
Verisheh (Jwana) Moradi, prisonnière kurde accusée de baghi (insurrection armée) et risquant une condamnation à mort par le tribunal révolutionnaire, a écrit une lettre depuis la prison d’Evin, adressée à la “communauté libre et aux organisations internationales”. Dans cette lettre, elle a déclaré :
“Pour que les campagnes mondiales contre la peine de mort, initiées par des groupes, institutions et organisations internationales visant à arrêter les exécutions, portent leurs fruits et pour affirmer une position claire et directe, je poursuivrai ma grève de la faim illimitée.”
Elle avait déjà déclaré, à l’occasion de la Journée mondiale contre la peine de mort, qu’elle entamerait une grève de la faim. Dans cette nouvelle lettre, dont la traduction est présentée ici, Verisheh Moradi évoque les récents bouleversements régionaux, affirmant que les principales victimes des guerres et des conflits sont les femmes et les enfants. Elle met en garde contre une répétition des événements tragiques des années 1980, lorsque de nombreux prisonniers politiques ont été exécutés. Elle écrit :
“Dans la guerre des puissances rivales dans la région, ce sont la société, et surtout les femmes et les enfants, qui en sont les victimes. Soit leur dignité est bafouée, soit ils sont contraints de quitter leur terre natale, soit encore ils sont enrôlés au service des maîtres de cette guerre. Ce qui est crucial dans ce contexte, c’est de comprendre que l’aggravation des problèmes internes, ainsi que la répression des forces en quête de liberté au sein des sociétés, se déroulent parallèlement aux guerres transfrontalières. En d’autres termes, ces deux réalités sont étroitement liées. Il s’agit là d’une sinistre équation dans la région, et le régime iranien ne fait pas exception à cette règle. Bien au contraire, il emprunte le même chemin qu’il suivait dans les années 1980, où, en même temps que la guerre à l’extérieur de ses frontières, il menait des massacres dans les prisons et réprimait les militants en quête de liberté. Il est impératif qu’aujourd’hui, alors que cette période évoque tragiquement les mêmes routes empruntées durant les années 1980, nous ne permettions pas à l’histoire de se répéter !”.
Verisheh Moradi (Jwana Sanah), membre de la Communauté Libre des Femmes du Kurdistan oriental, a été arrêtée en août 2023 par les forces de sécurité. Elle a été détenue pendant une longue période dans un lieu inconnu, sans aucun contact avec sa famille ni accès à un avocat de son choix. Le tribunal révolutionnaire de Téhéran, sous la présidence d’Abolqassem Salavati, l’un des juges les plus tristement célèbres de la République islamique, a accusé Moradi de baghi (insurrection armée). La deuxième audience de son procès a eu lieu dans la première moitié d’octobre 2024. Selon le Réseau des Droits de l’Homme du Kurdistan, le juge a refusé à Moradi le droit de se défendre au tribunal.
Lisez la traduction complète de la lettre ci-dessous :
À la communauté internationale et aux institutions de la société civile,
Le feu de la guerre a embrasé tout le Moyen-Orient, un feu qui, depuis des décennies, traverse les différentes régions de cette terre ancienne, asphyxiant les sociétés dans le but d’imposer un ordre soi-disant nouveau, et chaque fois, brûlant une part de cette belle vitalité humaine. Les politiques néolibérales du système capitaliste mondial, visant à renforcer leur domination au Moyen-Orient, alliées à l’avidité des pouvoirs traditionnels régionaux, ont contribué à rendre cette guerre plus visible et brutale que jamais. D’un côté, l’Occident cherche à redessiner les contours du Moyen-Orient, non par la paix, mais par la guerre. Bien que ses stratégies, fondées sur l’homogénéisation et la destruction de l’histoire et de la culture locales, aient échoué, il persiste néanmoins. De l’autre côté, les régimes conservateurs de la région, en intensifiant le nationalisme et le religieux, attisent les flammes de cette guerre. Ces conflits, avec leurs répercussions multiples, exacerbent les attaques et les agressions, menaçant de faire monter un fascisme croissant dans la région.
Il est évident que cette guerre se poursuivra et engloutira une partie importante de la région. Au milieu de ces défis et de ces conflits, la République islamique, qui autrefois poursuivait la création d’un croissant chiite, parle désormais d’une “OTAN arabe” et de l’unité de la Oumma. Le récent ballet diplomatique vers les pays arabes en témoigne. Alors que ces contradictions, ces défis et ces rivalités ne feront que conduire à une nouvelle scène de destruction au Moyen-Orient, les peuples et les femmes, qui ont été les premières victimes des régimes autoritaires de la région, se retrouvent maintenant également confrontés aux ravages de cette guerre.
