La phrase a fait grand bruit en début de semaine, le président français lâche :
« Le colonel Beltrame est mort parce que la France, ce sont des idées, des valeurs, quelque chose d’une guerre qui le dépasse. Les gens qui pensent que la France, c’est une espèce de syndic de copropriété où il faudrait défendre un modèle social qui ne sale plus (…) » et où l’« on invoque la tragédie dès qu’il faut réformer ceci ou cela, et qui pensent que le summum de la lutte c’est les 50 euros d’APL, ces gens-là ne savent pas ce que c’est que l’histoire de notre pays [...] L’histoire de notre pays, c’est une histoire d’absolu, c’est un amour de la liberté au-delà de tout, c’est une volonté de l’égalité réelle »
(extrait d'un documentaire de France 3 et relaté par Le Monde).
Elle a été reprise dans tous les média et suscitée nombre de réactions dans la classe politique. Ce qui aurait été - il y a quelques années - qualifié de "bourde" est tout à fait calculé. Le message s'adresse à trois types d'individus.
Tout d'abord, il galvanise le noyau dur de son électorat en enfonçant une porte ouverte par les précédents gouvernements que l'on pourrait résumer ainsi : "si la France va mal, c'est à cause des syndicats et des grévistes qui bloquent le pays et les réformes dans l'unique but de préserver leurs privilèges". Il se donne ainsi l'image d'un président qui applique son agenda libéral sans concession, sans céder aux intimidations, qui fait ce qu'il dit. Cette image est importante pour rester le champion de cet électorat du centre, électorat très influent car il est fortement représenté dans les classes aisées et dirigeantes du pays. Et quoi de mieux qu'une confrontation victorieuse contre de furieux grévistes pour renforcer cette image ?
A l'opposé, cette phrase simplificatrice est une provocation envers ses plus vifs opposants, avec l'objectif de susciter des réactions à gauche comme à droite. Ces réactions créent un buzz qui étend la portée de son message et qui focalisent le débat sur ses opposants les plus "extrêmes".
Enfin, il reste tous les autres français, les "indécis", ou en tout cas les personnes dont le vote peut évoluer. L'image négative d'arrogance et de mépris renvoyée était auparavant rédhibitoire pour les hommes et femmes politiques, ce qui a fait le lit du "politiquement correct". Même s'ils n'en pensaient pas moins, les discours étaient toujours policés et respectueux dans leur forme, parfois au détriment d'un sens difficile à saisir. Cette forme de langage n'est plus du tout adapté aux réseaux sociaux qui valorisent les formules courtes et les messages simples. L'imagine négative est atténuée par le brouhaha médiatique et pèse finalement moins que la diffusion du message en lui-même. Même s'il choque, le message atteint le corps intermédiaire de l'électorat... et les opposants devront eux-même faire appels à des formules chocs et d'autres messages simples pour le contrer.
Dans le cas d'Emmanuel Macron, le calcul est certainement le suivant : rester le champion du libéralisme, occuper le centre de l'échiquier politique, et parier sur les fait que les extrêmes (de son point de vue) à droite comme à gauche resteront un repoussoir pour une majorité de français.
Ce type d'opération fait appel aux mêmes techniques de communication que le président Donald Trump, la vulgarité en moins. Son homologue américain s'adresse lui à un noyau dur qui est à l'extrême droite et issu de classes populaires, avec un procédé similaire pousser à l'extrême : galvaniser un noyau dur convaincu qui prêchera la bonne parole et attiser des oppositions repoussoires pour une majorité de l'électorat. D'ailleurs, à quelques jours d'intervalle, Donald Trump récupère l'émotion des attentas du 13 novembre à Paris pour justifier la libre circulation des armes à feu auprès de la NRA "Ça aurait été une toute autre histoire" (cf http://www.france24.com/fr/20180505-convention-nra-trump-reecrit-histoire-tuerie-bataclan-armes-national-rifle-association)... ce qui provoque de vive réactions en France notamment au quai d'Orsay. Pour la forme, car peu importe ce message ne s'adressait pas aux français.
Je ne prétends pas avoir la solution pour contrer ce type de discours, mais il faut probablement et inlassablement les déconstruire et refuser la simplification des débats politiques :
- le colonel Beltrame n'a rien à voir avec les mouvements sociaux, la juxtaposition de celui dont la mort est devenue un mythe ne sert qu'à provoquer une émotion
- le message sous-jacent est anti-démocratique : au nom des "valeurs" de la France il serait de mauvais ton d'exprimer ses désaccords
- le terme "dès qu'il faut réformer" ferme tout débat, puisqu'il sous-entend qu'un seul type de réforme est possible, qu'il n'existe qu'une seule voie celle du libéralisme
- les syndicat, les grévistes et les opposants ne défendent pas uniquement leurs intérêts, mais justement une autre vision de l'"égalité" par d'autres moyens que l'"histoire du pays" et l'"amour de la liberté"
- etc...
Et bien entendu, Macron n'est qu'un exemple parmi tant d'autres...