Mettre une réforme des retraites en tête de l’agenda cette année est malvenu : le système des retraites a été excédentaire de 3 milliards en 2022, son évolution est contrôlée ; des questions comme la situation des services publics, la réindustrialisation et la transition écologique sont autrement plus cruciales. Cependant, l’oligarchie financière est persuadée que les prestations retraite sont trop coûteuses. Son objectif est de rendre la France plus compétitive, ce qui nécessite de réduire les dépenses publiques pour pouvoir baisser les impôts sur les entreprises.
Compte tenu de l’évolution démographique (départ à la retraite des baby-boomers, allongement de la durée de vie), le ratio (plus 62 ans/21-61 ans) augmenterait de 0,490 en 2022 à 0,659 en 2050, soit de 34 % (après avoir augmenté de 44% depuis 2000). Cela nécessiterait, toutes choses égales par ailleurs, une forte hausse des dépenses de retraites. La question n’est pas celle du déficit, mais du choix social qu’il faut faire entre taux de cotisation, niveau des retraites et âge de départ ; l’oligarchie financière ayant choisi la baisse des retraites et le report de l’âge de départ
Un système satisfaisant
Le système de retraite doit assurer que les actifs bénéficient d’un niveau de vie à la retraite équivalent à celui des personnes en activité, cela à partir d’un âge socialement déterminé, permettant de travailler jusqu’à la retraite puis de bénéficier d’une longue période de retraite en bonne santé. Le système français est relativement satisfaisant. Les actifs n’ont pas à épargner pour leur retraite, à se préoccuper de l’évolution des marchés financiers. L’âge de la retraite, en principe de 62 ans, est plus bas pour ceux qui ont commencé à travailler jeune et, en fait, plus élevé pour ceux qui ont commencé à travailler plus tard, ce qui compense en partie les différences d’espérances de vie selon la carrière. Toutefois, la prise en compte de la durée de cotisation nuit aux femmes qui ont eu des carrières hachées et risque de nuire à l’avenir aux jeunes qui ont eu des difficultés à trouver un emploi. Le système assure à peu près la parité de niveau de vie entre les actifs et les retraités ; le taux de pauvreté des retraités est nettement plus faible que celui de l’ensemble de la population ; le taux de remplacement est plus élevé pour les bas que pour les hauts salaires.
Jusqu’à présent, malgré les réformes successives, le niveau de vie relatif des retraités a été préservé, les femmes ayant eu, de plus en plus, une carrière complète, mais, depuis 2015, le ratio entre pensions et salaires se dégrade tandis que le taux de pauvreté des retraités augmente. Ces sept dernières années, les retraités ont subi une baisse de 8,6% de leur pouvoir d’achat en raison de la hausse de la CSG (finançant une baisse des cotisations salariés) et de la sous-indexation des pensions.
Un déficit hypothétique, mais une forte baisse des pensions
Le COR se livre chaque année à un exercice hors-sol, une projection du système des retraites à règles inchangées, ne tenant pas compte des modifications de l’emploi et des contraintes écologiques. En raison des réformes passées et du retard à l’accession au premier emploi, l’âge moyen du départ à la retraite passerait de 62,4 en 2021 à 63,8 ans à partir de 2036. Dans l’hypothèse centrale (hausse de 1% l’an de la productivité du travail, taux de chômage à 7%), les dépenses de retraites, 13,8% du PIB en 2021, augmenterait jusqu’à 14,5% en 2032, avant de diminuer à 14,1% en 2050.
En 2050, année de déficit maximum pour le secteur privé, le régime général, aurait un déficit de 0,8 point de PIB, la CNRACL aurait un déficit de 0,3 point, les autres régimes du secteur public auraient un excédent de 0,8 point. Le déficit global serait de 0,3 point. Toutefois, l’État ne serait pas obligé d’utiliser l’excédent des retraites du public pour financer les retraites du régime général, de sorte que le déficit des retraites peut être évalué à 1,1 point. Par ailleurs, un taux de chômage à 5 % (plutôt qu’à 7 %) diminuerait le déficit de 0,3 point de PIB ; l’Unédic aurait alors en excédent de 0,8 point de PIB (au lieu de 0,3 point avec un taux de chômage à 7%) de sorte qu’un transfert de cotisations serait possible. L’évaluation du solde de l’ensemble des assurances sociales (retraites +chômage) est problématique : un déficit de 0,8 point (avec un taux de chômage de 7%) ou l’équilibre (avec un taux de chômage de 5 %), avec, dans les deux cas, 0,8 point de PIB économisé par l’État. Ces perspectives n’en sont pas moins utilisées par le gouvernement pour prétendre que le système actuel n’est pas soutenable.
