À la suite de mon billet Barrage de Sivens : R comme..., je publie un texte de Jean-Claude Egidio qui apporte sa vision de la situation.
"À l'origine de mon engagement, je fréquentai d'abord le collectif des occupants Tant qu’il y aura des Bouilles, dès l’automne 2013, de même que plusieurs responsables du Testet sachant que les promoteurs du chantier s’apprêtaient à passer en force sans attendre le rendu des recours juridiques. Nous avions dans l'idée que, sans l'action des occupants, ce barrage serait déclaré illégal… une fois achevé comme à Fourogue. Dans un souci d'unité et pour asseoir la cohésion des différents collectifs sur le terrain, j’ai également adhéré au collectif Testet en mars 2014, où je fis partie du cercle restreint du CA. J’avais donc un pied dans l’opposition légaliste et un autre chez les occupants.
Double poste d’observation, parfois inconfortable, certes, mais cependant privilégié.
Hormis le défaut de transparence des décisions prises dans le dos des militants, ainsi qu’une fâcheuse tendance à l’exercice solitaire du pouvoir de son porte-parole, le fonctionnement du collectif Testet me convenait, la qualité de l’engagement de ses militants forçait le respect.
Jusqu’à la mort de Rémi Fraisse.
Nous assistons tous alors à un effondrement de la lutte quasi instantané et, simultanément, à un spectaculaire réarmement des partisans du barrage.
Tous les observateurs se sont interrogés sur cette soudaine inversion du rapport de forces, et les hypothèses sont allées bon train. Pour les uns c’était la faute de militants violents, venus pour en découdre, qui avaient débordé les occupants de la première heure, et rapidement réduit la ZAD à un entre soi autodestructeur (alcool, sectarisme, violence, etc.). Pour d’autres, l’échec provenait de l’incapacité à faire valoir le point de vue de la masse de la population locale opposée au barrage, et à la mobiliser, de sorte que les occupants étaient demeurés seuls face à la coalition des partisans du barrage : union sacrée des politiques de tous bords, forces de l’État menées par un préfet super-malin, syndicats agricoles anti–écolo, avec, en prime, les quelques fachos du coin.
Selon Viguié, l’effondrement de la lutte après la mort de Rémi est dû à un deal entre le pouvoir et le collectif Testet via FNE national, jusqu’alors absent du débat (seul FNE Midi-Pyrénées assurait le service juridique jusque-là).
De quelle façon ? En ajoutant à la demande en annulation des arrêtés de 2013 autorisant le chantier, une demande d’abrogation, le collectif Testet et FNE aménageaient une sortie de crise en douceur pour les responsables, Thierry Carcenac au premier chef. (Pour ma part, j’ai constaté que le collectif Testet non seulement s’était retiré de toute action sur le terrain en synergie avec les occupants dès le lendemain de la mort de Rémi Fraisse, mais qu'il allait jusqu'à dissuader ses adhérents et sympathisants de le faire, conformément aux préconisations de Ségolène Royal selon quoi elle appuierait l'abandon du projet initial de barrage pour autant que la ZAD soit évacuée).
Accueilli avec scepticisme, Viguié multiplie les démonstrations pour expliquer en quoi il est aberrant, contre-productif, et quasi suicidaire pour la suite du mouvement de coupler demande en annulation et demande d’abrogation (pour plus de précisions voir sur son blog les articles traitant du sujet en question).
Dans la même perspective, en novembre 2014, il préconise qu’un référé suspension soit déposé afin de consacrer juridiquement l’illégalité du chantier qui n’est alors suspendu que par le bon vouloir de Carcenac. En effet, le moment paraît propice à Viguié pour arracher une décision de justice favorable aux opposants : le rapport des experts gouvernementaux vient d’être rendu public, la commission européenne épingle la France sur l’opportunité de ce barrage au regard de la loi sur l’eau et, enfin, le pays entier, ému par la mort du jeune manifestant, est attentif au bien-fondé des arguments des opposants. Le collectif Testet refuse d’entendre Viguié.
C’est devant cette fin de non-recevoir, que ce dernier avance l’idée que le Testet et FNE ont fait un deal avec le pouvoir, ceci étant la principale raison de l’affaissement de l’opposition au barrage. Le Testet rétorque en accusant Viguié d’être un diviseur et un défaitiste.
Qui dit vrai ?
Pour en avoir le cœur net, il existe un moyen simple. Il consiste à savoir dans quels termes ont été lancées les attaques juridiques contre les porteurs du barrage et quels arguments ont été invoqués. En plus des requêtes introductives pour faire annuler les arrêtés initiaux d’octobre 2013 qui ont autorisé le chantier, un mémoire complémentaire aurait été déposé en janvier 2015. La divulgation de ces pièces, ne serait-ce qu’en interne, serait de nature à lever le doute quant à l’éventualité d’un arrangement dont la finalité était de sauver Carcenac et de maintenir le département au bénéfice de la majorité.
En tant que membre du collectif Testet, je demande à voir les pièces en question à partir de janvier 2015. À ma grande surprise, il m’est répondu que cela n’allait pas être possible.
J’insiste : j’estime que l’avocate censée défendre notre cause doit être en mesure de présenter son travail auprès des membres de ce collectif, d’autant que le dossier ne relève pas du pénal mais du droit administratif et que, de ce fait, nos adversaires, les porteurs du barrage (CACG, conseil général, préfecture) sont eux-mêmes en possession de ces pièces. Quoi de plus normal que les opposants à ce barrage, a fortiori membres du collectif Testet, en aient connaissance ? Plusieurs adhérents du Testet relaient ma demande, soit oralement soit par courrier. Certains le font par lettre recommandée. Rien n’y fait. Les documents propres à lever la suspicion, à ressouder le mouvement fissuré, à relancer une dynamique unitaire, ces documents restent secrets.
Qui divise ? Ceux qui demandent à lever les zones d’ombre, ou ceux qui s’obstinent à cacher ce qui a vocation à être partagé ? Ces questions en appellent une autre : la divulgation des documents en question ne donnerait-elle pas raison à Bernard Viguié ?
Le tout jeune comité Sivens qui attaque aujourd’hui les responsables de la destruction de la Métairie Neuve – le préfet Gentilhomme, le président du conseil départemental Thierry Carcenac, la maire de Lisle-sur-Tarn Maryline Lherm – a été créé dans ce contexte où le combat juridique mené par ceux qui en ont eu le monopole jusqu’à présent sont incapables de donner la preuve simple selon laquelle ils sont au-dessus de tout soupçon."
Jean-Claude Egidio