correction; la manipulation des copies est en effet essentielle – on ne corrige jamais une copie unique mais un lot de copies. Il faut pouvoir classer, relire, annoter. Là encore, le numérique transforme et standardise notre travail.
De manière indéniable, la réforme numérique et structurelle se poursuit sans prendre en compte la période que nous vivons : la réalité d’une école qui souffre du manque de liens humains et d’attention. Élèves comme enseignants sont concernés : dans les salles des professeurs comme les salles de classe, l’angoisse et la colère sont de plus en plus criants tandis que l’Institution demeure sourde.
Collectif des Professeur.e.s de Lettres.