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Billet de blog 12 juin 2024

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L'écolo-bobo, nouvel épouvantail de l'extrême droite

Le terme "écolo-bobo" est une invective à la mode, employé à tout va pour dénigrer un opposant, qui laisse souvent indifférent tant il est difficile de s'y identifier. C'est pourtant une caricature délétère, marque d'une offensive idéologique calculée que nous devrions apprendre à désamorcer. Exégèse d'une petite diatribe caractéristique.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le terme "bobo" est une abréviation de "bourgeois-bohème", il décrivait à l'origine une catégorie socioprofessionnelle dont des valeurs et modes de vie mélangeaient des éléments de la culture bourgeoise et de la culture bohème. Popularisé par le journaliste américain David Brooks, dans son livre Bobos in Paradise: The New Upper Class and How They Got There, il y voyait une mutation positive des yuppies des années 1980 (les jeunes ambitieux cyniques, amoraux, matérialistes et obsédés par l'argent et la réussite) par une hybridation avec les valeurs bohèmes de la contre-culture des années 1960-1970... Puis l'usage du "bobo" a évolué de manière péjorative pour dénoncer leur supposée hypocrisie et leur manque d'authenticité, jusqu'à ce qu'on lui a adjoigne le terme "écolo" pour l'ancrer à gauche.

De plus en plus présent dans les discours, ce terme d'écolo-bobo est une tarte à la crème, un moyen de dénigrer, pour ne pas dire insulter, son opposant idéologique. Le qualificatif est très vague, employé à toutes les sauces, il ne correspond plus à aucune réalité sociologique. Sylvie Tissot nous explique dans cet article sur Reporterre qu'"Au fond, son utilisation en dit plus sur ceux qui l’utilisent que sur les groupes qu’il est censé désigner".

Pourtant ne nous y trompons pas, l'émergence de l'expression n'a rien d'une génération spontanée lors d'une palabre de comptoir. Les mouvements de droite, et surtout d'extrême droite, cultivent cette figure imaginaire à des fins idéologiques et politiques. Au détour de recherches sur le sujet, j'ai trouvé par hasard un court pamphlet qui me semble un parfait résumé de la chose. Je ne l'avais jamais lu auparavant et pourtant son argumentaire est très familier. Il date de juin 2019 mais reste d'une actualité criante.
        
Je retranscris ci-dessous le texte dans son intégralité avant de le commenter.

Verbatim
Ecolos-bobos… les nouveaux Tartuffe !

L’écologisme est devenu la nouvelle religion avec ses grands prêtres et ses dévots. De plus en plus répandue parmi notre « élite », elle est une pratique sectaire qui joue sur les peurs en instrumentalisant le moindre phénomène météorologique ou le moindre aléa climatique. On dramatise, on projette à n+50 et on légifère. Gare, alors, aux contrevenants, car dans ce domaine, la répression est féroce. Sous un vernis de grande cause, l’écologisme radical est un totalitarisme qui avance masqué.

Parmi les scientifiques dissidents et les spécialistes, la moindre hypothèse hétérodoxe déclenche les anathèmes et les condamnations. Sur les plateaux de télévision, les déviants sont livrés à la vindicte comme au temps des pires répressions. Les portes claquent. On ne débat pas avec ces gens-là !

L’écolo-bobo tendance pastèque, vert à l’extérieur et rouge à l’intérieur, s'inquiète de l'équilibre global de la planète et de son climat. Il pointe du doigt le rôle prédateur de l’homme sur la biodiversité. Antinucléaire avéré ou militant du cannabis sans frontières, il se targue d'une vision à long terme sur l’avenir de la planète. En soutenant la construction de champs éoliens sur terre et sur mer, il se dit soucieux des générations futures, alors que l’exemple allemand dément catégoriquement l’efficacité de cette politique. Ce grand brassage de vent n’en est pas à une contradiction près et s’accommode très aisément de moultes incohérences.