En un mot, bien que le système capitaliste tente de minimaliser et de contrôler les États-nations de la région, cela ne signifie en aucun cas un soutien aux peuples, et en particulier aux femmes. Dans la guerre des puissances rivales dans la région, ce sont la société, et surtout les femmes et les enfants, qui en sont les victimes. Soit leur dignité est bafouée, soit ils sont contraints de quitter leur terre natale, soit encore ils sont enrôlés au service des maîtres de cette guerre. Ce qui est crucial dans ce contexte, c’est de comprendre que l’aggravation des problèmes internes, ainsi que la répression des forces en quête de liberté au sein des sociétés, se déroulent parallèlement aux guerres transfrontalières. En d’autres termes, ces deux réalités sont étroitement liées. Il s’agit là d’une sinistre équation dans la région, et le régime iranien ne fait pas exception à cette règle. Bien au contraire, il emprunte le même chemin qu’il suivait dans les années 1980, où, en même temps que la guerre à l’extérieur de ses frontières, il menait des massacres dans les prisons et réprimait les militants en quête de liberté. Il est impératif qu’aujourd’hui, alors que cette période évoque tragiquement les mêmes routes empruntées durant les années 1980, nous ne permettions pas à l’histoire de se répéter !
Au cours des dernières années, le régime de la République islamique a tenté de faire croire qu’il était la seule île de tranquillité au milieu de ses voisins tourmentés, et que le tourbillon et la tempête du Moyen-Orient ne l’atteindraient pas. Pourtant, nous avons vu comment ses politiques internes et externes ont échoué. À l’intérieur, la situation devient de plus en plus insupportable pour ce régime totalitaire, et s’il ne prête pas attention aux dernières occasions de se détourner de la tyrannie, il est certain qu’il sera emporté par une tempête après avoir semé le vent. Et ce, alors que nous n’observons aucun signe de recul ou d’amélioration. La situation économique, politique, sociale et psychologique devient chaque jour plus difficile, et les droits humains en Iran se dégradent de plus en plus. Depuis le début de cette année, le nombre d’exécutions a atteint 531 personnes. L’année dernière, 811 personnes ont été exécutées, et les statistiques montrent une augmentation de 35 % des exécutions de femmes par rapport à l’année précédente. Ces chiffres révèlent que non seulement le régime n’a aucun plan pour améliorer la situation actuelle de la société, mais qu’en adoptant des politiques négationnistes et en éliminant ceux qu’il désigne comme « autres », il conduit la société à sa destruction. Bien que cela soit évident, il est nécessaire de rappeler sans cesse cette amère réalité au monde. Une partie de la lutte contre cette situation, et contre ce régime tyrannique, incombe à nous, les prisonniers, tout comme à l’ensemble des citoyens.
En tant que personne engagée pour transformer la société et donner un sens plus profond à la vie, et me considérant solidaire et unie aux femmes et à toutes les personnes opprimées, les décisions que je prends et les actions que j’entreprends visent à dénoncer la situation actuelle et à affirmer une position claire contre les oppressions imposées aux partisans de la liberté, et non à satisfaire des revendications personnelles. Le début de ma grève de la faim illimitée, lancée à l’occasion de la Journée mondiale contre la peine de mort, s’inscrit dans cette démarche. Si vous vous opposez aux massacres causés par la guerre et criez “Non à la guerre”, il vous faut également reconnaître les exécutions et massacres intérieurs qui ont lieu quotidiennement sous le couvert de l’islam politique. Ne laissez pas les guerres transfrontalières occulter la répression intérieure de la société. Mon action de grève de la faim s’inscrit dans cette lutte. Nous ne permettrons pas que la voix des militants courageux qui se dressent en Iran soit étouffée par le tumulte des guerres et des aventures sans issue. C’est dans ce but que je déclare poursuivre ma grève de la faim illimitée, afin que les campagnes mondiales contre la peine de mort, menées par des groupes, des institutions et des organisations internationales visant à stopper les exécutions, portent leurs fruits et que leurs positions claires et décisives soient entendues.
Verisheh Moradi, Mehr 1403, prison d'Evin
Traduction : Hengameh Hoveyda