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Billet de blog 16 janvier 2023

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DAME NATURE

Dame Nature n’est plus du tout ce qu’elle était dans les temps passés même si elle continue d’inspirer une certaine poésie. On sait que la nature n’est qu’une représentation culturelle, un produit du savoir et de l’imagination des êtres humains. Et pour éviter toute tentation de métaphysique, on préfère, dans l’esprit des écologistes, lui substituer le principe de « la dynamique du vivant ».

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DAME NATURE

Dame Nature n’est plus du tout ce qu’elle était dans les temps passés même si elle continue d’inspirer une certaine poésie. On sait que la nature n’est qu’une représentation culturelle, donc un produit du savoir et de l’imagination des êtres humains. Et pour éviter toute tentation de métaphysique, on préfère, dans l’esprit des écologistes, lui substituer le principe de « la dynamique du vivant » qui répond aux exigences d’une rigueur scientifique. Ce qui est reproché à l’idée – voire l’illusion – de nature, c’est pratiquement l’usage qu’on en fait (dans le discours politique) pour ne rien faire, puisque la nature est aussi le destin des hommes comme on dit. Dès lors qu’elle est supposée accomplir ses propres desseins (et que bien des gens dans les temps passés ont toujours cru qu’elle finissait par « faire bien les choses »), on pouvait estimer qu’elle était entre de « bonnes mains » puisque c’était les siennes.

Tout a changé :  en devenant l’unique responsabilité des êtres humains, le destin de la nature entre dans un processus de gestion complexe dont la nécessité est prouvée chaque jour par des catastrophes. La figuration de la catastrophe comme objet premier de conjuration du dérèglement climatique instaure un décor qui rend ostensible les actions « pour éviter le pire ». Sur l’écran de la télévision est ainsi présentée la disparition du littoral dans certaines régions du monde. On assiste en quelque sorte à des scènes de désastre qui entretiennent la présence d’une menace permanente et grandissante. Pareille « atmosphère de catastrophe » ne cesse de légitimer tout ce qui est fait pour « protéger la nature ».

Autrefois traitée comme une divinité ou la Mère nourricière, la nature a le plus souvent inspiré les idées que les êtres humains semblent entretenir de l’harmonie et de la beauté du monde. Pourtant elle se présente aussi comme un véritable champ de bataille de la « guerre de tous contre tous » et se révèle tel un état perpétuel de destruction et de reconstruction. Dans sa nouvelle intitulée « douce nuit », Dino Buzatti décrit comment dans un jardin, « tout était poésie et divine tranquillité », alors que « la kermesse de la mort avait commencé au crépuscule » et que « maintenant elle était au paroxysme de la frénésie. » L’allégorie de la pacification qu’on prête à la nature n’est qu’un vieux leurre utile à une esthétique naturaliste rendue nécessaire pour la survie. Les catastrophes écologiques, si elles incitent à élaborer des stratégies d’anticipation pour éviter le pire, impliquent bien que le « devenir de la nature » soit pris en charge par les êtres humains. La gestion des risques écologiques a entraîné un changement radical dans les représentations communes de « dame nature » mais aussi une métamorphose conceptuelle : si le destin de la nature est « entre les mains des êtres humains », sa sérénité apparente n’est plus qu’une chimère de poète attardé. Le défi change de sens : c’est aux êtres humains de façonner, autant que faire se peut, son destin.  

Pourtant la nature elle-même nous offre une figuration du temps cyclique grâce aux signes de la réapparition des saisons. Ainsi en est-il de l’attente des hirondelles au début du printemps… On dit : « je regarde pousser l’herbe », on devrait dire : « je regarde l’herbe avoir poussé ». Il nous est en effet impossible de voir l’herbe en train de pousser, le temps de son évolution échappe à notre vision. Les changements de la nature que nous constatons se présentent comme des faits accomplis, les infimes mouvements qu’ils supposent, nous les déduisons de ce que nous voyons d’elle ou nous les pressentons telles des évidences de sa morphogenèse. La nature joue à cache-cache avec notre regard en nous invitant à entrer dans le rythme de sa métamorphose sans nous délivrer tous ses secrets.

Toute approche de la nature nous oblige désormais à pratiquer une coupure épistémologique – une distinction radicale entre une optimisation perpétuelle des risques fondée sur la reconnaissance de la « dynamique du vivant » et une appréhension philosophique et poétique des déterminismes de son destin. Si les perspectives de l’écologie sont devenues des impératifs pour le devenir de la Planète, dans quelle mesure peuvent-elles se concilier avec des « résidus d’anthropomorphisme culturel » propres à toute relation poétique avec la nature ? Il semble que dans le cadre réflexif – ou épistémologique -, d’une « dynamique du vivant » cette dimension de la poièsis persiste sous d’autres formes qui n’excluent pas – mais comment le pourraient-elles ? – des rémanences de l’anthropomorphisme.

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