Cependant, ces résultats ne sont obtenus que par une forte baisse du niveau des pensions relativement à celui des salaires (-16% en 2050, -26% en 2070). En effet, le COR maintient jusqu’en 2070 l’indexation des salaires pris en compte et des pensions sur les prix et non sur les salaires dans le Régime général ; il intègre une forte baisse du taux de rendement pour l’AGIRC-ARRCO et d’importantes pertes de pouvoir d’achat de l’indice des traitements de la Fonction publique. La question essentielle n’est pas celle du léger déficit éventuel du système de retraite. C’est celle de l’acceptation sociale de la paupérisation progressive des retraités. Pour l’éviter, la hausse des dépenses et des recettes serait nécessaire.
Réduire les retraites, les verser plus tard
Macron et son gouvernement refusent toute hausse des cotisations. Ils doivent donc équilibrer le système ouvertement par le recul du départ à la retraite, insidieusement par la baisse du niveau relatif des pensions. La réforme annoncée se limite à équilibrer le système en 2030. La mesure essentielle est le recul du départ à la retraite. L’âge minimal de départ à la retraite passerait à 64 ans de 2023 à 2030, au rythme d’un trimestre d’augmentation par an, tandis que la durée de cotisation requise pour une retraite au taux plein passerait à 43 ans, dès 2027. Toutefois, l’âge d’annulation de la décote restera à 67 ans
Après les concessions faites par le gouvernement, 43 années cotisées permettraient de partir au taux plein, de sorte que le recul du départ à la retraite à taux plein sera de 1 ans pour tous, sauf pour ceux qui ont commencé à travailler avant 17 ans, (mais ils sont de moins en moins nombreux) ou pour ceux qui ont eu de longues interruptions de carrière et partiraient toujours à 67 ans. Par contre, certaines femmes perdraient l’avantage de la Majoration de Durée d’Assurances et devraient travailler jusqu’à 64 ans, au lieu de 62. A âge de départ constant, certains salariés subiraient des décotes, d’autres perdraient des surcotes.
Par ailleurs, le gouvernement a décidé d’une baisse de 25% de la durée maximale d’indemnisation au chômage, soit 2 ans et 3 mois pour les plus de 55 ans au lieu de 3 ans. Ces mesures, prises sans remise en cause des conditions de travail et du déroulement des carrières, sans prise en compte sérieuse de la pénibilité des emplois, pèseraient lourdement sur des salariés qui n’ont pas la capacité physique de se maintenir dans leur emploi, sur ceux que les entreprises licencient après 55 ans ou sur ceux qui, chômeurs ont très peu de chance de retrouver un emploi.
Les mesures annoncées pour les emplois pénibles sont d’ampleur limitée. Le Compte Personnel de Prévention est maintenu, même s’il a peu d’effet. Les points seront seulement acquis un peu plus rapidement. Le gouvernement refuse de remettre en vigueur les quatre facteurs de risques supprimés en octobre 2017, sous la pression du patronat. Le texte annonce seulement un meilleur suivi par la médecine du travail, et un départ à 62 ans à taux plein en cas d’inaptitude au travail. Dans le public, la prise en compte de la pénibilité continuera à se faire par le régime des catégories actives (policiers, surveillants pénitentiaires, pompiers, éboueurs, etc.), avec un départ précoce à la retraite, ce qui est supprimé pour les entreprises publiques (RATP, IEG) et refusé pour le privé.
Pour contrebalancer le report de l’âge de la retraite, le gouvernement a annoncé une hausse de 100 euros du minimum contributif majoré (MICO), de sorte qu’une retraite minimum de 85% du SMIC net, soit garantie pour une carrière complète au SMIC, garantie qui était déjà dans la loi de 2003, mais qui n’a pas été tenue. En fait, les 85% du SMIC ne seront atteints que le mois de la liquidation. Ensuite, la pension, indexée sur les prix, dérivera par rapport au SMIC. Le minimum brut sera de 1170 euros, soit, compte-tenu de la CSG-CRDS, 1120 euros en net (81,4% du SMIC net, 72,6% du SMIC plus prime d’activité).
Bénéficier du MICO nécessite d'avoir liquidé sa retraite au taux plein et d'avoir cotiser plus de 120 trimestres. La garantie ne jouera que pour une carrière complète, alors que la plupart des basses retraites proviennent de carrières incomplètes (4,2 millions sur 6 millions). Selon le gouvernement, chaque année, 200 000 nouveaux retraités bénéficieront d’une hausse de leur pension pour un gain moyen de 33 euros par mois. La hausse s’appliquera aussi aux retraités ayant déjà liquidé leur pension en bénéficiant du MICO, soit à 1,8 million de retraités pour un gain moyen de 57 euros par mois. Il aurait été plus simple de revaloriser toutes les petites pensions, mais le gouvernement a voulu récompenser ceux qui avaient le plus cotisé.