Car leur duplicité dépasse largement le cadre de l'écologie. L’écolo-bobo prône la mondialisation et le métissage… tant qu'il est majoritaire dans son quartier. Il donne des leçons de partage et de tolérance alors qu’il a fait le vide autour de lui et ne se soucie que de son petit univers. Il est un fervent promoteur du mondialisme alors qu’il est avéré que la circulation anarchique des biens et des personnes est aujourd’hui l’une des causes de pollution les plus objectives.

Son arrogance n’a d’égale que la surface de son appartement parisien. Car l’écolo-bobo nomade et indéterminé, sans sexe ni origine, sans patrie ni religion, ne tait rien de son aisance financière. Il s’accroche à son 4x4 Mercedes et part en vacances aux Seychelles, en consommant deux fois plus de kérosène qu’un automobiliste moyen pendant toute l'année. L’écolo-bobo clame partout qu'il est écolo et promeut une image de la campagne qui n’existe pas ou plus. Il achète, d’ailleurs, une longère en province et se plaint du bruit des cloches. Il prétend être un zélé défenseur de la nature et de sa diversité mais ne supporte ni le chant du coq, ni l’odeur du fumier et s’en va le faire savoir. Pour se faire pardonner de respirer, à défaut de se suicider, il explique éviter de se reproduire.

« Mais Tartuffe, il y a ici des gens qui travaillent et aimeraient pouvoir continuer à en vivre ! Durs au mal et taiseux, ils n’ont que faire de ta journée sans viande, de tes problèmes de trottinettes et de circulation alternée. Ils savent bien que pour avoir un veau, il faut un mâle et une femelle. Ils n’ignorent rien du rythme des saisons ni des secrets d’une alimentation équilibrée. Ils ont appris à respecter la nature et à ne pas se croire plus malins que les autres… Alors, passe ton chemin ! » 

Loup Mautin - Agriculteur    

Ce texte est publié sur Boulevard Voltaire un site d'information affilié à l'extrême droite. 

J'ai décider de ne pas passer mon chemin et donc d'argumenter...

Décrédibiliser et rabaisser 

La première technique, très classique dans un discours politique, est de dénigrer l'adversaire pour le rabaisser. C'est le rôle des premières lignes : une "religion", "sectraire" (donc irrationnelle), un fait de l'"élite" (donc contre le peuple), qui "instrumentalise", etc... L'auteur nous parle d'une "pratique" et n'utilise jamais le terme"politique", sous-entendant un manque de sérieux, une personne indigne du débat.

La figure du méchant : l'élite contre le peuple

Une constante des mouvements à visée autoritaire est de désigner un ennemi, un bouc émissaire, qui puisse de préférence être rassembleur. 

Le portait robot de l'écolo-bobo est un florilège des pires défauts : riche ("son aisance financière"), communiste ("tendance pastèque, vert à l’extérieur et rouge à l’intérieur"), drogué ("militant du cannabis sans frontières"), citadin ("son appartement parisien", "ne supporte ni le chant du coq, ni l’odeur du fumier"), envahissant ("Il achète, d’ailleurs, une longère en province"), vaniteux ("son 4x4 Mercedes"), méprisant ("son arrogance"), menteur ("il joue sur les peurs"), moralisateur ("Il donne des leçons"), et hypocrite ("Tartufe", "consommant deux fois plus de kérosène qu’un automobiliste moyen"). 

On cherche ici à nous conduire vers une nouvelle polarisation de la politique entre une "élite" dont l'écolo-bobo serait l'archétype et le peuple (bipolarisation que les représentants de l'autre camp désigneront comme "progressistes" contre "réactionnaires").

Enfin, en plus de tous ces défauts, l'écolo-bobo, est "incohérent". Rien d'étonnant quand le portrait robot amalgame des valeurs qui vont des libéraux macronistes, à la gauche radicale, en passant par les écologistes décroissants ! Celui qui voudrait appliquer à la lettre les programmes politiques de tous ces mouvements ne manquerait effectivement pas d'incohérences, mais ce personnage n'est qu'un fantasme.

