La substantifique moelle, l’ADN du festival d’Avignon est d’offrir, depuis son lancement en 1947, la possibilité d’une contamination joyeuse : le plaisir de discuter des spectacles vus, des attentes, des déceptions, des désaccords, des émotions –prendre part au débat dans l’espace public grâce au théâtre. Il ne vous reste que quelques jours pour découvrir Ultra-Girl contre Schopenhauer, une pièce de Cédric Roulliat programmée à la Factory jusqu’au 29 juillet.
L’apparente dualité du titre – culture de masse contre monde universitaire– résonne comme un slogan anachronique et intriguant qui révèle en fait une pièce ciselée avec soin, évitant à tout prix les poncifs ou simplifications, et qui propose aux spectateurs de nombreux points d’entrée. Esthétiquement, il s’agit d’un spectacle aux couleurs acidulées et pop – le trio d’acteurs est remarquable – et l’on retrouve sur scène quantité d’objets eighties utilisés à propos, symboles d’une époque révolue, mais tout de même encore influente… – machine à écrire, téléphone fixe cadran, vinyle, radio FM.
Dans ce décor, nous sommes en… 1983. Telle Emma B. revisitée, Edwige a grandi en rêvant au destin radieux des personnages de Comics et de films, aux icônes et aux idoles. Son itinéraire met en valeur le pouvoir et/ou le piège que représentent nos fantasmes : comment les films, la télé, la radio, les BD fabriquent-ils nos projections et impliquent-ils des déceptions en même temps qu’ils déploient nos désirs ? Comment des fantasmes formatés s’immiscent-ils dès le plus jeune âge afin de nous rendre plus dociles, consentant.e.s, voire même, comment nous forment-ils à vouloir ce que le capitalisme impose?
Le métier d’Edwige une fois l’adolescence passée? Traduire les aventures d’Ultra-Girl. On voit d’ailleurs comme, plus jeune, elle revisitait déjà les dialogues des films et émissions de radio qu’elle connaissait par cœur. Cela a largement nourri son imaginaire comme ses attentes – amoureuses, domestiques. Mais comment (sur)vit-on tourmenté par la ritournelle des voix issues de la fiction dans un monde où les universitaires proposent des discours egotique et unilatéraux, dans une société où la consommation et la routine rythment les journées de notre traductrice freelance ubérisée ?
A travers le personnage d’Edwige et de son double héroïque Ultra-Girl, une succession de souvenirs adviennent, mêlés à de nombreux playbacks et dialogues faisant appel à nos expériences communes – d’ados avant l’arrivée d’Internet… La mémorisation était alors fondamentale et ce spectacle est aussi un travail de mémoire, d’archives, de mise en valeur des icônes intemporelles. Les interludes musicaux et paroles « faits maison », très justement assemblés, donnent une véritable valeur ajoutée à ce spectacle choral, dansé, drôle.
Il s’agit en fait d’une invitation à cultiver son inventivité et à ne pas avoir peur de ses originalités. Il est surtout question de célébrer le désir – rappeler l’importance de « retenir son souffle » sans omettre d’exercer l'esprit critique et la prise de distance. On sort de la salle avec l’idée que l’on doit tou.te.s pouvoir être des Ultra-Girl et que ce n’est certainement pas réservé aux femmes… N’est-ce pas une responsabilité commune et intergénérationnelle de faire la part belle aux désirs, à la remise en question perpétuelle, à la créativité ? La suite vous la verrez au Théâtre de L’Oulle.
Hélène Courtel

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Ultra-Girl contre Schopenhauer.
Compagnie De Onze à Trois Heures.
La Factory, Théâtre de L’Oulle
19 Place Crillon, Avignon.
Du 07 au 29 juillet, relâche 10, 17, 24 juillet.