Aucune mesure contraignante ne frappera les entreprises qui continueront à ne pas embaucher des salariés plus de 50 ans, à inciter au départ des plus de 55 ans. Il est seulement question de créer un index senior.
La réforme arrivera à maturité en 2032. Elle induira une hausse de 0,7 an de l’âge moyen du départ à la retraite, soit, compte tenu des évolutions prévues avant la réforme, de 62,4 ans en 2022 à 64,5 ans après 2035 (+2,1 ans). La génération 1973 passerait, en moyenne 23,9 ans en retraite (27% de sa vie), soit moins que la génération 1960 (24,4 années, 28% de sa vie).
Selon le gouvernement, la réforme augmenterait de 350 000 la population active disponible en 2035 (soit de 1,1%). Cela ne créera pas automatiquement des emplois supplémentaires. Le gouvernement n’envisage pas d’embauches dans l’éducation, la santé, les EHPAD pour absorber le surplus de demandeurs d’emploi. En fait, selon les modèles macroéconomiques, la hausse de la population disponible augmenterait le taux de chômage, ce qui ferait baisser les salaires et aurait à court terme un effet dépressif. En fait, le nombre de seniors au chômage, au RSA ou sans ressources propres pourraient augmenter de 150000.
Grâce à ces mesures, le système de retraite serait équilibré en 2030 au lieu d’être déficitaire de 13,5 milliards (0,4% du PIB). Les reports des départs à la retraite rapporteraient 14 milliards, la hausse du minimum contributif coûterait 1,8 milliard. Ce chiffrage gouvernemental ne prend en compte ni l’effet favorable sur les finances publiques qu’aurait la hausse éventuelle de la production, ni le coût de la hausse des dépenses de chômage et d’assistance.
Augmenter les taux de cotisation
Le projet de réforme se heurte à un large refus des salariés, qui refusent de travailler un ou deux ans de plus. La France se caractérise par un haut niveau de mécontentement des salariés qui se plaignent de leurs conditions de travail, d’une hiérarchie trop pesante et du peu de place qui est laissée à leurs initiatives personnelles. Une situation où les salariés attendent avec impatience leur retraite n’est pas satisfaisant. Changer le travail devrait précéder la réforme des retraites.
S’il n’est pas possible pour des raisons historiques d’aller vers un régime unique, les différents régimes devraient s’accorder pour converger vers des taux de remplacement allant de 85% pour les bas salaires à 50 % pour les plus hauts. L’objectif de départ relativement précoce et différencié (à 60 ans pour les travailleurs manuels, à 62 ans pour la plupart, à 65 ans pour les cadres et les professions intellectuelles) devrait être maintenu. Pour éviter de pénaliser les carrières hachées, toutes les personnes à la recherche d’un emploi (les jeunes en particulier) devraient bénéficier d’une allocation d’insertion, soumise à cotisation retraite. La décote devrait être supprimée pour les basses retraites (inférieures au SMIC).
Lutter contre les inégalités de retraite entre les femmes et les hommes passe avant tout par la revalorisation des emplois à prédominance féminine et l’extension des possibilités de garde. De plus, la majoration pour enfant élevé devrait devenir forfaitaire (par exemple, 100 euros par enfant élevé, 150 euros à partir du troisième), et versée en priorité à la mère.
Les branches devraient être obligées de négocier pour définir des emplois pénibles qui donneraient lieu à reconversion ou à retraite précoce. Les chômeurs de longue durée, sans espoir de retrouver un emploi normal, devraient avoir le choix entre une pension d’invalidité, la retraite à taux plein ou un emploi de dernier ressort.
Maintenir le niveau relatif des retraites et des conditions satisfaisantes de départ nécessiterait de faire passer les dépenses de retraite de 13,8% du PIB en 2022 à 16,5% en 2050 (+2,7 points de PIB). Foncièrement, les retraites sont des assurances sociales, qui doivent être financées par des cotisations assisses sur les revenus d’activité. Un taux de chômage de 5 % libérerait 18 milliards d’excédent à l’Unedic (0,7 point de PIB). Les taux de cotisation retraite devrait augmenter de 5 points, soit de 0,25 point chaque année pendant 20 ans. En contrepartie, les jeunes générations devraient avoir la garantie qu’elles auront une retraite satisfaisante. D’ailleurs, dans 30 ans, ce sont elles qui seront aux commandes et qui maintiendront le système. La retraite est un droit social qui sera honoré.