La marque d'une idéologie conservatrice 

En creux de cette caricature de l'écolo-bobo, et par opposition, se dessine une idéologique conservatrice et nationaliste.

Commençons par la ligne écologique, puisque le mot "écolo" fait partie du titre.

L'auteur parle d'une "hypothèse hétérodoxe" bafouée, référence probable aux débats sur le réchauffement climatique. Assez déroutant, car s'il est bien un sujet sur lequel la parole a été laissée à des pensées "hétérodoxes" c'est celui-ci. Depuis 50 ans, nous connaissons presque tout du changement climatique, mais l'explication des scientifiques a toujours été exprimée avec le doute méthodologique. Les médias traditionnels, au non de la diversité ont longtemps mis en balance des interlocuteurs mettant en doute les arguments scientifiques (repensons à Claude Allègre). Dans les premières années, la réalisé d'un réchauffement climatique global a été questionnée, par la suite la responsabilité humaine de ce réchauffement a été mise en doute, et enfin les effets de ce réchauffement ont été relativisés. Alors que ces trois éléments sont prouvés scientifiquement, qu'un consensus scientifique et rationnel n'a jamais été aussi fort, nous aurions pu imaginer que le débat ne porterait plus que sur la façon d'y remédier. Pourtant le climato-scepticisme revient en force, avec une stratégie très basique, comme ici : dénoncer une supposée chasse aux sorcières, plutôt que d'avancer des arguments de fond, versant ainsi dans le complotisme.

Par ailleurs et sans lien avec le climato-scepticisme précédent, l'auteur défend que "la circulation anarchique des biens et des personnes est aujourd’hui l’une des causes de pollution les plus objectives", là où les impératifs écologiques - réduire la pollution liée aux transports - croisent l'idéologique nationaliste - fermer les frontières à l'immigration et protectionnisme.

En pointillés on devine aussi des accroches catholiques (critique de l'écolo-bobo "sans religion", qui "évite de se reproduire"), nationalistes ("sans patrie ni religion" et "fervent promoteur du mondialisme") et conservatrices (critique du "militant du cannabis sans frontières" et "sans sexe", appel au bon sens paysan "ils savent bien que pour avoir un veau, il faut un mâle et une femelle" pour sauver l'environnement).
     
Le portrait du gentil esquissé par opposition au méchant écolo-bobo, est "dur au mal et taiseux", ce qui nous rappelle le culte du chef et la culture autoritariste de ce mouvement de pensée. Le gentil travaille et se tait.
       
L'idéologie n'est jamais affichée explicitement et c'est bien elle qui "avance masquée" (et non un soi-disant "totalitarisme" écologique). La meilleure illustration en est la signature du pamphlet : "Loup Matin - Agriculteur". Or cette personne est aussi un membre actif du Rassemblement National : porte parole dans l'Orne (en 2015) et candidat malheureux aux municipales de Saint-Langis-lès-Mortagne en 2020 sous cette même étiquette. Ces activités sont plus signifiantes pour un texte politique que sa profession d'agriculteur...

La répétition plutôt que l'argumentation

L'auteur critique un supposé "écologisme radical", jusqu'à le qualifier de "totalitarisme". 

Le procédé passe ici par des affirmations sans aucune nuance, sans aucun exposé factuel, sans argumentation. Et pour cause, ce sont de purs mensonges ou au mieux des fantasmes de l'auteur. L'objectif est bien sûr qu'à force de répétions ces affirmations deviennent des lieux communs, quelque chose que beaucoup finissent par accepter comme une évidence sans la mettre en doute.

On est en droit de se demander à quelle "répression féroce" l'auteur pense en écrivant ces lignes. Il fait écho à la notion polémique d'"écologie punitive", bien que les mesure écologiques soient à ce jour très peu nombreuses et très peu contraignantes. Sauf à l'amalgamer à l'inflation réglementaire des sociétés occidentales mais qui n'est à mon sens pas plus liée à l'écologie qu'aux autres domaines, Sauf à considérer quelques cas très locaux dont le plus emblématique est la limitation de la circulation automobile dans les centres-villes, qui sont davantage des mesures de confort urbain avec un prétexte écologique.   

Et pourtant ce discours est répété à foison, sur les chaînes du groupe Bolloré, sur les réseaux sociaux, dans les conversations de tout à chacun, et commence à infuser les médias traditionnels. Doucement, à force de répétition, ils devient un lieu commun que certains ne questionne même plus.

Un propos violent

Enfin, ne sous-estimons pas la violence de ce genre de propos. Une violence, à laquelle malheureusement nous nous habituons, qui n'est que verbale, mais ad hominem contre la figure fantasmée de l'écolo-bobo,  très marquée (accusation de "totalitarisme") et sans appel ("passe ton chemin").

N'oublions pas que la violence verbale précède souvent d'autres formes de violence. 

Comment contrer ces discours 

Il est important de désarmer ces récriminations, à la fois car elles favorisent l'immobilisme en terme d'écologie, et parce qu'elles procèdent d'une stratégie calculée antidémocratique.

Le populisme a toujours fonctionné par l'identification d'un bouc émissaire, d'une cible vers laquelle canaliser les colères. Sans s'aventurer dans des prévisions catastrophistes hasardeuses, l'écolo-bobo est le prototype parfait de la cible honnie d'un régime autoritaire, une accusation qui pourra être portée verbalement ou pénalement contre n'importe quel opposant.

Je ne prétends pas apporter ici de solution miracle, mais je reste persuadé que la vindicte frontale est vaine, qu'on ne peut désamorcer de tels discours en utilisant les même techniques, le même bashing qui ne ferait que renforcer la caricature et la confrontation de deux camps irréconciliables.

Alors comment répondre ? 

Un moyen est peut-être, tel un Socrate bienveillant, de poser des questions sur les faits. Et toi, en connais-tu des écolos-bobos ? Un tel il est vraiment bobo, mais est-il écolo ? Et les zadistes, ils voyagent aux Seychelles et roulent en Mercedes ? Et moi me considères-tu comme un écolo-bobo ? La difficulté d'identifier des écolo-bobo pourtant omniprésents dans les discours, peut être l'occasion d'expliquer qu'ils n'existent pas mais qu'on y mélange tout et son contraire, que c'est un moyen de dénigrer les "autres" pour certains groupes politiques.

Une autre approche, mais qui demande davantage de temps, et uniquement si l'interlocuteur ne vers pas dans le climato-scepticisme complotiste, est de discuter sur le fond de l'écologique. Et toi, que ferais-tu pour lutter contre le réchauffement climatique ? Il ne faudrait forcer personne, mais cela fait 40 ans que l'on ne force pas et les tendances ne s'inversent pas. Les chinois et les indiens polluent davantage mais comment les contraindre si nous ne montrons pas un peu l'exemple ? Eduquer sur l'écologie c'est bien, mais on ne fait que ça depuis des décennies, et on se plaint ensuite des postures morales. Accepter de polluer maintenant pour développer des technologies miracles, n'est-ce pas là une croyance peu rationnelle et très risquée ? L'équation est extrêmement complexe, alors cessons peut-être de tirer sur le messager écolo et analysons la situation calmement...

Ces quelques conseils paraîtront certainement naïfs et dérisoires tant il est compliqué de répondre aux "tartes à la crème" dans un monde qui ne fait que s'accélérer, qui ne nous laisse plus le temps de parler, ni même de réfléchir. Je ne vois pourtant d'autre solution qu'une approche calme et rationnelle pour sortir de l'impasse dans laquelle nous nous engageons. Si d'autres ont des techniques éprouvées ou de simples idées pour désamorcer le bashing de l'écolo-bobo, n'hésitez pas à les partager.

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